Télécommunications

Les nouveaux risques et défis

d'Lëtzebuerger Land vom 20.04.2012

Depuis deux décennies, l’industrie des télécommunications se caractérise par un fort taux d’innovation dans un environnement technologique en constante mutation. Cette évolution s’accompagne néanmoins d’un large éventail de risques et de challenges pour les opérateurs.

Marqué par de continuels changements, ce secteur a fait preuve d’une grande dynamique. Ceux-ci s’opèrent d’ailleurs à une vitesse vertigineuse, en particulier ces dernières années, avec l’introduction d’Internet et plus récemment des smartphones, principaux vecteurs de croissance du trafic data. Le choix des nouvelles technologies les plus adaptées, le besoin de moderniser continuellement les infrastructures pour répondre aux attentes des consommateurs sans cesse renouvelées, le besoin de se réinventer pour faire face au fort niveau de pénétration des télécoms dans les pays matures, la nécessité de délocaliser certains services pour réduire les coûts, le tout au sein d’un environnement légal souvent incertain ou/et contraignant, sont autant de défis qui mettent à rude épreuve les opérateurs télécoms.

Ces challenges ont été repris et analysés en détail par Ernst [&] Young dans son rapport annuel Top 10 risks in telecommunications 2012, lequel met en évidence les dix risques les plus importants du secteur.

Historiquement, les opérateurs luxembourgeois ont toujours eu une très forte relation de confiance avec leurs clients et ont su les fidéliser au fil des années au travers d’offres multiples et variées. Cependant, aujourd’hui, le Luxembourg ne fait pas exception à ce qui semble être une tendance mondiale. Les opérateurs font face à une forte évolution du comportement et des attentes de leurs clients, ces derniers étant devenus friands des services Internet sur téléphone mobile et des diverses applications consommatrices de bande passante, favorisant ainsi leur relation avec les éditeurs et fournisseurs de contenus au détriment de leur opérateur d’origine.

Le « dés[-]engagement des consommateurs et la versatilité croissante de leurs habitudes de consommation » se positionne ainsi comme un des risques majeurs pour les opérateurs télécoms du grand-duché. Ce risque est d’autant plus important que ces derniers doivent inter[-]agir sur un marché auquel s’attaquent désormais de puissants acteurs « technologiques » tels que Google ou Apple. Ceux-ci s’imposent comme les nouveaux leaders incontestables de l’innovation, accélérant ainsi les cycles technologiques, modifiant les habitudes des consommateurs et remodelant par conséquent les affinités des clients vis-à-vis des marques et des opérateurs. Évidence de l’adoption massive des smartphones et autres tablettes : en 2011, le temps moyen pour atteindre un taux de pénétration de 50 pour cent est de 15 ans pour un téléphone mobile classique alors qu’il n’est que de quatre à cinq ans pour les smartphones et tablettes.

Face aux transformations du secteur, les opérateurs luxembourgeois doivent adapter leurs offres de services et leur compréhension des besoins des consommateurs afin de résister et de pérenniser leurs activités. Il s’agit d’un challenge permanent. Le « manque d’information permettant de valoriser la demande » s’avère être, lui aussi, un des risques majeurs reconnu par les opérateurs. Collecter et gérer l’information puis l’utiliser de façon pertinente afin de satisfaire les demandes des consommateurs, mais aussi celles de l’ensemble des autres parties prenantes, se révèle être une tâche bien ardue, les opérateurs devant analyser une masse croissante d’informations pour évaluer et anticiper au mieux les tendances du marché et ainsi adapter leur stratégie.

Cette nécessité d’adaptation se traduit également au niveau de l’infrastructure réseau et des efforts entrepris pour fournir des services de haute qualité. Il est important de noter que la qualité de service ne se résume pas seulement aux produits et applications proposés, elle passe aussi par un effort d’investissement significatif dans les éléments techniques du réseau télécoms. Le « manque de confiance sur le retour sur investissement » se place alors au centre des préoccupations des opérateurs luxembourgeois, qui sont pourtant de plus en plus contraints de faire des investissements dont la rentabilité n’est pas toujours assurée.

