Coïncidence ou pas, au moment même où plusieurs navires de migrants tentaient d’atteindre les ports du sud de l’Europe, paraissaient deux études sur l’impact économique de l’afflux de réfugiés, qui suscite, entre autres, des craintes pour l’emploi dans les pays d’accueil, donnant ainsi du grain à moudre aux mouvements dits « populistes ».
La première étude est due à trois économistes français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’université de Clermont-Auvergne et de celle de Paris-Nanterre. Publiée dans le numéro de juin de la revue américaine Science advances, elle a porté sur les flux migratoires en général, prenant en compte aussi bien les entrées nettes permanentes pour des raisons économiques que les demandes d’asile à caractère politique.
Les chercheurs (Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly) se sont intéressés à quinze pays d’Europe de l’ouest sur une période de trente ans (1985-2015). Ils concluent à un « effet positif très visible » des flux de migrants permanents, avec, à partir d’une date d’entrée donnée, une hausse du PIB par habitant pendant quatre ans et une baisse du taux de chômage. L’amélioration de la situation économique se répercute sur les finances publiques, car même si l’on observe dans un premier temps une hausse des dépenses publiques, les recettes – en impôts et cotisations – augmentent elles aussi par la suite.
Qu’en est-il des demandeurs d’asile ? On a observé une augmentation importante de leurs flux à la suite des guerres dans les Balkans entre 1991 et 1999, puis à partir de 2011 à l’issue des Printemps arabes. En moyenne sur la période 1985-2015, les pays qui en ont accueilli le plus sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas. Mais lorsqu’on rapporte les flux à la population, les cinq principaux pays d’accueil sont la Suède, l’Autriche, la Norvège, la Belgique et l’Allemagne. À cette époque, les pays situés aux frontières extérieures de l’espace Schengen (Italie, Espagne ou Grèce) ont enregistré relativement peu de demandes d’asile.
Sur la période observée, les chercheurs n’ont « pas trouvé de preuves statistiques qui indiqueraient, en liaison avec l’arrivée de réfugiés, une dégradation des conditions économiques des pays d’Europe de l’Ouest, que ce soit sur le plan du niveau de vie, du chômage ou du solde des finances publiques ». Le même effet que pour les migrants permanents est donc constaté pour les demandeurs d’asile, mais de façon plus atténuée ; car pendant la période d’instruction de leur demande, ils n’ont généralement pas l’autorisation de travailler. Au bout de quelques années, à mesure qu’ils ont la possibilité de le faire, l’impact peut s’améliorer. Les chercheurs estiment de ce fait que le débat actuel autour des migrants se concentre trop sur leur « supposé coût économique » alors que leur présence n’aurait pas d’impact négatif. Ils souhaitent le recentrer sur sa dimension politique ou diplomatique.
L’étude a été vivement critiquée en raison de sa méthodologie inhabituelle, d’interprétations abusives (simplifications, confusion entre causalité et corrélation) et d’un « biais idéologique » attribué à ses auteurs, ce qui est assez courant en France comme l’ont montré les travaux de Thomas Piketty.
Sur ce thème délicat, l’édition 2018 des « Perspectives des migrations internationales » publiée par l’OCDE le 20 juin constitue une source moins contestable. Au total, les pays de l’OCDE accueillent aujourd’hui environ 6,4 millions de bénéficiaires de la protection internationale, dont plus de la moitié pour la seule Turquie. En 2017, les demandes d’asile ont diminué, tombant à 1,23 million de personnes contre 1,6 million en 2016, mais représentaient toujours le quart des flux migratoires. Elles provenaient en majorité d’Afghanistan, de Syrie et d’Irak. Les principaux pays d’accueil, hors États-Unis (lire encadré) ont été l’Allemagne, l’Italie, la France et la Turquie, avec quelque 550 000 arrivants à eux quatre, soit près de la moitié du total mondial en nombre. Mais en proportion, la hiérarchie est assez différente : Les réfugiés représentent de 0,20 à 0,25 pour cent de la population totale en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Suède et en Suisse. Le pourcentage monte à 0,4 pour cent au Luxembourg, à 0,5 en Finlande et même à 0,53 pour cent en Grèce.
