Ticker du 13 decembre 2024

d'Lëtzebuerger Land du 13.12.2024

« Développement asymétrique »

« Nous ne devons pas avoir honte de notre succès ! » Le CSV et le DP se sont affichés houfreg, ce mercredi à la Chambre des députés lors d’une interpellation sur la Grand-Région demandée par Franz Fayot (LSAP). Cette formule, le ministre des Affaires étrangères Xavier Bettel (DP) l’a lancée le premier dans débat, les députés Gusty Graas (DP) et Laurent Zeimet (CSV) la reprenant en chœur. Dans sa motion, Fayot avait osé pointer « la plus-value mais aussi les déséquilibres générés par le dynamisme économique du Luxembourg au sein de la Grande Région, et en particulier dans le Grand Est en France, ainsi que les inégalités liées au développement asymétrique entre le Luxembourg et les régions voisines ». Le constat n’a rien de révolutionnaire, il est même assez convenu (d’Land du 6 décembre). Mais c’en était déjà trop pour la majorité qui, effarouchée, y a vu une attaque contre le dogme du « win-win ».

Durant son interpellation, Franz Fayot a thématisé les rétrocessions fiscales, un « Reizwort » comme il l’a lui-même admis. Dans sa motion, le député socialiste invite le gouvernement à « examiner » la mise en place d’un « fonds transfrontalier dédié au développement des communes frontalières françaises et allemandes ». Fayot s’est référé à la proposition d’Olivier Jacquin, sénateur socialiste de la Meurthe-et-Moselle, qui plaide pour la création d’un « fonds de coopération » financé à 80 pour cent par le Luxembourg et censé pallier les difficultés budgétaires rencontrées par les collectivités du Nord Lorrain. « Il faut se confronter à de telles idées », a dit Fayot, sans pour autant se prononcer clairement en leur faveur. Une épineuse question que la députée verte Sam Tanson a préféré contourner dans une intervention qui est restée fade. (Elle a quand même voté la motion.) Seul Marc Baum (Déi Lénk) s’est ouvertement déclaré favorable au principe des rétrocessions. Son argumentaire : Luc Frieden mise tout sur la croissance. Or, celle-ci implique une métropolisation encore plus poussée, qui nécessite à son tour une collaboration et un partage renforcés.

Non sans une certaine suffisance, le député-maire Laurent Zeimet (CSV) a opposé un niet catégorique à toute velléité de rétrocession. Ce serait « une logique socialiste… ou du moins faut-il être socialiste pour la suivre ». « Monsieur Fayot ne s’est pas vraiment positionné », a-t-il remarqué. « Combien de millions, combien de milliards devrions nous arrêter de donner à nos communes pour les verser à ce fonds ? » Le député DP Gusty Graas a parlé beaucoup pour finalement ne rien dire : « La Grande-Région incarne l’idée d’une Europe unie ». Sur la question concrète du fonds de coopération, il a fini par rappeler « les très très fortes réserves » de son parti. « Jidderee kuckt no sech », a professé Fred Keup (ADR). La Grande Région serait « une chose très synthétique », une notion qu’on ferait mieux de « laisser tomber » : « Derrière la frontière commence un tout autre monde », a-t-il-dit, puis d’affirmer la suprématie grand-ducale : « Que seraient Arlon et Thionville sans le moteur économique luxembourgeois ? Ce serait le désert là-bas ! »

Les remarques de Xavier Bettel à destination des élus lorrains, dont le Premier disait, en 2018, « ne pas avoir envie de payer les décos de Noël », lui auraient rappelé les déclarations de Macron dans les pays africains, s’est avancé Franz Fayot ce mercredi. (Une référence à la phrase prononcée en 2017 par le président français vis-à-vis de son homologue burkinabé : « Mais moi je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso ! ».) La comparaison de Fayot a été très peu appréciée sur les bancs libéraux. Leur ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel, s’est bien gardé de rappeler ses déclarations passées. Il s’est tenu au script, celle d’une Grande-Région où « l’élan luxembourgeois » engendrerait « une situation win-win ». Le gouvernement actuel resterait fidèle à la ligne de celui qui l’a précédé (et dont faisait partie Fayot), c’est-à-dire celle du « co-développement », notamment via des financements dans les rails et les parkings. Le hic serait que, côté français, les projets n’avanceraient pas. Bettel a regretté que moins de dix pour cent des fonds dédiés aux projets ferroviaires aient jusqu’ici été utilisés. L’absence prolongée de gouvernement à Paris n’aiderait pas. bt

10 ans et un mois plus tard

On retrouve Antoine Deltour pour une longue interview dans l’édition du Soir de ce lundi. L’ancien de PWC devenu lanceur d’alerte avait été à l’origine de Luxleaks, il y a dix ans et un mois. « Je n’ai pas fait de célébration. Je ne sais pas s’il y a quelque chose à célébrer », dit Deltour. Il se rappelle une période « particulièrement anxiogène » mais ne ressentirait « pas de regret » : « Pour moi, le résultat final justifiait de faire ce que j’ai fait ».

Publié au printemps 2024 dans le Stanford Journal of Law, Business & Finance, « The Untold Tale of a Tax Rulings Haven » relate la genèse de l’industrie des rulings grand-ducaux et sa chute au lendemain de LuxLeaks. L’autrice de l’article, Leandra Lederman, est professeure en fiscalité à l’Indiana University, et a passé l’année 2019 à l’Uni.lu. Sa contribution présente la particularité (très rafraîchissante) de considérer le phénomène non seulement sous l’angle du droit, mais également sous celui de la pratique. Sur les 68 pages que compte l’article, le nom de Marius Kohl apparaît ainsi une bonne centaine de fois. « Monsieur Ruling », ou « a bearded 61-year-old with a ponytail », comme l’avait décrit le Wall Street Journal en 2014, à l’issue de sa première et unique interview.