Au Luxembourg, ce risque a été en grande partie relayé par l’État, qui a multiplié ces dernières années ses efforts dans le développement d’infrastructures de pointe, en investissant par exemple des sommes considérables pour le développement de datacenters, mais aussi d’un réseau complet de fibre optique. L’objectif du Luxembourg est ainsi de générer de nouvelles opportunités pour les opérateurs et de stimuler l’innovation nécessaire au secteur et au rayonnement du grand-duché afin de le positionner en tant que market maker. Il s’agit désormais pour le Luxembourg de s’assurer que le cadre règlementaire puisse assurer la pérennité de ces investissements importants en matière de connectivité.

Les risques susmentionnés ne se limitent pas au Luxembourg et touchent (ou ont touché) tous les pays développés ainsi que certains pays en voie de développement à des périodes cependant diverses. D’autres risques ont déjà été identifiés par les market makers, qui semblent anticiper la future croissance de la demande.

Le risque numéro un identifié par les market makers est « l’incapacité de faire évoluer le modèle économique basé sur les minutes vers celui basé sur les octets ». En effet, le « boom » de l’Internet mobile et du data sur les réseaux télécoms, constitue l’évolution majeure à laquelle les opérateurs sont confrontés. Leurs modèles économiques souvent basés sur la consommation de minutes (voix) se doivent d’évoluer vers la valorisation des types de trafic en plein essor (data).

On observe qu’en 2008, le data représentait en moyenne 20 pour cent du revenu des opérateurs alors qu’en 2015, il devrait atteindre environ 36 pour cent. Cette croissance des revenus apparaît bien faible au regard de l’explosion du trafic data sur les réseaux qui a triplé rien que ces trois dernières années. On aboutit ainsi à une situation paradoxale où la croissance des revenus data est bien en-deçà de la croissance des volumes data, du fait de modèles économiques qui s’avèrent ne plus être adaptés voire quasi obsolètes. Cette situation tend aujourd’hui à s’aggraver, tant les opérateurs ont vendu en masse des abonnements illimités et se retrouvent maintenant dans l’incapacité de générer des revenus proportionnels à la croissance du trafic qu’ils doivent gérer. Le temps du tout illimité pourrait donc être à l’aube de ses derniers jours, en attendant le développement massif de la fibre optique.

Au-delà de l’évolution des comportements et de l’engouement pour le data, le renouvellement technologique accéléré et l’ensemble des opportunités qu’elles induisent, telles que le cloud computing, le mobile money, le machine-to-machine, sont facteurs de nouvelles préoccupations d’adaptation. Plus précisément, l’investissement et le développement de telles nouvelles sources de revenus potentielles ne peuvent se faire sans une complète remise en question des modes d’organisation. Chacune d’elles s’accompagne en effet de son lot de défis (qu’ils soient règlementaires, financiers, stratégiques, etc.) et impose certaines restructurations pour servir efficacement les nouveaux segments de clientèle ainsi visés.

Nouvelles technologies, nouveaux pro[-]duits, nouveaux modes de consommation, nouveaux métiers… en des cycles de plus en plus courts… Peu de secteurs d’activités peuvent afficher un tel dynamisme ! Ce rythme auquel sont soumis les acteurs des télécoms induit de fait nombre de problématiques de sécurité et de confidentialité des données et des informations. En effet, depuis 2010, on observe que ce type de risque a gagné chaque année une place dans le classement des dix risques les plus importants du secteur télécom, reflétant ainsi une inquiétude grandissante. Afin de gérer au mieux ce nouveau défi, les opérateurs doivent garder à l’esprit que les droits numériques sont une question sensible pour les clients et que les considérations de sécurité nationale sont de plus en plus importantes. Travailler sur la redéfinition des concepts de sécurité et de confidentialité est une première piste envisageable mais qui suppose une étroite collaboration des opérateurs avec les États, fournisseurs et partenaires afin de définir clairement les responsabilités qui incombent à chacun.

La spirale du changement dans ce secteur est définitivement enclenchée, obligeant opérateurs et autres acteurs à de profondes restructurations pour faire face aux défis de demain.

L‘auteur est Europe, Middle East, India and Africa telecommunications, media and technology practice leader, associé chez Ernst & Young Luxembourg
Olivier Lemaire
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