Exposition

Histoires de bêtes

Geckeg Vullen au Naturmusée
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 14.02.2020

On se disait, Geckeg Vullen, Schräge Vögel, c’est un drôle de titre quand même ! En français Drôles d’oiseaux, ça passe encore… mais bon. Pourquoi intituler de la sorte une exposition à but scientifique et pédagogique ? Le public du Naturmusée (MNHN) au Grund est certes jeune et il faut essayer d’attirer son attention. Allons donc voir ce qu’il en est.

Le fait est qu’on a appris beaucoup de choses et des drôles, au cours de la visite en compagnie de Claude Heidt, biologiste, spécialiste de l’environnement et de l’écologie, en charge de la collection ornithologique et donc de cette exposition. Claude Heidt s’occupe de la réserve ornithologique du Naturmusée, qui ne compte pas moins de 3 900 spécimen de 1 500 espèces, ce qui représente environ quinze pour cent de toutes les espèces d’oiseaux connues de la planète. Trois ans de classification, de répertoire, d’analyses, ont été nécessaires avant de présenter ces Geckeg Vullen, qui s’avère instructive et haute en couleurs. Comme les oiseaux en somme.

On ne manquera pas de s’émerveiller devant une sorte de mini-carrousel, où tournent une demi-douzaine de colibris rubis-topaze les bien nommés, arrêtés pour l’éternité dans des positions qui permettent de voir la délicatesse de leur plumage aux reflets de pierres précieuses. Il y a bien sûr, de manière générale dans l’exposition, l’aspect « exotique », qui a conduit beaucoup de donateurs à enrichir, partant du milieu du XIXe siècle, la collection des « drôles d’oiseaux », originaires, majoritairement alors, d’Afrique ou d’Amérique du Sud, d’où la caisse de voyage qui débute l’exposition, mise en espace par le service muséographique de l’institution. Ainsi de l’araponga du Costa Rica, avec sa paire de moustaches finement tournées (le fait est qu’il en a une troisième sur la tête), de l’étrange calao rhinocéros de Sumatra avec son deuxième bec, ce qui le fait effectivement ressembler à une bête à bosse, ou du jardinier satiné, qui, dépourvu de beau ramage, a trouvé « le » truc pour attirer une femelle : il lui construit un nid azuré, en écrasant des fruits bleus dans son bec.

Première surprise pourtant : le tout premier spécimen du musée, est une marouette poussin, originaire – il ne faut pas toujours aller bien loin – de Cessange, en 1850, date qui coïncide avec l’année de fondation de la société des sciences naturelles au Luxembourg. Le commerce des oiseaux empaillés, qu’ils soient exotiques ou locaux, fut en effet longtemps florissant. Ainsi du – mythique – merle blanc, qui s’avère être un merle albinos. À l’époque, on ne s’encombrait pas de tuer un oiseau pour sa rareté (le présent spécimen vient de Steinfort) et fut donc intégré à la collection.

Aujourd’hui, on se soucie plutôt de la conservation des espèces, à commencer, dans un musée, par la technique d‘embaumement. L’arsenic utilisé autrefois, est remplacé par le camphre et le cèdre, des « antimite » naturels. Surtout et hélas, au grand-duché aussi, la moitié des espèces locales est sur liste rouge, c’est-à-dire en danger de disparition, du fait du scellement des sols, de la construction anarchique et donc, de la réduction des espaces naturels que sont champs et forêts.

Les hirondelles ne trouvent plus à se loger dans des étables où l’hygiène aseptisée prévaut. Mais qu’allait faire en ville – elle a été découverte (morte) sur le site du dépôt des locomotives de la gare – cette gélinotte, si ce n’est qu’elle n’avait pas trouvé refuge dans un taillis ? L’agriculture extensive sur des espaces ouverts, on le sait, prive les oiseaux d’habitat et de nourriture, les insectes devenant une denrée rare à cause des pesticides.

