Au milieu du souffle cinématographique festivalier du Luxembourg City Film Festival, le Pavillon de Réalité Virtuelle installé à Neimënster est dédié à la réalité virtuelle, mais aussi aux réalités mixtes et cette année aussi au gaming, avec un aperçu de jeux vidéos luxembourgeois.
Difficile de qualifier ce qui est présenté, le mot n’est pas encore trouvé. Certains disent œuvres, je n’irais pas aussi loin et je dirais expériences. La réalité virtuelle s’est greffée (ou a été greffée) au grand monde du cinéma, car on y crée des histoires à l’aide d’images digitales. En 2017, Alejandro Iñárritu avait même obtenu un Oscar inédit pour son installation monumentale en réalité virtuelle et vidéo, Carne y Arena. Ce fut une expérience artistique qu’on pouvait qualifier d’œuvre d’art total sur le sujet de la migration, exposée entre autres à la Fondazione Prada à Milan.
La réalité virtuelle pourrait tout aussi bien s’inscrire dans ce qu’est le théâtre, où il s’agit d’espace. Ces expériences se développent dans un ou des espaces donnés, plus que sur une ligne de temps, comme c’est le cas pour le cinéma. On s’immerge dans ces expériences, on se retrouve dans la peau d’un ou d’une autre ; un être vivant réel ou fictif ou un objet, voire une émotion. En tant que public, on est transporté immédiatement (si toutefois on accepte l’essai) par l’environnement, l’espace donc, fait d’images, mais aussi de sons qui sont articulés de manière binaurale (c’est-à-dire ayant trait aux deux oreilles) et surtout par un changement d’espace radical, dès que l’on met un casque ou des lunettes de réalité virtuelle ou augmentée.
Dans un premier temps, c’est une expérience très surprenante, comme le fut sans doute le film des frères Lumière, quand pour la première fois, on voyait sur grand écran montrant l’entrée du train dans la gare de la Ciotat, en 1895. Comme ce premier film, la réalité virtuelle en écho au réel oblige un ajustement cognitif et permet de nouvelles possibilités de narration immersive. Tous les scénarios y sont acceptables tant qu’ils se déroulent de façon immersive et dans une relation à 360 degrés à la réalité. Ces scénarios sont écrits par des auteurs et des artistes digitaux, en collaboration étroite. Voici pour la théorie.
Maintenant en pratique et en particulier en 2024, au Pavillon de la Réalité Virtuelle, une exposition très soigneusement scénographiée (mais plus sobrement, cette année !) par les experts du Centre Phi de Montréal. Le commissariat des expériences est une nouvelle fois assuré par sa directrice Myriam Achard, en collaboration avec le Film Fund Luxembourg.
On peut par exemple y tenter la découverte de la station spatiale internationale, avec Space Explorers - Spacewalkers, réalisé par les magiciens Félix Lajeunesse et Paul Raphaël. Mais on peut aussi tenter une immersion dans l’Histoire, avec Noire. La vie méconnue de Claudette Colvin, où l’on passe du récit d’un livre à la réalité augmentée. Une expérience sensorielle, réalisée par Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud, qui a été déjà montrée au Centre Pompidou à Paris. Il s’agit d’une installation en réalité augmentée inspirée du livre éponyme de l’autrice, Tania de Montaigne. On y approche une adolescente de quinze ans qui, dans l’Alabama ségrégationniste de 1955, a refusé de céder sa place à une passagère blanche, exactement neuf mois avant Rosa Parks.
Il y a également la courte expérience, au titre de The Fury créée par Shirin Neshat, artiste vidéaste Iranienne, de renommée incontestée. Elle place le sujet des violences faites aux femmes et par extension la récente révolution Iranienne Femme Vie Liberté, (toujours en cours) au centre de l’expérience, avec simplement, si j’ose dire, une femme qui danse au milieu de regards d’hommes, dégradants et menaçants. Une performance d’une femme persécutée. Il s’agit donc ici d’art à sujet politique.
Il y a plusieurs expériences co-produites par le Luxembourg, à savoir le beau projet Floating with Spirits de Joanita Onzaga coproduit par Tarantula. Ici deux sœurs se préparent pour le Jours des Morts, se souvenant des histoires racontées par les grands-mères shamans. Un portail sur la communauté des Mazatec, permettant au public un accès privilégié à un monde spirituel.
Et puis Nous, les Barbares de l’artiste visuel et réalisateur, Bertrand Mondico, un travail surprenant se situant sur le plateau de tournage de son récent long-métrage hors normes lui aussi, intitulé Conann, les deux coproduits par Les Films Fauves et sélectionné à Quinzaine des cinéastes à Cannes en 2023. Une proposition artistique très forte également.
La dernière production luxembourgeoise de cette sélection qui est également en compétition est intitulée Errances, écrite et réalisée par Gwenaël François et produit par SkillLab. On y est transporté dans une réalité désertique et d’anticipation à la fois.
C’est ainsi qu’on navigue entre thèmes politiques et historiques et visions oniriques. On constate un progrès notable (encore), non seulement technique mais aussi au niveau du contenu. Celui-ci devient même didactique, avec Letters from Drancy réalisé par Darren Emerson, expérience présentée à la Biennale de cinéma à Venise en 2023 et qui nous place face à une survivante de la Shoah. Marion Deichmann raconte son histoire dans un monde virtuel reconstitué (en grande partie documentaire). Le Pavillon de Réalité Virtuelle 2024 est bien une exposition, mais aussi un temps fort qui permet ici au Luxembourg une sorte d’accélération de particules dans le sens des réalités mixtes, dites XR realities, en somme des nouvelles narrations. Un moyen pour les experts du monde entier de se rencontrer, de présenter les expériences ou installations respectives en cours ou en développement et de chercher de nouveaux moyens de financement, mais aussi de distribution, pour continuer à bien ancrer ce mode d’expression artistique.
En parallèle de la programmation, il y a aussi un aperçu de ce qui se fait en termes de jeux vidéo au Luxembourg, une petite exposition interactive, commissionnée par Fred Neuen, gamer et créateur de jeux, lui-même. Le développement des jeux vidéo semble devenir une nouvelle mission pour le Film Fund Luxembourg. D’aucuns trouveront cela osé, pensant à la production de films classiques qui cherche toujours à se renforcer et à conserver les techniciens et techniciennes du secteur. Mais peut-être faut-il en effet pour une institution dédiée aux médias, qu’est le Film Fund, avancer avec la forte demande des producteurs de l’animation et les vents technologiques pas si nouveaux que ça, mine de rien (en termes de jeux vidéo, au Luxembourg, le développement commence tard). Peut-être et le souhait est là, un créneau de financement distinct (car c’est bien là l’inquiétude) se trouvera pour cette forme de création. Peut-être, qui sait, le Luxembourg pourrait se positionner davantage dans l’éducatif, créant des jeux vidéo didactiques pour tous les niveaux d’apprentissage.
En tous cas, pour persuader celles et ceux qui sont encore résistants aux casques ou aux lunettes de réalité virtuelle et augmentée, il faut dire que la sélection actuelle est de très bonne qualité (on ne subit a priori plus aucune nausée) et avec un prestige qu’on ne peut ignorer, car ces expériences ont été présentées dans les festivals de films les plus renommés, tels que ceux de Venise, de Tribeca ou de Locarno car presque tous les grands festivals mettent en place une section de réalité virtuelle avec une compétition. Le LuxFilmFest fait de même avec un jury de professionnels composé de représentants du monde l’art contemporain et du secteur des réalités mixtes : Delphine Munro, Emilie Paige et Ulrich Schrauth.