À la recherche de la taille critique, Foyer s’est intéressé à KBL

Droit d’inventaire

d'Lëtzebuerger Land vom 15.04.2010

La question à 1,5 milliard d’euros ne sera peut-être pas posée lundi 26 avril à l’assemblée générale de Luxempart. Elle ne l’a pas été non plus le 6 avril dernier par les actionnaires du Foyer, assurément peu curieux de savoir si le groupe confirmait son intention de se porter candidat au rachat de KBL European Private Bankers, la branche d’activité de gestion privée et de fonds d’investissement du bancassureur belge KBC, forcé par la Commission européenne de céder une partie de ses actifs – dont KBL – , après avoir reçu un coup de pouce financier public. Le plat aura peut-être refroidi d’ici là. Les offres fermes et contraignantes au vendeur KBC devaient être rentrées au plus tard le 9 avril à minuit. Aucune information n’a filtré au moment où cette édition avait été mise sous presse sur l’identité des candidats, ni leur nombre. Les indiscrétions que la presse avait rapportées concernaient le premier tour de table, où cinq candidats furent admis, sous couvert de confidentialité, à regarder le dossier KBL. Leurs offres d’alors n’étaient pas contraignantes. KBC se donne environ un mois pour trancher.

Le trio composé de Luxempart, Foyer et du fonds d’investissement américain KKR était de la partie, mais n’a pas été plus loin, renonçant vendredi 9 avril à lancer une offre « liante », après avoir été admis dans le « dataroom ». Il avait les moyens de ses ambitions pour s’offrir l’une des banques luxembourgeoises les plus rentables avec 47 milliards d’actifs sous gestion. Les deux entités luxembourgeoises de l’équipée, Foyer et Luxempart, fortes des plus-values tirées de la vente des titres Cegedel, seraient restées minoritaires (un tiers du capital), le fonds US en aurait eu les deux tiers. Le consortium américano-luxembourgeois constitué pour la circontsance a finalement renoncé à son offre commune pour mettre la main sur ce « joyau » de la banque privée « made in Luxembourg », face à d’autres candidats aux muscles plus développés et à l’ancrage dans le paysage culturel et industriel luxembourgeois plutôt sommaire, sinon inexistant. Vu les sacrifices sociaux que la reprise de la banque devrait tôt ou tard impliquer, mieux vaut ne pas arborer la nationalité luxembourgeoise pour jouer les « casseurs ». Les entreprises naturalisées, voire totalement étrangères au grand-duché, n’auront pas de difficultés à tailler dans le groupe pour le façonner comme elles l’entendent. Ils n’est d’ailleurs pas exclu que les effectifs soient maintenus intacts dans un premier temps.

La presse internationale avait mentionné le nom de Luxempart (et omis celui du Foyer) comme partenaire du fonds KKR dans le premier tour de table, aux côtés de grands noms de l’industrie européenne (la famille Agnelli à travers son holding luxembourgeois Exor) et de la finance internationale (le Suisse Julius Baer, le Brésilien Safra et le conglomérat indien Hinduja). Deux seulement tiendraient la corde, toujours selon les informations de presse, non-sourcées et évidemment non-confirmées par les intéressés eux-mêmes, tenus au plus strict secret par le vendeur : Safra et Hinduja, prêts jusqu’à mettre 1,6 milliard d’euros pour remporter la mise et mettre leur nom sous une des plus prestigieuses enseignes de gestion privée en Europe avec un important réseau (sept pays) tissé en moins de quinze ans et au prix souvent fort par KBL.

Ce montant de 1,6 milliard se situe sur l’échelle qu’avait indiquée à l’automne dernier Étienne Verwilghen, le CEO de KBL, qui soulignait alors que le prix d’acquisition pourrait se situer entre 1,5 et deux milliards d’euros. Un montant que d’aucuns ont toutefois jugé exagéré, la banque à leurs yeux ne valant pas davantage que le milliard d’euros. Les Indiens d’Hinduja, déjà présents dans la banque privée en Suisse, ont visiblement fait des calculs différents.

« Ce serait dommage de ne pas regarder KBL », expliquait en janvier Jacques Delen, le patron de la banque belge qui porte son nom et que l’on disait alors sur les rangs, avec sa maison-mère Ackermans [&] van Haaren, pour le rachat de KBL. Jacques Delen tempérait néanmoins son enthousiasme en indiquant que son groupe, fidèle à sa philosophie qui lui impose la prudence, ne ferait pas des choses qui le dépassent et « qu’il ne serait pas raisonnable de faire en bonne tradition de gestionnaire prudent ». Le pas n’a pas été franchi lorsqu’il a fallu entrer dans l’arène et présenter une offre, encore non-liante pour les candidats en lice.

Luxempart, Foyer et KKR s’y sont, eux, lancés, assurément disposés à mettre le prix du ticket d’entrée : 1,5 milliard d’euros en tout, dont 500 millions d’euros pour les deux premiers qui pouvaient se permettre de financer cette emplette sur leurs fonds propres, après avoir accumulé un « trésor de guerre » avec notamment la vente de leur portefeuille d’actions Cegedel.