Mais revenons à l’exposition. Les oiseaux sont les descendants des dinosaures. Voir pour de vrai, un petit spécimen originaire de Chine, paré de plumes qui lui tenaient chaud (il en devient presque mignon) et dans un film d’animation comment il se dandine à la manière d’une autruche pour tenter de prendre son envol, cela surprend. Car certes doté d’ailes, on ne sait toujours pas si cet Icare préhistorique a réussi son envol : question de placement des muscles les plus forts au droit du poitrail où sont attachées les des ailes dans le squelette de ses descendant et la légèreté des « os »: une merveille en réseau, comme la plus fine des dentelles.

Les oiseaux quand ils le peuvent, profitent des courants d’air chaud pour se laisser porter, voire en profitent pour monter en spirale (comme un avion). Il leur faut tout de même aussi voler contre le vent, certains se révélant, quelle que soit la situation météorologique, des champions de l’extrême : la barge rousse a battu le record des 11 000 kilomètres parcourus d’un seul trait en dix jours pour un vol Alaska-Nouvelle-Zélande. Certes, mais la raison est simple : si l’oiseau se posait en mer, il n’aurait pas la capacité de reprendre son envol… Et la sterne arctique, dans le genre croisière au long cours, fait chaque année le tour du monde, du Pôle nord au Pôle sud. Et puis, il y a la fauvette à tête noire. Celle-là, elle a littéralement perdu la boussole !

Bien nourrie dans les jardins anglais, son ordinateur de vol a intégré ce défaut d’orientation et depuis, chaque année, ces têtes folles retrouvent leur bed and breakfast insulaire, volant non pas de la France pour prendre leurs quartiers d’hiver en Espagne comme il serait normal, mais dans la froidure britannique où nourrir les oiseaux, l’hiver, fait quasi partie d’un gentlemen’s agreement.

Sauf erreur donc, comme ici, rien n’est gratuit. D’accord. On se lève le matin, on entend, si on est à la campagne, chanter le coq, en ville et près d’un parc, le merle et on trouve que oui – il suffit que la journée s’annonce ensoleillée – le monde a l’air en ordre. C’est certes poétique mais pour en revenir à nos oiseaux, même leur chant est question de maîtrise d’un territoire sans parler du plumage qui est lié à la survie de l’espèce.

L’oiseau de paradis revêt un costume d’apparat digne d’un danseur étoile pour sa parade d’amour et la pie, placée devant un miroir, essayera de se débarrasser de ce point jaune dont on lui a marqué le poitrail, qui ne fait pas partie de sa coloration naturelle : noire, bleue et blanche… Le corbeau, fort paresseux par ailleurs, attendra tout simplement l’année suivante si une dame a préféré un concurrent comme géniteur ce printemps-ci.

Des légendes et des fausses, il s’en raconte aussi sur le dos des oiseaux. Ainsi de celle qui colle à la chouette d’Athéna, à la réputation d’oiseau de malheur, alors que, la pauvre, elle n’y est pour rien ! À l’époque lointaine, où l’homme se couchait… avec les poules, les bougies seules étaient utilisées lors d’une veillée funèbre. Ce qui attirait beaucoup d’insectes et la chouette, ravie de ce garde-manger providentiel, criait kwittt, kwitt vite traduit, dans nos régions, en macabre komm mit, komm mit.

Et ne dit-on pas « saoul comme une grive » ? Ces petites bêtes (les étourneaux en fait) peuvent se gaver, à l’automne dans les vignes, de grains de raisins fermentés, sans montrer de symptômes d’ivresse – ou presque. Leur métabolisme est ainsi fait qu’en une heure, ils auront éliminé l’équivalent alcoolique de quatre bouteilles de vin. Qui dit mieux ?

On l’aura compris, cette exposition, qui permet de découvrir la formidable collection ornithologique du MNHN est l’occasion de s’instruire, grands et petits, en s’amusant. Car les empaillés du musée nous cachent bien des choses, comme le fait que tous « ne picorent pas comme des oiseaux » !

L’exposition Geckeg Vullen, Drôles d’oiseaux, Schräge Vögel, est à voir jusqu’au 7 juin au Naturmusée,
25 rue Münster à Luxembourg-Grund ;
plus d’informations : www.mnhn.lu.

Marianne Brausch
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