En réponse aux inquiétudes exprimées par les opinions publiques de nombreux pays (pas forcément les plus touchés par le phénomène), le rapport analyse pour la première fois l’impact de l’arrivée récente des réfugiés sur les marchés du travail dans les pays d’accueil. L’enjeu, selon Stefano Scarpetta directeur de l’emploi et des affaires sociales de l’OCDE, est « de gérer l’intégration (des réfugiés qui resteront) sans perturber le marché du travail ».
Pour s’en tenir aux pays européens, l’afflux de réfugiés aurait finalement des conséquences limitées sur la population en âge de travailler, qui connaîtrait un accroissement ne dépassant pas 0,4 pour cent d’ici décembre 2020. L’impact sur la population active serait encore plus limité, autour de 0,24 pour cent. Cela dit, il s’agit d’une moyenne et certains pays seront plus affectés. En Allemagne, la hausse sera de 0,8 pour cent, tandis qu’en Autriche et en Suède elle atteindra 0,5 pour cent. A l’opposé, la France connaîtra une augmentation de la population active liée à l’immigration inférieure à un pour cent, soit dix fois moins que l’Allemagne.
Par ailleurs, il faut tenir compte que la grande majorité des migrants (contrairement aux espoirs de certains pays d’accueil) ne parlent pas d’autre langue que la leur et ne possèdent aucune qualification. De ce fait, des secteurs d’activité comme le bâtiment ou l’agriculture, qui emploient beaucoup d’hommes jeunes et peu qualifiés, verront, en Allemagne et en Autriche par exemple, l’offre de travail bondir jusqu’à quinze pour cent d’ici à 2020, ce qui se traduira dans un premier temps par une augmentation du chômage dans les pays les plus concernés, et par une pression grandissante sur les salaires.
L’OCDE craint les répercussions sur les travailleurs locaux les plus vulnérables et la montée en puissance de mouvements politiques hostiles à l’immigration. C’est pourquoi, si le rapport préconise de renforcer les mesures d’intégration des nouveaux arrivants, notamment dans le domaine linguistique, il insiste aussi fortement sur la nécessité d’accroître les dispositifs de formation et de développement des compétences des salariés des pays d’accueil.
Des États-Unis à l’Afrique
En 2017, les États-Unis sont redevenus le premier pays de l’OCDE pour les demandes d’asile, avec 330 000 demandeurs, une hausse de 26 pour cent en un an, principalement en provenance du Guatemala, du Salvador et du Venezuela. Ils constituent 28 pour cent des entrées permanentes dans le pays, un chiffre plus élevé qu’en Allemagne (vingt pour cent) ou au Royaume-Uni (dix pour cent) mais inférieur à celui de la France (35 pour cent) et surtout de l’Italie (soixante pour cent). En pourcentage de la population américaine totale les réfugiés ne représentent que 0,10 pour cent, un taux très inférieur à ceux de la plupart des pays d’Europe de l’ouest et du nord, de l’Australie et du Canada.
En Afrique il est difficile de distinguer les réfugiés politiques des autres migrants. On sait cependant que si vingt pour cent des migrants africains se dirigent vers l’Europe, 74 pour cent des mouvements se font à l’intérieur même du continent. La seule République démocratique du Congo compte cinq millions de ressortissants, sur près de 80 millions, déplacés dans d’autres pays pour fuir les zones de guerre. Ils se dirigent notamment vers l’Ouganda, qui, recevant également des réfugiés du Soudan du sud, accueille plus d’un million de personnes (2,5 pour cent de sa population). Le Sénégal, le Maroc et l’Algérie voient arriver des familles entières venues des pays voisins du Sahel fuyant la guerre, le terrorisme et le risque climatique. gc