Éditorial

De blanne Passagéier

d'Lëtzebuerger Land du 05.05.2023

Depuis le Luxembourg, la réforme des retraites de Macron et son passage en force sont vus comme un problème français. Le 25 avril, Déi Lénk a déposé une résolution au Parlement appelant le gouvernement français « à respecter le droit de manifester et l’État de droit » et dénonçant les « violences policières et arrestations arbitraires ». Jugée « non-opportune », la proposition sera rejetée à 56 voix. Ce lundi, à l’Office des Nations unies de Genève, la délégation du Grand-Duché a recommandé à la France de « repenser » ses politiques de maintien de l’ordre « pour éviter l’usage excessif de la force […] lors des manifestations ». Le même jour, sur le parvis du Neimënster, Nora Back tenait son discours de 1er mai, adoptant un ton défiant : « Den OGBL léisst keng Attacken op eise Pensiounssystem zou ! A wa si et probéieren, wäerte si et genee esou ze spiere kréien, wéi a Frankräich. »

Un fait passe pourtant inaperçu : Le report de l’âge de départ à la retraite en France aura un impact direct au Luxembourg. Des dizaines de milliers de frontaliers aux « carrières mixtes » franco-luxembourgeoises vont en ressentir les conséquences : Ils vont devoir travailler jusqu’à deux ans de plus au Grand-Duché avant de pouvoir toucher leur pleine retraite en France. Chez l’OGBL, on estime qu’environ quarante pour cent des 121 000 frontaliers français seraient impactés par la réforme, c’est-à-dire que, financièrement, ils ne pourront se permettre de renoncer (temporairement) à la part française de leur retraite. L’OGBL serait « bombardé d’interrogations », dit Christian Simon-Lacroix, un des permanents du syndicat : « Une infirmière m’a récemment confié ne pas savoir comment faire pour tenir deux ans de plus ». Il estime que les frontaliers lorrains auraient un profil socio-économique « plus col bleu », et seraient donc tendanciellement plus exposés aux emplois pénibles, ceux qui fatiguent et usent.

« Au bout de quarante annuités, ces gens pensaient voir le bout du tunnel, mais les règles du jeu ont été changées », s’insurge Saïd Bouressam. Le président de la section OGBL « Audun-le-Tiche, Villerupt, Pays Haut » dit avoir participé aux treize journées de mobilisation (pour certaines manifs, l’OGBL affrétait des bus vers Metz). Le 1er mai, il a défilé dans le carré de tête du cortège parisien. Il souligne fièrement que l’OGBL est membre, aux côtés de la CFDT, de la CGT ou de FO, de l’Intersyndicale de Longwy, dont les tracts portent le logo du syndicat luxembourgeois : « Cela n’existe nulle part ailleurs en France ! » Le bureau exécutif de l’OGBL a également fait preuve de solidarité. Le syndicat a collecté 10 000 euros en soutien aux grévistes, « un acte aussi envers nos membres pour se battre pour leurs droits », expliquait la secrétaire centrale Michelle Cloos lors de la remise du chèque symbolique à la CGT. (Lié à la CFDT, le LCGB se dit « solidaire », mais n’a ni publié de communiqué ni participé aux manifestations, ceci afin de « ne pas mettre en danger » des membres, selon son secrétaire général adjoint, Christophe Knebeler.)

Par bienséance sans doute, ni les syndicats, ni le patronat, ni le gouvernement n’évoquent les effets, a priori bénéfiques, qu’aura la réforme française sur l’équilibre du système des pensions luxembourgeois. Pourtant, en cotisant deux années de plus, les frontaliers lorrains contribueront à sa pérennité, finançant ainsi les retraites anticipées des résidents. Chez l’OGBL, on préfère plutôt pointer les « effets pervers » de l’allongement de l’âge de départ, qui, dit-t-on, pourrait in fine se révéler comme « une charge » pour la CNS luxembourgeoise : « Certains me disent : ‘Deux ans de plus ? Ce sera au moins un an d’arrêt maladie !’ », relate Bouressam.

Le matin du 1er mai, dans le Bois de Boulogne, la façade de la Fondation Louis-Vuitton a été aspergée de peinture. Le collectif Extinction Rebellion visait ainsi le groupe de luxe LVMH qu’il accuse d’« optimisation fiscale ». Celle-ci passe en large partie par le Grand-Duché ; l’enquête « Openlux » a identifié 31 holdings liées à LVHM et à son PDG Bernard Arnault. De nouveau, le Luxembourg apparaît comme le passager clandestin de l’Union européenne et de la Grande Région. Une partie de ses recettes reste tributaire de l’érosion des bases d’imposition des autres États, alors que son modèle de croissance (sur lequel se fonde son modèle social) continue à carburer grâce à la main d’œuvre lorraine.

Bernard Thomas
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