Les marchés de l’assurance et de la réassurance sortiront bouleversés de la crise selon des études spécialisées

Dommages pour l’assurance

d'Lëtzebuerger Land du 16.10.2020

La période insolite que nous traversons depuis le mois de février aura concerné tous les aspects de la vie économique et sociale, transformant du même coup les risques liés aux activités humaines et impactant le secteur de l’assurance. Lorsqu’il est question d’assurance au Luxembourg on pense immédiatement à l’assurance-vie, qui pèse 53 pour cent des cotisations collectées et grâce à laquelle la place financière figure au premier rang mondial selon la 28e édition du Global Financial Centres Index (Land, 9.10.2020). Au sein de l’assurance non-vie, dont la collecte est boostée depuis 2019 par les transferts d’activité liés au Brexit (7,5 milliards d’euros engrangés au premier semestre contre 9,7 pour l’assurance-vie), il faut encore distinguer les assurances de personnes et l’assurance-dommages, cette dernière ayant été la plus affectée par le confinement et ses suites, mais de manière très différente selon le type de clientèle.

Du côté des particuliers, la sinistralité a baissé dans la plupart des branches, notamment en assurance automobile (chute de 80 pour cent des accidents pendant le confinement) et en assurance multirisque habitation, même si certains sinistres comme les accidents ménagers ou de jardinage ont connu une augmentation. Cette réduction a conduit certains assureurs à reverser de l’argent à leurs assurés sans attendre la fin de la crise sanitaire ni le bilan définitif de l’année ou à leur garantir un gel des tarifs pour 2021.

Du côté des entreprises, l’indemnisation des pertes d’exploitation suscite un vif débat. D’une part très peu de contrats prévoyaient des indemnisations en cas de pandémie. D’autre part, quand les clauses existaient les assureurs ont eu tendance à les interpréter de manière très restrictive, ce qui s’est traduit par une explosion des contentieux, malgré les « gestes commerciaux » faits çà et là. Poursuivi par un restaurateur parisien, Axa a finalement négocié un accord financier avec lui, suite à une décision de justice défavorable à la compagnie. Mais rien ne dit que d’autres tribunaux, en première instance ou en appel, se prononceraient dans le même sens. Certaines compagnies refusent désormais d’inclure ces clauses ou résilient les contrats existants tant qu’un dispositif spécifique n’aura pas été mis en place. Leurs clients se trouvent donc totalement démunis face à ce risque. Ils subissent par ailleurs une double peine, car comme certaines branches d’assurance, directement exposées à l’activité économique des entreprises ont au contraire vu fortement augmenter le nombre de sinistres (assurance des crédits ou des loyers, assurance-voyages etc..) les tarifs en France sont fortement orientés à la hausse.

Les particuliers seront aussi touchés, en raison du coût toujours plus élevé de réparation des voitures et des aléas climatiques (tempêtes et inondations). Une telle situation va nécessairement laisser des traces dans les relations des assureurs avec leur clientèle. Au printemps 2020, l’éditeur de logiciels Guidewire a fait réaliser trois enquêtes parallèles en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, sur un échantillon total de 3 000 assurés âgés de plus de seize ans. Les questions ont notamment porté sur leurs réactions aux initiatives et mesures prises par les assureurs pendant le confinement.

L’image de l’assurance a été affectée par la crise, car en moyenne 22 pour cent des répondants estiment que le secteur de l’assurance n’a pas fait assez pour aider les personnes dans le besoin pendant cette période (par exemple avec des reports d’échéances), une proportion variant de 17,4 pour cent au Royaume-Uni à 28 pour cent en France (21,4 en Allemagne). Seulement douze pour cent des Français et des Allemands, à peine plus des Britanniques, déclaraient que le soutien des assureurs à leurs clients durant la pandémie leur donnait une vision plus positive du secteur. La plupart des autres indiquaient ne pas avoir changé d’opinion, mais parmi eux un pourcentage élevé (22 pour cent en Allemagne, mais 25 pour cent au Royaume-Uni pour 18 pour cent en France) avaient déjà une image négative du secteur.Cela étant, les réponses permettaient également de croire à un impact sur les comportements futurs des assurés. Ainsi en France, 70 pour cent des sondés se disaient plus susceptibles de souscrire à certaines garanties, en particulier des assurances d’annulation voyage (33 pour cent, mais 43 pour cent chez les moins de 25 ans), des assurances de moyens de paiement (26 pour cent) ou encore des assurances relatives à la perte d’emploi (25 pour cent). En Allemagne l’assurance-voyage intéresse désormais 35 pour cent des sondés.

