Assurance contre la ringardise
Est-ce le nouveau conseiller spécial de Yuriko Backes nommé pour faire disparaître les problématiques budgétaires à venir dans une contexte inflationniste ? Non, le magicien David Goldrake au côté de la ministre des Finances occupe ici une fonction purement récréative (photos: Lhoft). Le Luxembourgeois a quitté Las Vegas où il se produit pour un tour au rez-de-jardin de la Lhoft qui a fêté vendredi dernier son cinquième anniversaire.
La célébration de la Luxembourg House of Financial Technologies a été qualifiée par la ministre libérale d’« histoire positive dans des temps étranges, où l’on vit crise après crise. » Yuriko Backes a rendu hommage à cette « success story partie de rien », avec pour pères fondateurs Nicolas Mackel, directeur de Luxembourg for Finance, et l’ancien titulaire rue de la Congrégation, Pierre Gramegna. La technologie financière n’était alors qu’un concept de presse spécialisée et manquait de matérialité au Luxembourg, back office de la finance. Autour de son directeur, le Britannique Nasir Zubairi, la Lhoft, incubateur financé par le public et le privé, a créé cette communauté. Les sociétés spécialisées ont été attirées ou se sont rassemblées dans ses locaux quartier Gare. Régulièrement dans un cadre festif et trendy qui dénote avec la finance de sous-sol, de l’époque du coupon ou de l’encodage, encore contemporain, de la VNI (valeur nette d’inventaire) des fonds. Vendredi, le directeur général de la CSSF, Claude Marx, en jeans-baskets, et l’ancien directeur de BGL, vice-président de la Lhoft, en costume chino et lin, boivent leur coupette et taillent le bout de gras avec de jeunes entrepreneurs.
La cartographie identifie aujourd’hui 250 entreprises des fintech. 146 d’entre elles sont passées par la Lhoft. Le secteur emploie 5 000 personnes, selon ses promoteurs. Quelques entreprises aujourd’hui reconnues par leurs pairs y ont grandi : Tokeny (qui digitalise les titres de propriété), Satispay (paiement électronique), Bitflyer (plateforme de monnaies crypto) pour ne citer qu’elles. Mais c’est surtout dans le b to b (business to business) que la fintech revêt un intérêt et empêche le centre financier de basculer dans la ringardisation voire dans la mise en marge des réseaux d’affaires internationaux. pso
Vél’oh: In the ghetto
« Il faut se poser la question de savoir si nous ne devons pas fermer quelques stations Vél’Oh autour de la gare pour que le système continue de fonctionner dans les quartiers voisins », a lâché l’échevin en charge de la Mobilité Patrick Goldschmidt (DP) au cours du conseil communal de Luxembourg lundi. L’élu libéral l’expliquerait le cas échéant par la mise hors service d’un cinquième des 1 200 vélos à assistance électrique opérés par JC Decaux (d’Land, 8.7.2022) dans la capitale, de la localisation du vandalisme qui en est la cause pour « 80 pour cent » dans le quartier Gare et du risque de pénurie de pièces détachées menant à l’impossibilité de réapprovisionner le parc.
