C’est le premier grand texte du quinquennat, et vraisemblablement le plus important, dont l’examen a débuté lundi 10 juillet à l’Assemblée nationale : la réforme du code du travail. Mais les débats vont être limités par une procédure expéditive. Car pour tenter de prendre de cours tout mouvement social, Emmanuel Macron a choisi la voie des ordonnances. Il va donc pouvoir faire adopter en plein été par sa majorité un cadre général, qui lui permettra ensuite en septembre d’avoir les mains libres pour légiférer dans l’urgence sur une série de mesures qui s’annoncent explosives.
Avant d’aborder le débat politique que cette réforme suscite, listons d’emblée ces mesures que l’exécutif semble bien vouloir faire adopter, et qui ont tout d’une longue litanie de détricotage néolibéral des armes qu’ont actuellement les salariés pour se défendre.
– Le plafonnement les indemnités en cas de licenciement abusif. Une véritable obsession d’Emmanuel Macron, qui en est à sa troisième tentative : il voulait déjà le faire passer dans la loi de 2015 qui porte son nom, puis dans la première loi travail de 2016, dite loi El Khomri. Par deux fois, les résistances ont eu raison du projet.
– Le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur. Même si la loi El Khomri a déjà étendu la possibilité de ce type de consultation, l’exécutif entend aller plus loin, dans un contexte où la menace de délocaliser est facilement brandie pour peser sur les salaires ou le temps de travail.
– La fusion des instances de représentation du personnel. Actuellement trois ou quatre, il pourrait ne plus y en avoir qu’une. Les comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT), souvent fort utiles, disparaîtraient au sein d’une structure unique.
– Le seuil de déclenchement des plans sociaux (dits « plans de sauvegarde de l’emploi »), et les obligations qui vont avec, pourrait passer de dix à trente salariés. Les mesures de reclassement seraient aussi allégées.
– Le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, pour savoir si des licenciements sont justifiés, serait limité à la France, même si une multinationale connaît une situation florissante au niveau mondial. Quand on sait comme il est facile de mettre artificiellement en faillite une usine en transférant ses commandes à l’étranger… Dans le projet de loi El Khomri, même la très conciliante CFDT avait refusé tout net cette mesure, retirée à l’époque.
– Le « CDI de chantier » serait élargi au-delà du secteur du bâtiment. Ce « contrat à durée indéterminée » qui ne dure en fait que quelques mois ou quelques années permet de ne pas verser à la fin de prime de précarité, contrairement aux CDD.
Tout cela suffirait à faire descendre dans la rue son lot de manifestants, mais c’est sans compter ce qui paraît le plus gros morceau : que négocier au niveau des entreprises, et non plus des branches ? Si la loi El Khomri avait difficilement fait passer le temps de travail (y compris la rémunération des heures supplémentaires), cette fois il pourrait s’agir des salaires, de la santé et de la sécurité au travail, mais aussi… des conditions de rupture des CDI, soit les licenciements. Un sujet qui n’a jamais été abordé pendant les campagnes présidentielle et législative.
S’il y a tant de conditionnels à cette liste, c’est que l’exécutif entretient le flou. La loi d’habilitation des ordonnances est suffisamment générale pour tout faire passer. Mais le gouvernement avance sans vraiment faire d’annonce précise ; les documents qui fuitent dans la presse ne sont pas ceux présentés aux syndicats ; et ces derniers sont reçus un par un, jamais ensemble. L’exécutif devrait donc abattre ses cartes au dernier moment, et s’il joue une sorte de poker menteur, c’est qu’il sait bien qu’en France le sujet est abrasif.
Ce n’est pourtant pas à l’Assemblée que l’opposition est infranchissable. Le groupe majoritaire macroniste est au garde-à-vous. Les Républicains voient d’un bon œil une réforme incontestablement de droite. Sans groupe parlementaire et fracturé, le Front national est inaudible. Quant au PS, dont les survivants à l’Assemblée ont abandonné le terme « socialiste » (pour Nouvelle Gauche), il ne l’est guère moins. Ne restent donc que la France insoumise et les communistes. L’usage des ordonnances en pleines vacances d’été est « un coup d’État social », a tonné Jean-Luc Mélenchon. Les « insoumis » ont boycotté le Congrès de Versailles où, devant députés et sénateurs réunis, le président Macron a fait une sorte de discours sur l’état de l’Union à l’américaine. Surtout, pour M. Mélenchon, « l’immense abstention » aux législatives « montre qu’il n’y a pas de majorité dans ce pays pour détruire le code du travail ».
Et de fait, si la campagne et la victoire inédites d’Emmanuel Macron ont un temps brouillé les cartes, les Français étaient opposés à 70 pour cent à la loi El Khomri et déjà le pays réel est de retour : 61 pour cent sont « inquiets » des mesures envisagées, selon un sondage Elabe pour BFMTV, contre 29 pour cent confiants et dix pour cent indifférents.
Le président arrivera-t-il pour autant à ses fins ? Un des grains de sable pourrait être la situation de plus en plus embarrassante de la ministre du Travail. Muriel Pénicaud, ex-DRH de Danone, était aussi directrice générale de Business France avant d’entrer au gouvernement. Or cet organisme public a confié sans appel d’offre à Havas l’organisation d’une soirée à Las Vegas en janvier 2016 autour d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie. Une instruction judiciaire vient d’être ouverte le 7 juillet, notamment pour « favoritisme ». Reste à déterminer le rôle exact qu’a joué la ministre chargée de mener la réforme en cours.