Une étude du FMI sème le doute sur le verdissement des entreprises en temps de crise

Investissements vert pâle

d'Lëtzebuerger Land du 06.11.2020

Depuis plusieurs années les entreprises de toutes tailles, et spécialement les sociétés cotées, se sont massivement converties à l’investissement vert, même si certains secteurs sont à la traîne. Mais plusieurs études réalisées avant 2020 montrent que leur engagement est très dépendant de leur situation financière. La crise sanitaire ne va rien arranger. C’est ce que prouverait un document publié par le FMI le 26 octobre, intitulé Le bilan environnemental des entreprises en temps de crise. Il est tiré d’une étude plus vaste incluse dans le Global Financial Stability Report d’octobre 2020. Les auteurs, Pierre Guérin, Fabio Natalucci et Felix Suntheim, ont étudié un vaste échantillon international d’entreprises au cours de la période 2002-2019 : leur analyse révèle que le bilan environnemental des entreprises en difficultés financières est nettement plus faible que celui des entreprises plus prospères. Celles qui ne sont pas cotées en bourse ou dont les résultats ne permettent pas de verser des dividendes (qui sont aussi les plus petites) ont une note de bilan environnemental (selon la méthodologie du cabinet américain Refinitiv) inférieure de dix à trente pour cent à celle des grandes entreprises cotées et en bonne santé.

On peut donc craindre qu’une crise ayant de fortes répercussions économiques et financières et qui fragiliserait les entreprises pourrait les dissuader de réaliser des investissements verts. Or c’est le cas du choc lié à la pandémie de COVID-19, avec une chute du PIB mondial évaluée à 4,4 pour cent en 2020 (estimation du FMI mi-octobre) mais bien plus marquée dans certains pays d’Europe : une situation inédite depuis plusieurs décennies. Certes, selon le rapport, aucune baisse du financement vert n’a été constatée jusqu’à présent. Après une chute au printemps, les émissions de green bonds ont repris, leur part dans le total des obligations d’entreprise revenant aux niveaux de 2019. Quant aux crédits, ceux accordés aux entreprises ayant un score supérieur à la médiane de la performance environnementale ont augmenté par rapport à ceux des firmes moins bien notées. Et plusieurs professionnels fournissant des conseils dans le domaine ESG n’ont pas enregistré de baisse de leur activité jusqu’en septembre.

Mais une remontée soudaine, à l’échelle mondiale, des tensions et des incertitudes, à un niveau comparable à celui du premier semestre 2020 (en prenant comme base l’indice VIX, également appelé indice de la peur) pourrait cette fois entraîner une forte détérioration des bilans environnementaux des entreprises, avec le risque d’anéantir les progrès accomplis au cours de la dernière décennie et même depuis longtemps. L’étude a en effet montré qu’il faudrait attendre trois ans pour que, en cas de choc économique restreignant les investissements verts, les bilans environnementaux retrouvent leurs niveaux antérieurs. Elle note même qu’en l’absence de mesures d’incitations et de changements de comportements, la performance environnementale moyenne des entreprises reviendrait aux niveaux observés pour la dernière fois en 2006 ! Ces calculs font l’effet d’une douche glacée. Comme la pandémie a sensibilisé les populations aux risques environnementaux et que, dans un premier temps, les confinements du printemps s’étaient traduits par une chute de la pollution, on a pu croire que la crise était « une opportunité d’accélérer la transition vers une économie sobre en carbone en induisant des changements structurels dans les préférences des consommateurs et des investisseurs ». Sous leur pression, les entreprises prendraient alors conscience de la nécessité de « verdir » davantage et plus rapidement leurs activités.

Il semblerait au contraire que, fragilisées financièrement et en proie à une incertitude économique accrue, elles soient plutôt amenées, si la situation perdure, à réduire leurs investissements dans des projets verts à long terme et à forte intensité de capital. Comme le note l’économiste français Jacques Delpla, directeur du think tank Asterion, « d’un point de vue économique, il faut se figurer le confinement comme une crise cardiaque. Il y a d’abord une urgence vitale à régler avant de pouvoir mettre en place d’autres mesures. Quand un industriel doit relancer toute une production, il n’a pas forcément le temps ni les moyens de penser à la transition écologique. » Mais il y a autre chose. Quand elles connaissent des problèmes financiers, liés à leur situation propre ou à la conjoncture générale, les entreprises ont tendance à tailler dans certaines dépenses comme la formation, les déplacements ou la publicité. Une manière d’avouer qu’elles n’en perçoivent pas bien l’utilité ou le caractère stratégique. Cela semble être le cas avec les investissements liés à leur « verdissement ». La conversion rapide de certaines sociétés à l’ESG manque de sincérité. Elles voient dans l’orientation écologique et sociétale une obligation qui leur serait imposée par l’environnement, les pouvoirs publics, les médias et des investisseurs eux-mêmes soumis aux effets de la mode et du politiquement correct.

Dans ces conditions les sommes qui devaient leur être consacrées « passent à la trappe », au moins temporairement, quand le vent tourne. Il faut dire que l’exemple vient d’en haut. À l’heure où l’enjeu est de sauver l’économie, les préoccupations vertes passent au deuxième rang, voire sont reléguées encore plus loin dans l’ordre des priorités des pouvoirs publics. Dans plusieurs grands pays d’Europe ils ont aidé massivement le secteur du transport aérien et celui de l’automobile sans contrepartie écologique. L’impression générale est donc que du côté des entreprises comme de celui des pouvoirs publics les bonnes intentions vertes cèdent devant les nécessités économiques du moment. Une aggravation de la crise liée à un rebond de la pandémie en fin d’année risque de les enfouir encore plus profondément sous le boisseau en attendant un retour à meilleure fortune, qui risque d’être long et de casser l’élan enregistré depuis une décennie. Pour le FMI, seules des incitations financières, restant à définir, pourront convaincre les entreprises de poursuivre leurs « efforts climatiques » malgré la détérioration, que l’on espère temporaire, de leurs résultats pour cause de crise sanitaire. .

Pétrole et environnement

Le prix du baril de pétrole (Brent) est passé de 68 dollars début janvier à moins de vingt dollars fin avril. À environ 37 dollars aujourd’hui, il est encore inférieur de 46 pour cent à son niveau du début 2020. Selon le FMI, l’effet d’une telle baisse sur la performance environnementale (PE) est ambigu. D’une part, elle peut assouplir les contraintes financières des entreprises et réduire les incitations à s’éloigner des combustibles fossiles, en freinant le développement des sources d’énergie propres. D’un autre côté les faibles prix pourraient profiter à la transition énergétique en affectant la rentabilité du secteur pétrolier, en conduisant à une baisse de production et à une diminution des investissements dans le secteur des énergies fossiles.

En fait, l’effet d’un choc pétrolier à la baisse dépend surtout de sa cause. S’il est dû à une forte baisse de la demande, elle-même liée à un ralentissement économique, il pourrait être associé à un recul de la PE car les investissements dans les sources d’énergie seront retardés par les difficultés financières des entreprises. À l’inverse, une baisse du prix du pétrole en raison d’un choc d’offre sur l’approvisionnement en pétrole pourrait provoquer une augmentation de l’activité économique mondiale, alléger les contraintes financières des entreprises et leur permettre ainsi d’améliorer leur PE. Comme la chute des prix du pétrole induite par la crise sanitaire est en grande partie due à la contraction de la demande, « la performance environnementale des entreprises est donc susceptible de souffrir », conclut le FMI.

Georges Canto
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