Patrick Goldschmidt a en outre précisé que le contrat passé entre la Ville et la multinationale d’origine française pour la mise à disposition de vélos électriques prévoit une amende de 500 000 euros si l’opérateur ne parvenait plus à maintenir le niveau de service (répartition des Vél’Oh et entretien) attendu. Or, la pénurie des matériaux menace la réparation ou le remplacement des Vél’Oh défectueux ou disparus. pso
Moins de peine, mais plus de confiscation
Un an de prison avec sursis, 250 000 euros d’amende et toutes les montres saisies, voilà le verdict rendu mercredi par la Cour d’appel contre Flavio Becca. Est reproché à l’entrepreneur du bâtiment et de l’alimentaire d’avoir acquis, entre 2004 et 2011, 842 montres de luxe auprès de 61 fournisseurs, par l’intermédiaire de 18 sociétés dont aucune n’avait le commerce ou l’acquisition de bijoux pour objet social. Le tout pour une valeur de 18 millions d’euros. En première instance, les 319 montres achetées via la société de patrimoine familial Promobe avaient été restituées. Les avocats de Flavio Becca avaient plaidé l’acquittement. pso
Capitalisme d’État
Publié cette semaine par le Statec, le classement annuel des « principaux employeurs » livre des indices sur les mouvements tectoniques de l’économie luxembourgeoise. Le ranking 2022 est solidement dominé par les entreprises publiques que sont les CFL (4 710) et Post Group (4 540). Le Statec ne tient pas compte de l’État central, ni des administrations communales. (On se demande d’ailleurs pourquoi.) Le Grand-Duché comptait 32 848 agents de l’État, tandis que la Ville de Luxembourg totalise 4 367 employés, fonctionnaires et salariés. Remontant aux congrégations catholiques et à la philanthropie patronale, le secteur « para-étatique » et hospitalier pèse, lui aussi, très lourd : Hôpitaux Robert Schuman (2 390), Servior (2 160), Hëllef Doheem (2 050), Elisabeth (2 000), Centre hospitalier Emile Mayrisch (1 960), Croix Rouge (1 270), Caritas (800). Du côté de l’industrie, l’érosion de la sidérurgie se poursuit. En une décennie, Arcelor-Mittal est passé du deuxième au huitième rang, soit de 6 070 à 3 460 salariés. Si l’ouvrier sidérurgiste était le prolétaire célébré du XXe, la femme de ménage est la précaire invisible du XXIe siècle. Le Groupe Dussmann (4 420) arrive désormais en quatrième position, talonnant le numéro trois, Cactus (4 440). Alors que l’Arbed et les grandes banques se sont construits des palais, Dussmann reste discrète, à l’image de son siège, hyperfonctionnel et hyperfade, à Contern. (La commune a quand même veillé à renommer la rue où se situe le siège de la firme en « Square Peter Dussmann », du nom du fondateur du groupe allemand, mort en 2013 à Monaco.) À côté de Dussmann, Amazon grimpe dans le classement du top vingt (dont la composition reste étonnamment stable sur les vingt dernières années) et se hisse à la cinquième place avec 3 960 employés. Les Big Four continuent à embaucher, mais la croissance s’est ralentie. Les effectifs combinés de PWC, EY, KPMG et Deloitte n’ont augmenté que de 70 personnes entre 2021 et 2022. bt
Notables patronaux radicalisés
Créée et financée par la Chambre de commerce – mais affichant son « autonomie » –, la fondation Idea fait preuve d’un certain flair publiciste. (Il est d’ailleurs surprenant que la Chambre des salariés n’ait pas encore eu l’idée de dupliquer le modèle.) Dans sa dernière publication, « La politique du logement – Entre bons motifs et gros montants », le think tank para-patronal revient, de nouveau, sur la question immobilière.
Quoique sophiste par moments (« le verre n’est décrit ni à moitié vide, ni à moitié plein, mais tel quel »), le petit livret de 76 pages fait preuve d’une rafraîchissante radicalité. Idea présente un catalogue des « propositions », dont certaines pourraient provenir directement de l’OGBL : Réserver l’amortissement accéléré aux seuls bailleurs qui acceptent de « louer abordable » (« ou le supprimer »), automatiser le versement de la subvention loyer aux ménages éligibles, rendre plus sélectives les aides aux propriétaires-occupants en y intégrant des critères de revenu (« voire de patrimoine »), taxer les logements non-occupés, et ainsi de suite. En passant, Idea démonte le projet de loi réglementant les loyers, déposé par le ministre du Logement, Henri Kox (Déi Gréng), « permettant, en rupture avec le cadre légal actuellement en vigueur, que les logements hérités donnés en location aient des loyers légalement alignés sur les prix de marché ». Plus fondamentalement, le think tank « interroge » la définition juridique de « l’utilité publique », puisque celle-ci ne peut actuellement justifier une expropriation pour la construction de logements. (En 1998, le Conseil d’État avait ainsi estimé qu’étant donné que les logements bénéficient à des personnes privées, une telle expropriation ne servirait pas « un objectif public ».)
À suivre la discussion sur le logement dans la durée, on risque d’être gagné par la lassitude et la résignation. Tout ou presque semble avoir été dit et redit. Que ce soit sur les intérêts privés et leur cadenassage juridique, sur la rétention et la spéculation, sur la puissance des promoteurs et l’appétit des investisseurs, sur les clientélismes politiques et la nation des propriétaires, sur les inepties communales et les lenteurs administratives. Et pourtant le débat tourne, et le consensus se déplace. Le livret d’Idea permet de s’en rendre compte. Une partie de la bourgeoisie luxembourgeoise a entretemps compris que la crise du logement met en question la base même du modèle d’affaires, la rente immobilière étouffant la croissance économique.