Lederman s’intéresse à comment un petit pays a pu développer « such a substantial – yet opaque and uncodified – tax-rulings process ». Copiée sur les Pays-Bas et importée via des fiduciaires et cabinets néerlandais, la pratique des rulings est discrètement introduite en 1989 par une « note de service » de l’administration fiscale. Alors que La Haye cherche à endiguer le recours aux rulings, le Luxembourg flaire sa chance. Il en fera une industrie semi-clandestine, tournant en partenariat avec les Big Four et les grands cabinets d’avocats. Par peur de tuer la poule aux œufs d’or, le gouvernement préférait ne pas formaliser ou encadrer cette pratique, même si Jeannot Krecké avait suggéré, dans un passage longtemps tenu secret de son rapport de 1997, de « suivre d’un peu plus près les ‘accords’ ainsi opérés. »

L’administration fiscale se met à rétro-pédaler dès la fin 2013, note Lederman en se référant aux travaux de la fiscaliste Fatima Chaouche qui avait consacrée sa thèse au sujet. Chaouche a noté que l’administration avait commencé à réviser sa position sur certains rulings dès novembre 2013, c’est-à-dire un mois après le départ à la retraite de Marius Kohl (et une année avant le scandale Luxleaks). Ce revirement aurait été déclenché par le remplacement de ce fonctionnaire systémique en charge du légendaire bureau d’imposition Sociétés 6. Le 15 octobre 2014, le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), dépose son « Zukunftspak ». Parmi les 260 mesures se cache la « formalisation des décisions anticipées » préparée durant l’été. Lederman souligne une coïncidence du calendrier : À la veille de ce dépôt, le ministère des Finances reçoit la liste de questions de l’ICIJ qui annoncent l’imminence d’un dommage réputationnel majeur.

L’intérêt principal de l’article de Leandra Lederman réside dans sa chronique des années post-Luxleaks. La fiscaliste constate an « idiosyncratic, precipitous drop » du nombre de rulings, tombé quasiment à zéro : « It is likely that the formalization, increased cost, and increasing percentage of unfavorable rulings deterred rulings requests ». (En même temps, elle pointe la concurrence néerlandaise : « The Netherlands actually saw 2019 rulings rise to above its historic levels—a sharp contrast to Luxembourg’s drop to a mere 3 rulings exchanged in that year. »)

Le business de l’optimisation fiscale tourne toujours, mais plus lentement. Selon le FMI, le marécage des Soparfis aurait atteint son point culminant en 2016 : « The balance sheets of these entities dropped from an aggregate of 9,6 trillion euros in 2016 to 8,6 trillion euros in 2018 ». Le nombre de Soparfis recensées par le Statec est passé de 45 613 à 42 777 entre 2019 et 2023. Leandra Lederman pointe plusieurs facteurs, dont la transparence accrue (DAC 6 oblige les optimisateurs à notifier leurs stratégies cross-border) ou le démantèlement des armes de défiscalisation massive, à commencer par les instruments hybrides : « This substantive change likely eliminated a major reason for getting a Luxembourg tax ruling ». La conclusion d’Antoine Deltour dans Le Soir de ce lundi est, elle, plus désabusée : « Les Luxleaks ont permis d’introduire de la transparence dans les rulings. Et maintenant que les rulings sont transparents... le Luxembourg n’en fait plus. » (Photo: Le siège de PWC, en novembre 2014, pg) bt

Signale in den Markt

Mit der Feststellung: „Wir sind in einer dauerhaften Krisensituation angekommen“, begann CEO Carlo Thelen am Dienstag die Jahresend-Pressekonferenz der Handelskammer und wünschte sich anschließend mehr Wettbewerbsfähigkeit der EU und Luxemburgs. Zum Glück habe das Großherzogtum „eine funktionierende Regierung mit einer klaren Vision zur Stärkung der Wirtschaft“. Preiswerter hierzulande produzierter Strom sei nötig. Unnötige Verwaltungsprozeduren müssten weg. Die Diversifizierung in KI, Weltraum- und Verteidigungstechnologien müsse vorangetrieben werden. Für eine Pensionsreform bestehe nur ein Zeitfenster von zwei Jahren; Kranken- und Pflegeversicherung müssten ebenfalls reformiert werden. In der letzten Umfrage Baromêtre de l’économie hätten die teilnehmenden Betriebschefs sich optimistischer geäußert als in der ein halbes Jahr zuvor. Sodass ja vielleicht die Vorhersagen von Statec und IWF auf 2,7 Prozent BIP-Wachstum im nächsten Jahr sich bewahrheiten und nicht die der EU-Kommission von nur 2,3 Prozent. 2,7 Prozent wären immerhin doppelt so viel wie für die Eurozone geschätzt wird. Ein „wichtiges Signal in den Markt“ sei die Senkung des Körperschaftssteuersatzes um einen Prozentpunkt zum 1. Januar, denn schon kündigten Investoren sich an. „Wenn sich das realisiert, gibt es mehr Steuereinnahmen, und das ist ja auch die Idee.“ Dann könnte Carlo Thelen sich vorstellen, dass die Regierung „um noch einen Prozentpunkt runtergeht“. pf

Bernard Thomas
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