Ticker du 24 janvier 2025

d'Lëtzebuerger Land du 24.01.2025

Le premier juge sanctionné

Le tribunal disciplinaire des magistrats a rendu vendredi dernier sa première décision depuis l’institution en juillet 2023 du Conseil national de la justice (CNJ). L’organe présidé par Martine Solovieff, procureur général d’État, a été saisi quelques mois après sa création pour instruire le dossier du magistrat et vice-président du tribunal de Luxembourg, Frédéric Mersch. Le 30 mai 2024, le président du tribunal correctionnel, Pierre Calmes, a dénoncé au CNJ des comportements de ce juge aux 34 années d’expérience, officiant au tribunal des référés, la justice de l’urgence où un seul magistrat siège. Le CNJ a alors saisi le tribunal disciplinaire et nommé un membre instructeur.

Dans le rapport de ce dernier énumère une dizaine d’accusations visant la manière qu’a Frédéric Mersch de mener les audiences et de déstabiliser les parties. Dans sa décision, le tribunal disciplinaire retient seulement trois faits sur lesquels aucun doute ne plane. Lors d’une audience en février 2024, Frédéric Mersch a plusieurs fois interrompu la plaidoirie d’un avocat, a remis en question sa qualité d’avocat et a demandé aux avocats de l’autre partie « d’apprendre les bonnes manières » à l’avocat malmené. Au cours de la même audience, le juge aurait utilisé le mot « chinetoque », « mais à titre de pure plaisanterie » et pas « dans un esprit xénophobe ou raciste », a précisé le juge lorsqu’il a été entendu, ajoutant qu’aucune personne asiatique ne se trouvait dans la salle.

Le tribunal décisionnaire retient en outre des recours abusifs aux greffiers pour résoudre de menus problèmes, par exemple informatiques. Un greffier qui a une fois rechigné s’est vu reproché son comportement « onerhéiert an énnert aller Klarinett ». Il se serait ensuite résigné à accompagner le juge Mersch dans son bureau où il aurait simplement dû « appuyer sur le bouton pour allumer l’ordinateur », décrit la décision disciplinaire de 24 pages. L’instance ne retient en revanche aucun grief pour une altercation avec le président Pierre Calmes au cours d’une audience.

Pour se défendre, le juge Mersch s’est référé à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantissant un procès équitable. « Il ne saurait évoquer une violation du principe du contradictoire », conclut le trio siégeant au tribunal disciplinaire (la vice-présidente du tribunal d’arrondissement, Elisabeth Ewert, le procureur d’État et directeur de la CRF, Max Braun, et la vice-présidente du tribunal administratif, Géraldine Anelli).

L’audience de plaidoirie s’est tenue le 6 décembre. À la barre, la présidente du CNJ a fait valoir les « comportements répétitifs confirmés tant par les dépositions des avocats que par celles des greffiers ayant assisté le concerné dans son travail quotidien ». Selon Martine Solovieff, il s’agissait aussi de la manière que le juge Mersch « tiendrait audience et qui serait de notoriété au sein de la Cité judiciaire ». La procureur général d’État s’appuie sur des « sketchs comiques » parodiant Frédéric Mersch dans le cadre de la revue du Jeune Barreau ou encore deux articles de presse humoristiques parus dans le Journal des Tribunaux en 2010. Martine Solovieff a requis la mise à la retraite du juge (la sanction la plus grave après la révocation). Selon le juge Mersch, aucun président du tribunal n’a jamais partagé de reproches sur son comportement en audience. Il a ainsi plaidé l’acquittement ou tout au plus un avertissement (la plus faible des sanctions).

Une semaine exactement après les plaidoiries, un article du Land (12.12.2024) traitant d’un procès bâillon visant Reporter.lu a à son tour exposé la manière toute particulière qu’avait Frédéric Mersch de diriger une audience. Dans les jours qui ont suivi, l’intéressé a fait valoir ses droits à la retraite. Elle est effective depuis mercredi dernier.