Il s’agit là de nouvelles opportunités pour les professionnels, mais pour en profiter ils devront faire un effort en termes de transparence. Près de la moitié des répondants français (et environ le tiers des Allemands et des Britanniques), déclaraient en effet être désormais plus attentifs à la compréhension des clauses de leurs contrats d’assurance, là où ils n’étaient auparavant que 23 pour cent à considérer une terminologie claire et facilement compréhensible comme une qualité importante de leur assureur.

Chez les entreprises, l’image des assureurs se détériore plus vite que celle des banques en 2008, selon le magazine français Challenges, faute notamment d’une communication efficace et adaptée de la part des professionnels. Les affaires de refus d’indemnisation des restaurateurs ont été très médiatisées bien que les assureurs visés aient été le plus souvent dans leur bon droit. Certaines compagnies, encore peu ou pas présentes sur le marché des entreprises, et donc non concernées par ces déboires, pourraient en profiter. Du côté des entreprises, au-delà du ressentiment, l’heure est à la réaction. Les plus grandes d’entre elles songent désormais à créer leur propre compagnie d’assurances en interne. Ces « captives » sont bien connues au Luxembourg où il en existe des dizaines. Elles sont plus rares ailleurs. En France seules quelques très grandes entreprises (Veolia, L’Oréal, Dassault, Ariane Espace, St Gobain, Michelin) en possèdent une. Mais l’organisme de tutelle vient de délivrer son premier agrément en vingt ans au groupe Worldline, leader européen des services de paiement, pour la création ex nihilo d’une captive. Une dizaine d’autres entreprises pourraient suivre le mouvement. Mais les autorités françaises espèrent aussi le rapatriement de celles qui sont domiciliées en Irlande ou... au Luxembourg. Selon un important courtier, à moyen terme, on pourrait compter cinquante captives en France, « ramenant tout un écosystème », car plusieurs millions d’euros de primes sont en jeu, surtout si les entreprises en profitent pour loger dans leurs captives, en plus de l’assurance-dommages, la prévoyance ou l’épargne-retraite de leurs salariés.

L’intérêt porté à cette formule date d’avant la crise pandémique, sous l’effet des contraintes imposées par la directive européenne Solvabilité 2, et en raison de la difficulté des assureurs traditionnels à apprécier les risques liés à des concepts nouveaux (cas d’Uber). En raison des risques présentés par la création de captives, ces dernières ont surtout vocation à couvrir des risques d’entreprises simples inférieurs à dix millions d’euros. Mais cela suffit, en cas de propagation de la formule, à menacer le business des assureurs. Au début de l’été, les perspectives de l’assurance-dommages restaient encourageantes. Selon une étude de l’institut Sigma (qui dépend du réassureur Swiss Re) parue début juillet, la plupart des analystes estimaient les pertes maximales à cent milliards de dollars, « ce qui correspond à peu près aux dommages causés par les ouragans Harvey, Irma et Maria en 2017 » et voyaient une reprise du marché dès 2021, grâce à la hausse des cotisations. Mais l’heure est moins à l’optimisme au début de l’automne. La crise économique en vue pourrait en effet se traduire par une forte contraction de la masse assurable : du côté des entreprises, moins d’assurés (pour cause de multiplication des défaillances) et baisse de l’activité pour ceux qui auront survécu ; chez les ménages, réduction des garanties souscrites en raison des changements de comportements et de la baisse du pouvoir d’achat. ●

Un dispositif nouveau ?

En France le ministre de l’économie Bruno Le Maire a déclaré vouloir « aboutir rapidement à la définition d’un dispositif de catastrophe sanitaire qui puisse être couvert par les assureurs ». Le modèle serait celui de la garantie-catastrophes naturelles qui, dans ce pays, est obligatoirement insérée dans les contrats multirisques habitation ou automobile, avec une indemnisation déclenchée selon une procédure très spécifique (l’arrêté de catastrophe naturelle pris par le ministre de l’Intérieur). Le projet est encore flou car on ignore notamment si l’assurance-pandémie aurait un caractère obligatoire, quel pourrait être le niveau des cotisations et quels seraient précisément les risques couverts. Question importante : si les entreprises seront à coup sûr concernées, les particuliers le seront-ils aussi, et comment, puisqu’il s’agit d’un risque relevant de la santé ? •

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Georges Canto
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