Modernity – loved, hated or ignored ?

Apprivoiser la modernité pour s’y attacher

d'Lëtzebuerger Land du 10.07.2015

Nous sommes ignorants c’est chose certaine, tant que nous n’avons pas visité Modernity – loved, hated or ignored ? Nous sommes ignorants et c’est chose normale car l’assemblage d’informations tel qu’il est présenté au Luca jusqu’au 19 décembre est nouveau et inédit au Luxembourg. Le mérite de Stéphanie Laruade, Bohumil Kostohryz et Sophie Langevin commence par leur désir de sortir de l’ignorance et, ce faisant, de nous faire sortir de l’ignorance ; car ignorants nous le sommes tous. Une architecte, un photographe et une actrice se lancent dans l’aventure investigative autour de quatre immeubles ; ils mènent un journal écrit, ils mènent un journal photographié, et ils découvrent l’histoire de chaque immeuble avec toutes ses petites histoires plus ou moins anecdotiques, plus ou moins polémiques ainsi que les liens et conséquences qu’ils ont eu au regard de l’évolution de la capitale. Plusieurs mois de recherches intensives menées au Luxembourg et à l’étranger ont fait surgir des informations inconnues et inattendues même.

Le travail effectué minutieusement égale une recherche à caractère scientifique et comble une lacune importante. Ne faudrait-il pas mener des études pareilles pour d’avantage de bâtiments ? L’équipe y avait pensé : la maternité Grande Duchesse Charlotte, l’Athenée, la Tour Hadir étant parmi « les candidats », faute de temps et de budget, la sélection a été réduite à quatre. Un travail similaire de recherche et de reconstitution d’une œuvre a été fait en 2014 par Sabine Dorscheid et Jean Reitz au sujet de l’œuvre de Claus Cito. Ces efforts mettent en évidence la nécessité et l’importance d’une faculté d’architecture, oui, mais également si pas plus celui des archives qui, non seulement sont complémentaires aux œuvres construites, mais indispensables à leur compréhension dans un contexte historico-social et politique . Ce n’est pas par hasard que se sont constitués en parallèle à ce travail le LAM (Lëtzebuerger Architekturmusee ; www.lam.lu) et le guichet info archives (www.archivesarchitecture.lu).

On dirait que le Luxembourg prend un peu plus de goût à (son présent issu de) son passé. Presque comme en prélude à l’exposition, la Chambre des députes à été immergée dans les profondeurs de la matière : un discours du député socialiste Franz Fayot ainsi qu’une interpellation demandée par le député libéral André Bauler sur la politique en matière de conservation du patrimoine. Modernity – loved, hated or ignored ? est ainsi lancé au meilleur moment : coïncidant avec le lancement officiel de la Présidence luxembourgeois du Conseil de l’Union européenne et pour tout aussi longtemps.

Il s’agit bien de l’exposition montrée à la Ca del Duca à la 14e biennale d’architecure de Venise, en 2014, mais elle a fait peau neuve pour Luca, elle s’est faite plus mobile également puisqu’il est prévu de la faire voyager à travers le pays par la suite. Ainsi l’espace d’exposition est divisé en six ambiances. La première : celles des teasers, ambiance policière, espèce d’hommage à Twin Peaks. La dernière, plutôt hors série ou hors sujet, un métronome reflète sur l’actualité et le devenir de notre environnement construit. En face et en enfilade les quatre investigations : le pont Grande-Duchesse Charlotte dit pont rouge, la Chapelle Saint Éloi, le Grand Théâtre, la Villa Kutter.

Il a y trois manières de visiter Modernity – loved, hated or ignored ? : y aller avec une personne qui se souvient des années soixante à Luxembourg, ou bien, si vous-même vous en souvenez, y aller avec quelqu’un qui n’était pas encore né à l’époque ; ou bien y aller seul mais là, la visite sera plutôt dure. En effet il y a un peu trop de choses ou alors pas assez… Le choix de curateurs a été de monter l’exposition comme une série d’investigations afin de la rendre plus interactive, plus accessible, voire plus ludique. Cependant le visiteur est confronté à une multitudes de photos, d’écrits, d’extraits sans véritable fil conducteur ou structure, à lui de s’y retrouver ou de se fatiguer. Ce qui est également vrai pour les deux catalogues d’exposition, série limitée à 100, les investigations publiées dans le Land (n°1, le Grand Théâtre, dans le Land du 7. Novembre 2014 et n°2, la Chapelle Saint-Éloi dans celui du 26 juin 2015) étant bien plus captivantes.

Mais les questions qui hantent l’esprit lors de la visite sont : un jour une investigation sera-t-elle menée au sujet de la cité judiciaire ? Du Mudam ? Du Biirgerzenter ? Y verra-t-on le mécontentement des uns et l’orgueil des autres ? Aura-t-on mal au cœur pour l’architecte auteur de projet ? Sera-t-on surpris du comportement des pouvoirs publics, des pouvoirs politiques ?

Les circonstances qui ont accompagné l’architecture n’ont guère changé à travers l’histoire et n’ont guère influencé le comportement des utilisateurs. La réponse à la question de notre rapport à la modernité, c’est Antoine de Saint-Exupéry qui l’a fait dire au renard : c’est en apprivoisant que nous nous attachons. Pareil pour la modernité. Allons donc apprivoiser et au lieu d’être ignorants, nous serons attachés.

L’exposition Modernity – loved, hated or ignored ? est accessible au Luxembourg Centre for Architecture (Luca) jusqu’au 31 juillet, puis, après une pause estivale, du 18 août au 19 décembre ; 1, rue de l‘Aciérie à Luxembourg-Hollerich ; ouvert du mardi au vendredi de 9 à 13 et de 14 à 18 heures ; samedi de 11 à 15 heures ; entrée libre ; www.luca.lu.
Shaaf Milani-Nia
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