Maux dits d’Yvan

Le Pen est mort ! Vive le RN ?

d'Lëtzebuerger Land du 24.01.2025

Jean-Marie Le Pen qui rime, faiblement il est vrai, avec peine et gégène, est donc mort et doublement enterré, d’abord dans l’inimitié familiale à La Trinité-sur-Mer, ensuite dans le militantisme public à Paris. Mais si sa dépouille est bien froide et morte, ses idées sont plus chaudes et fortes que jamais. En témoignent le résultat des votes un peu partout dans le monde, en rendent compte aussi ce qu’il faut malheureusement appeler les hommages rendus par la droite et l’extrême-droite. De mortuis nihil nisi bonum. L’occasion était trop belle pour la droite d’achever sa banalisation, pour l’extrême-droite de le glorifier et de répéter tout haut ce qu’elle continue à penser tout bas. L’adage latin a servi de caution à Macron et Bayrou pour caresser dans le sens du poil l’électeur macho et l’électrice facho : « L’histoire jugera le combattant », péroraient-ils, en espérant que la fifille reconnaissante ne jugera pas de sitôt le gouvernement. Et celle-ci se sentait enfin autorisée à verser des larmes, qui n’étaient pas de crocodile, sur le cadavre de son père, en regrettant publiquement de l’avoir exclu du parti.

Fidèle à la leçon de Freud dans Totem et Tabou, l’amazone de la horde sauvage a tué le père pour s’approprier son corps électoral et accéder à la charge suprême que le vieux a toujours refusée pour lui et les siens. Est-ce un hasard si les fils de la horde primitive, décrite par le père de la psychanalyse, sont aujourd’hui des filles, blondes de préférence, qu’elles s’appellent Marine, Alice ou encore Georgia et qu’elles vénèrent le père sous les noms de maréchal, Führer ou encore duce ? Ce dernier, d’ailleurs, n’est pas tué, mais ressuscité et vénéré.

Pour imiter Georgia, Marine a renié Alice et rebaptisé le FN paternel en RN, un nouveau nom pudique pour désigner un vieux mouvement qui rassemble le ressentiment national. Il est vrai que dans cette entreprise de « dédiabolisation », le tortionnaire d’Alger jouait, avec Zemmour, le rôle utile de repoussoir, du diable en somme, face auquel la fille apparaissait presque comme un ange.

Le choix des mots des uns et des autres, tout comme celui de Trump dans son speech d’investiture, est symptomatique du mal qui gangrène la vie politique. La mère Le Pen désigne son défunt père de guerrier, alors que Bayrou en parle comme d’un combattant. L’une montre ainsi qu’elle se situe déjà dans la post-démocratie, quand l’autre se berce encore dans l’illusion de combattre démocratiquement un adversaire. Ces Don Quichotte feraient bien de relire Carl Schmitt, le sulfureux juriste des nazis, antidémocrate notoire, qui prônait un État politique fort, seul garant pour lui d’un État social faible. Un tel État ne discute pas avec des adversaires, mais fait la guerre à des ennemis.

Les mots annoncent et précèdent l’acte, le verbe indigeste porte en gestation le geste. « Au commencement était le verbe », nous avertit Saint Jean. Wehret den Anfängen ! Le tribun Le Pen était un virtuose du verbe, et sa fin autorise les moyens dont use et abuse sa fille et ses semblables pour enterrer la démocratie. Et pour confirmer, plus de deux millénaires plus tard, la thèse de Platon, selon laquelle la démocratie, dans un éternel retour des régimes, engendre la tyrannie.

Yvan
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