Une « vraie » affaire Clearstream ?

Entre les lignes...

d'Lëtzebuerger Land vom 12.07.2001

La réaction de Clearstream, suite au communiqué (à consulter sur www. land.lu) du Parquet du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg daté du 9 juillet, était jubilatoire : « Luxembourg Public Prosecutor finds no evidence to support money laundering allegations ».

Le responsable du service anti-blanchiment du parquet économique et financier, Carlos Zeyen, avait en effet diffusé un communiqué de trois pages, reprenant de façon détaillée l'« affaire Clearstream » depuis ses débuts, c'est-à-dire, depuis le 26 février, lorsque le quotidien français Le Figaro avait publié des articles « d'après lesquels un système de comptes secrets auprès de la société de droit luxembourgeois Clearstream, anciennement Cedel, aurait été utilisé pour effectuer du blanchiment d'argent ». Ensuite, ce fut la parution du livre Révélation$ qui alléguait que « des manipulations et irrégularités auraient été commises tant au niveau des comptes propres que des comptes clients ». (voir à ce sujet le dossier Révélations sur www.land.lu / dossier Justice)

Zeyen explique minutieusement la démarche du parquet qui l'a amené, depuis l'ouverture d'une enquête préliminaire, à charger un juge d'instruction d'une information judiciaire, menée tambour battant avec interrogations de témoins et perquisitions à la clef. La conclusion, largement reprise dans les médias, du communiqué dit que « lesdites recherches n'ont permis de constater ni le scénario de manipulations systématiques décrit par le témoin ni la non intégration de comptes dans la comptabilité ». L'enquête continuera cependant « sur des faits isolés et non systématiques susceptibles de recevoir la qualification pénale de blanchiment » et sur de possibles manipulations au niveau des comptes propres à Clearstream, ainsi que sur des abus de biens sociaux allégués.

Si Zeyen écarte ainsi officiellement la manipulation systématique des comptes de Clearstream, il laisse quand même planer un doute sur la légalité des faits sur lesquels il a été enquêté : « Il doit être relevé que l'infraction d'abus de biens sociaux n'est punissable que depuis 1992, celle d'escroquerie fiscale depuis 1993. Finalement convient-il de souligner que jusqu'au 11 août 1998, seul le trafic de stupéfiants était une infraction primaire de blanchiment punissable. » En droit, le principe de la non rétroactivité interdit de poursuivre en justice l'auteur d'une infraction si cette dernière a été commise avant qu'elle ne soit prévue par la législation. En d'autres termes, des infractions auraient pu être commises par Cedel à des moments où ces infractions n'en étaient pas encore.

Un autre passage du communiqué est tout aussi énigmatique : « Le témoin avait par ailleurs indiqué disposer de documents prouvant ses allégations ainsi que d'avoir l'intention de mettre lesdits documents à la disposition de la Justice ce qu'il n'a cependant pas fait par la suite, au motif de pressions exercées sur lui par des tiers. »

La communication a jusqu'ici joué un rôle clef dans l'affaire Clearstream, au point qu'il a été plus ou moins ouvertement reproché à Zeyen de ne pas respecter son devoir de réserve. Ce qui peut s'expliquer par le fait que rarement, l'enjeu d'une affaire a été aussi important pour la place financière et le monde politique luxembourgeois. D'abord, l'image de la place serait mise à mal si les faits reprochés s'avéraient justes. Ensuite, il ne faut pas oublier le rôle primordial que joue Clearstream pour le centre financier grand-ducal. Actuellement pris dans des turbulences suite aux velléités de la Deutsche Börse de prendre le contrôle de la chambre de compensation luxembourgeoise et aux divers projets de fusion avec son unique concurrent européen, Euroclear, une Clearstream affaiblie risquerait de perdre définitivement son ancrage luxembourgeois - avec des conséquences qui sont prédites désastreuses par les banquiers et politiques de la place. Et, parlant politique, il ne faut pas oublier que nombreux sont les acteurs politiques luxembourgeois, même de premier rang, qui ont officié ou officient toujours comme avocat-conseil ou conseiller de Clearstream. 

Une « vraie » affaire Clearstream risquerait ainsi effectivement d'avoir des conséquences désastreuses. Mais d'un autre côté, si anguille sous roche il y a, il vaudrait peut-être mieux que le Luxembourg lave son linge sale chez lui et n'attende pas à ce que les pourfendeurs de la place financière s'en chargent .

Ce qui pourrait expliquer les passages qui laissent interrogateurs dans le communiqué du parquet, passages dont il est difficile de croire qu'ils y figurent gratuitement.

marc gerges
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