« Le dossier nous a laissés sur notre faim en quelque sorte, en raison du prix élevé d’abord, mais aussi en rapport avec certaines filiales de KBL comme EFA (joint-venture avec la BCEE et Banque de Luxembourg pour l’administration des fonds d’investissement) et la société Gilissen aux Pays-Bas. Il nous a semblé que ça formait un tout indivisible », raconte une source proche de Luxempart. Or, Foyer ne s’intéressait qu’aux activités de gestion de fortune et de gestion d’actifs de KBL pour étoffer son propre réseau européen et obtenir la taille critique qui lui permettra de conserver son indépendance.

Le prix toutefois n’était pas un obstacle insurmontable, dans la mesure où la vente de certains actifs non stratégiques pour le consortium lui aurait permis d’alléger considérablement la facture finale. De plus d’un tiers, selon une source proche du dossier. Les négociations avec KBC/KBL ont toutefois achoppé en raison de « divergences de vues » sur le business plan avec les dirigeants actuels de la banque luxembourgeoise auxquels KBC a confié le processus de vente. Ce qui expliquerait qu’Hinduja et Safra, en s’engageant à conserver l’indépendance de KBL et mettre la banque au cœur de leur dispositif européen, auraient les faveurs du vendeur.

Le management de KBL European Private Banker, qui a donc la main sur l’opération, semble donc peu disposé à laisser démanteler le réseau. « Nous allons essayer de trouver quelqu’un qui va bâtir sur ce que nous avons construit ces treize dernières années. Les conséquences sociales seront prises en compte lors des négociations avec le repreneur », avait assuré en novembre dernier Étienne Verwilghen. Le patron de KBL s’était d’ailleurs voulu rassurant sur les pertes d’emplois que la vente pourrait impliquer, jugeant ce risque « faible ». Or, son appréciation était probablement surfaite, avant tout destinée à apaiser les inquiétudes des 2 600 salariés du groupe, dont 1 050 au grand-duché, sur le sort que le futur actionnaire leur réserverait. Les acquéreurs quels qu’ils soient devront faire des arbitrages, même au Luxembourg où il faudra « dégraisser le mammouth ». Trois cents personnes pourraient ainsi être concernées.

Si le fonds US KKR n’aurait eu aucun état d’âme à faire un droit d’inventaire et à tailler dans les effectifs du groupe, il en va autrement d’entreprises comme Foyer ou Luxempart. Question d’image et de culture, les dirigeants du numéro un de l’assurance se seraient mal vus en fossoyeurs de l’emploi, à un moment où le chômage monte en flèche et n’a sans doute pas terminé sa course vers les sommets. « Nous ne sommes pas la Caritas ni la Croix rouge. Un rachat aurait impliqué pour nous la cession de certaines parties du groupe KBL qui correspond à notre concept », souligne une source du dossier, en rappelant que Foyer n’a que faire de l’activité d’administration de fonds de KBL et qu’il n’a pas davantage besoin de la salle de marchés que la banque a maintenue au Luxembourg.

Contrairement à ce que la presse internationale a indiqué, ce n’est donc pas en raison des réticences du régulateur luxembourgeois à voir un fonds d’investissement, américain de surcroît, débarquer majoritairement dans le capital d’une grande banque luxembourgeoise, qui aura été un obstacle à l’arrivée de l’équipe KKR, Foyer et Luxempart. Ce que confirme d’ailleurs Lucien Thiel, le président du conseil d’administration de Foyer. « Nous avons été voir la CSSF, ainsi que les dirigeants du fonds KKR. Jean Guill (le directeur général de la CSSF, ndlr) n’a soulevé aucune opposition à voir entrer un fonds d’investissement pour autant que Foyer faisait partie du tour de table », assure t-il.

Le régulateur luxembourgeois peut difficilement se permettre d’écarter du capital des banques des candidats qui n’ont pas eux-mêmes des profils de banquiers ou d’assureurs. On l’a vu par exemple en 2008, lors des négocations autour de la cession de la banque Kaupthing, où les autorités, bien que réticentes et faute de mieux, n’auraient certainement pas dédaigné voir arriver un fonds d’investissement libyen pour sauver l’établissement de la faillite. C’est finalement un groupe industriel anglais qui a remporté le morceau et sauvé l’honneur.

La sortie de piste de KKR risque de mettre la Commission de surveillance du secteur financier face à une situation un peu cocasse. Si les candidatures supposées de Julius Baer (qui a racheté ING Suisse à ING Luxem­bourg, il y a un an), Safra ou Hinduja ne provoqueront aucune difficulté particulière, étant donné que ces groupes disposent, si ils ne le sont pas déjà, d’entités bancaires et que les deux premiers sont présents au grand-duché, il en sera autrement du groupe Agnelli. S’il devait devenir le nouveau maître à bord de KBL, il s’agirait d’une petite revanche pour la famille italienne qui a fondé Fiat. À l’époque où la CSSF s’appelait encore l’Institut monétaire luxembourgeois (IML) et son patron Pierre Jaans, le groupe s’était ainsi vu refuser l’octroi d’une licence bancaire au Luxembourg. C’était une autre époque.

Véronique Poujol
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