La pièce Constellations du Britannique Nick Payne, mise en scène avec finesse par Lol Margue, est portée par Valérie Bodson et Olivier Foubert, magnifique duo dans un exercice digne de funambules
Créé à Londres en 2012, monté à New York en 2015 et repris en Angleterre en 2021, Constellations a été couronné de prix (« Evening Standard Theatre Award » à sa sortie, « Laurence Olivier Award » lors de sa reprise) et a participé à la reconnaissance populaire de Nick Payne. Le dramaturge, quadragénaire aujourd’hui, travaille aussi comme scénariste pour la télévision et le cinéma, notamment pour la série Wanderlust ou la récente comédie dramatique We Live in Time.
Sous des apparences d’une romance, la pièce est une réflexion sur les grandes questions qui traversent notre existence : la vie, l’amour, les relations humaines, le temps qui passe, l’éternité (« On ne peut pas continuer à vivre éternellement » entend-on dans la pièce), la maladie, ses réalités, ses ultimatums, la douleur, la souffrance, la liberté, le contrôle de sa vie et surtout le choix de sa fin de vie et l’accompagnement de l’autre.
Aussi légère que grave, aussi drôle qu’émouvante, aussi évidente qu’imprévisible, la pièce Constellations est insolite dans sa forme, avec un récit fragmenté et multiplié par des voies et des voix plurielles. L’histoire propose diverses variations, entraînant le spectateur dans un récit à la fois simple et complexe, intime et universel, prosaïque et philosophique. Chaque scène se répète, comme autant de scénarios possibles. Elle est jouée à plusieurs reprises, chaque fois avec un angle de vue différent, un retournement de situation ou une intonation nouvelle, ce qui donne une multitude de possibilités, de chemins parallèles, de ramifications inattendues... de constellations.
C’est l’histoire d’une rencontre impromptue, un jour de barbecue, un jour de pluie, entre Marianne, physicienne spécialisée en cosmologie quantique, et Roland, apiculteur qui a troqué la campagne pour la banlieue de Londres. Démarre une relation entre ces deux êtres si différents : idylle, vie commune, infidélité, retrouvailles à un cours de danse, demande en mariage… On parle de choses et d’autres, d’étoiles et de terre, de l’espace, du temps, du multivers mais aussi de ruches, d’abeilles à miel, de ce miel délicieux acheté à la fermette… Mais petit à petit la mort s’immisce dans les choses du quotidien, il y a d’abord les mots pour dire la fin de vie de la mère de Marianne, elle qui « n’avait pas peur de mourir », elle qui « ne voulait plus se nourrir ». Il y a surtout l’annonce de la tumeur de Marianne, la disparition progressive des mots, la perte de sens des lettres sur le clavier, la douleur, et la décision d’aller à l’étranger pour une fin de vie digne.
Lol Margue propose une belle et intelligente mise en scène. Son casting est efficace. Les deux comédiens chevronnés que sont Valérie Bodson et Olivier Foubert ont une belle présence scénique. Leur jeu est précis et sensible. Ils donnent au spectacle reliefs et nuances, ils sont à la fois drôles, émouvants, fragiles, justes dans leurs approches, authentiques dans leur jeu, attachant dans leurs silences. Ils nous entraînent dans l’intimité et l’humanité de leurs personnages mais aussi dans les tours, détours et retours d’un récit manipulateur, d’une pièce kaléidoscopique pas facile pour les comédiens.
Lol Margue appuie sa mise en scène par des bruitages singuliers (on est particulièrement attentif aux sons métalliques), quelques notes et lumières bleues, des voix off (modulées jusqu’au murmure). Le spectacle est scandé par de brefs et rapides changements de lumières et de sons qui font office de transitions et de ruptures. Un bruit sec déroute le rythme de la romance, comme une mécanique ou un engrenage inéluctable. Les lumières d’Antoine Colla accompagnent le spectacle avec une belle palette de tons, du bleu à l’orangé jusqu’aux silences de la pénombre, suggérant les paysages émotionnels qui traversent et habitent les personnages.
Au cœur de la mise en scène, les images vidéo de Gilles Seyler qui mettent en perspective ou prolongent les scènes, font apparaitre d’autres personnages (avec la participation à l’écran de Lis Dostert, Christiane Rausch et Timo Wagner), d’autres langues, d’autres images fixes, portraits à un ou à deux en noir et blanc, imagerie scientifique, dessins de planètes, constellations d’étoiles.
Autant d’images qui viennent s’imprimer sur une structure métallique au centre du dispositif scénique aussi sobre qu’efficace imaginé par le scénographe Christian Klein qui signe aussi les costumes (aux rayures fines de la chemise de Marianne répondent les gros carreaux de celle de Roland). Placé au fond de la scène, cette structure noire, ouverte, avec néons, qui laisse le plateau vide, libre, permet de suggérer tous les lieux du spectacle, extérieurs comme intérieurs (espace du barbecue, logement de Marianne, école de danse, université…).
Constellations de Nick Payne/Lol Margue est un spectacle fort et subtil, inventif et poétique, sur la condition humaine, sur nos vies, sur notre humanité.