À l’audience vendredi, le tribunal disciplinaire a prononcé une amende. Elle s’élève à la moitié d’une mensualité brute du traitement de base. Elle sanctionne le « manque de respect » envers les greffiers et un avocat, « mais surtout » l’utilisation d’un terme à connotation raciste en audience, « susceptible de porter atteinte à l’image de la justice en général ». Sont jugées en référé les litiges de copropriété, mais aussi les conflits d’actionnaires de groupes internationaux. « Une gravité certaine » donc, mise en relation avec l’ancienneté « non négligeable » du juge Mersch et l’absence d’antécédents. L’intéressé dispose de trente jours pour faire appel à partir de la date du prononcé. Pso

Lutgen blanchi

Dans un arrêt assez inédit rendu ce jeudi, la Cour de cassation de Luxembourg annule les condamnations visant l’avocat André Lutgen. L’ancien juge d’instruction avait été condamné par la justice luxembourgeoise pour outrage à magistrat en 2021 et 2022. En 2019, André Lutgen avait pris à partie le juge d’instruction Filipe Rodrigues dans un échange d’emails parce qu’il tardait manifestement à lever des scellés qui menaçaient de coûter une petite fortune à son client ArcelorMittal. En mai 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné le Luxembourg pour « atteinte à la liberté d’expression », s’offusquant que l’échange en question donne lieu à une condamnation pénale. L’annulation des jugements fait office d’acquittement, analyse l’avocat de l’avocat, François Prum, lequel se dit « très content ». L’équipe de défense obtient en outre des dommages s’élevant à 5 000 euros. pso

Reuter, deuxième

Pour la deuxième fois en un mois, la septième chambre du tribunal correctionnel évalue une affaire de manquement à ses obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment concernant Karine Reuter. Le dossier a été plaidé lundi sans la notaire. Le parquet reproche son « laxisme » dans le traitement de deux transactions immobilières en 2017 qui entrent dans le cadre de l’Azerbaijani Laundromat, une vaste opération de blanchiment d’argent en provenance d’Azerbaïdjan passée par le Luxembourg. « Karine Reuter ne s’est pas inquiétée de la provenance des fonds », a témoigné le policier en charge de l’enquête. Au cours de la perquisition menée en 2019 en l’étude de la notaire, la police a trouvé pour seul dispositif anti-blanchiment des lignes directrices émanant du cabinet du mari, l’avocat Roy Reding (ancien député ADR), avec une note « Damien (un clerc de notaire) peut faire de même ».

Les fonds incriminés provenaient de Russie et les parties prenantes à l’acquisition de biens immobiliers au Luxembourg étaient originaires d’Azerbaïdjan, pays connu pour sa corruption. « Ces transactions étaient ultra-suspectes », a martelé la substitut du procureur avant de requérir 200 000 euros d’amende. L’avocate de la notaire, Lydie Lorang, a plaidé l’acquittement. Sa cliente aurait bien identifié les parties prenantes à la transaction et n’y aurait rien vu de suspect. « Qu’est-ce qu’une suspicion ? Voilà une notion purement psychologique et à géométrie variable », a relativisé l’avocate avant de dicter des questions préjudicielles au tribunal. « L’article 3 de la loi imposant des obligations de vigilance à l’égard de la clientèle aux professionnels, dont les notaires, est-il conforme au principe de la spécification des infractions ? - Spécificité ou spécification ? », demande le juge Maas. « Spécification », répond la substitut du procureur. « C’est une nouvelle phrase ?, interroge à nouveau le magistrat. « Non », répond l’avocate. Les questions n’ont finalement pas été retenues. Le prononcé est prévu le 13 février. pso

 

Ambassadrice de Palestine
Le 7 janvier, le Lieutenant-représentant s’est vu remettre une lettre de créance de la part de la cheffe de la mission de Palestine au Luxembourg et en Belgique, Amal Jadou Shakaa. En février 2015, le ministre Jean Asselborn avait réhaussé le statut du représentant de la mission palestinienne au rang d’ambassadeur, exigeant ainsi que ce dernier remette sa lettre de créance au chef de l’État. Cette décision avait été annoncée lors d’une entrevue au Luxembourg entre le ministre socialiste et le président de la Palestine, Mahmoud Abbas. Ce dernier avait aussi été reçu par le Grand-Duc Henri. pso

Pierre Sorlut
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