Au Bridderhaus

L’art de mettre en ondes

d'Lëtzebuerger Land vom 08.07.2022

À quoi pensez-vous quand on vous dit radio ? À RTL, France Inter et Skyrock ? Aux émissions politiques, aux humoristes et aux musiques entrecoupées de pub ? Et si la radio était plus que ça ? Et si les ondes électromagnétiques qui nous entourent, et plus particulièrement celles dont la fréquence est située entre 106 hertz (AM) et 108 hertz (FM), servaient l’art ? Les sept premiers arts, allant de l’architecture au cinéma, sont bien établis mais la hiérarchie se fait ensuite plutôt floue, à l’image de la huitième place, qui regroupe les « arts médiatiques ». C’est pourtant là, rangée avec la télévision et la photographie, que se situerait la radio. L’art radiophonique donc, voilà ce que promeuvent Sarah Washington et Knut Aufermann, formant le duo Mobile Radio et directeurs artistiques de la Radio Art Zone.

La Radio Art Zone est un vaste projet. Cent jours de radiodiffusion, du 18 juin au 25 septembre, à écouter sur Radio ARA (87,8 FM) ou sur le site radioart.zone en live stream. Inscrite dans le programme de la Capitale européenne de la culture Esch2022, la station radio émet depuis le Bridderhaus et compte deux programmes quotidiens. Chaque jour, 22 heures – de 14h à 12h le jour suivant – sont consacrées aux productions de plus de cent artistes internationaux et locaux. Les émissions en direct À table ! occupent les deux heures restantes, entre 12h et 14h. Quelques membres de l’équipe la Radio Art Zone discutent librement avec des artistes de passage tout en mangeant à Esch ou dans les environs. Et vous pourriez être leur cuisinier. Pour cela, il suffit d’envoyer un message à kitchen@radioart.zone et d’avoir une idée de repas. Les ingrédients sont fournis et, bien sûr, de l’aide est apportée pour la préparation et la vaisselle. Il s’agit ensuite de parler librement en oubliant les micros cravate et l’antenne…

Les deux passionnés de diffusion hertzienne, Knut, un Allemand passé des études en chimie à celles des arts sonores, tout comme Sarah, Londonienne qui a commencé par la radio étudiante, travaillent ensemble depuis vingt ans. Leur aventure commence à Londres où ils aident à créer la station Resonance FM, qui émet toujours. C’était en 2002, au moment où la communauté radiophonique est introduite au Royaume Uni. Au fil des années, ils rencontrent des artistes de tout bord et se font inviter à travers l’Europe et même au-delà, car les gens étaient fascinés par ce succès londonien. Ils montrent ce qu’est la radio artistique à l’aide de workshops, de concerts… Les petits projets, progressivement, deviennent grands. Comme en 2012, à l’occasion de la biennale de São Paulo où le duo, en encourageant les gens à faire leur show, se lance dans trois mois et demi de diffusion à travers le monde.

Pour Esch2022, Sarah avait pensé à toute une semaine consacrée à un artiste ou groupe d’artistes, mais « you realize that’s really a lot », comme elle le concède. Mobile Radio se décide alors pour ce projet de cent jours, chaque artiste ayant donc un jour on air. Les artistes sélectionnés pour ce projet sont soit des artistes qui ont déjà fait leurs preuves auprès du duo, soit des locaux ouverts à une telle expérience, bien que certains n’aient jamais essayé ce média. Environ un tiers d’entre eux se rendent ainsi au « studio » du Bridderhaus pour des live shows et les autres transmettent leurs créations. Sarah, Knut et leur équipe, rassemblant une dizaine de personnes, ont donc le temps de souffler, contrairement à leur expérience brésilienne avec un live 24/7. 22 heures peuvent paraître beaucoup, mais c’est ce que Mobile Radio souhaite : laisser assez de temps aux artistes pour qu’ils puissent creuser leur concept, réellement développer leur travail. « We wanted the radio to sound different every day », affirme Sarah. Le changement et l’improvisation sont les caractéristiques essentielles de l’art radiophonique, il n’est pas fixe. Sa définition, rappelée par Knut, est tout ce qu’il y a de plus simple : « radio made by artists ». « Come here. You have airwaves. You have airtime. It’s not only going out on FM here, it’s going out all over the world on other radio stations. What do you want to do ? » Voilà, champ libre.

Il aura fallu cinq années avant que le projet naisse enfin. Cinq années d’incertitude, d’attente de confirmation, durant lesquelles la pandémie aura freiné les rencontres. Mais ça y est, les pro des ondes voient, depuis bientôt deux semaines, leur rêve se réaliser. Les différentes productions artistiques les enchantent, que ce soit les sons voyageurs de l’artiste multidisciplinaire Gabi Schaffner – mêlant discussions, bruits d’eau finlandais ou ceux produits par son chat –, la capture sonore réalisée par Udo Doll à Esch à l’aide de micros transmetteurs installés un peu partout dans la ville, ou encore les mélodies gutturales du Brésilien Bruno Hiss. Sarah se souvient encore de cet ouvrier qui, lassé d’écouter toujours la même radio, avait écouté celle que l’Anglaise venait de lancer. Il s’agissait de la diffusion des bruits d’une rue londonienne… que l’ouvrier a reconnue ! C’était en fait la rue où il avait grandi. Knut se remémore, quant à lui, les enregistrements réalisés chez plusieurs horlogers : une vraie symphonie de tic tac et de sonneries. La Radio Art Zone est bien différente de la radio dont nous avons l’habitude, c’est une « radio to live by » selon les mots de Sarah, on oublie qu’elle est en route, on peut s’endormir avec…

Loin des géants que sont YouTube, Spotify ou Amazon Music et leur collecte de données… pourquoi ne pas revenir à la bonne vieille radio ? Le côté expérimental de l’art radiophonique peut prendre au dépourvu mais, devant l’enthousiasme de Knut et Sarah, comment ne pas croire à cette nouvelle façon d’embellir le quotidien ? L’invisibilité du son fait sa force car elle laisse une grande place à l’imaginaire de chacun. Alors, dans quel univers va-t-elle vous emmener ?

Yolène Le Bras
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