Dans la seconde moitié du livret, Idea donne la parole aux notables du milieu patronal. Ces « vieux hommes blancs » signent des contributions en porte-à-faux avec l’idéologie propriétariste et clientéliste. L’ex-lobbyiste des banques, Jean-Jacques Rommes, se demande ainsi : « Mais où est-il, cet État qui osa s’approprier à bon compte les terrains du Kirchberg il y a soixante ans, qui jeta un pont rouge dans le vide, donnant naissance à une seconde ville ? » Le directeur de la Banque de Luxembourg, Pierre Ahlborn, montre, calculatrice en main, « la magnitude majeure » que constitue la hausse des taux hypothécaires. En seulement six mois, le fixe est passé de 1,5 à trois pour cent. Un prêt d’un million coûtait 158 000 euros en intérêts en janvier ; il coûte 330 000 euros aujourd’hui. (Les mensualités passant, elles, de 4 800 à 5 500 euros.) La fin de la politique de « l’argent facile » constituerait un « tremblement de terre » pour les ménages mais également les investisseurs. Les prix de l’immobilier, selon la prévision d’Ahlborn, devraient « en principe […] se réajuster en fonction des nouvelles conditions de financement ». (Un probable ralentissement qui sera en large partie phagocyté par la hausse du coût de l’emprunt.)
Mais on retiendra surtout la contribution de Michel Wurth. L’ancien président de l’UEL, plaide pour plus d’audace : « Il faudrait aller plus vite, voir plus grand et envisager des nouveaux modes d’habiter ». Surtout, il faudrait radicalement étendre « le deuxième marché immobilier ». Selon Wurth, le parc immobilier public à coût ou loyer modéré devrait à terme représenter vingt pour cent des logements, « et je pense que vingt pour cent est un objectif minimum ». Pour y arriver, Wurth veut déployer un « arsenal de mesures conséquentes ». Il étale un programme jacobiniste, passant par « un cadre législatif réformé réduisant drastiquement le nombre et les possibilités de recours ». Mais, Wurth reste fidèle à sa vision entrepreneuriale, lorsqu’il propose d’exempter les investissements dans la production de logements abordables, afin d’« embarquer à grande échelle le secteur privé ». bt
Agents secrets
Pas content, le Conseil d’État, mais alors pas content du tout. Son président, Christophe Schiltz, a adressé ce mardi une lettre très remontée à la Chambre des députés. Il s’y indigne qu’un « procès-verbal détaillé » d’une entrevue entre conseillers d’État, ministre et députés ait été publié sur le site de la Chambre. « Il ne saurait être admis que des propos tenus par des conseillers d’État lors de telles entrevues soient divulgués au grand public », s’émeut Schiltz. Les Sages seraient « tenus au secret des délibérations de l’institution », même lorsqu’ils interviennent dans une commission parlementaire. Le PV aurait dû « se limiter à comporter la mention qu’une telle réunion a eu lieu ». À l’origine de cette embrouille inter-institutionnelle : deux réunions tenues en févier pour évoquer un projet de loi qui devrait permettre à l’exécutif d’intervenir dans la fixation des prix lors de futures « pénuries passagères ». Ces « échanges de vues plutôt informels » (lit-on dans le PV de la Chambre) ont rassemblé les députés de la commission de l’Économie, le ministre, Franz Fayot (LSAP), ainsi que plusieurs conseillers d’État. L’objectif était de résoudre « une problématique rédactionnelle » afin de lever les oppositions formelles qui grevaient le texte et « éviter une troisième navette avec la Haute Corporation ». À la seconde réunion, celle du 28 février, l’atmosphère semble avoir été particulièrement exécrable. « Un échange de vues prolongé et par moments fougueux, entre Monsieur le ministre de l’Économie et deux conseillers d’État s’ensuit », lit-on dans le PV. Trois conseillers d’État participaient à cette réunion : Patrick Santer, Alex Bodry ainsi que Monique Adams. bt