Une vieille publicité française pour le téléphone proclamait : « Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil ». Depuis ces temps préhistoriques, force est de constater que rien n’a vraiment changé. Certes, les téléphones ont perdu leur cordon en spirale encore plus tôt que leur cadran et leur clavier. Pourtant, revendiquer l’appellation « sans fil » est une allégation qui paraîtra absurde à tous ceux qui conservent dans un tiroir chez eux ou au bureau une belle collection, soigneusement emmêlée, de tous les câbles possibles et imaginables qui sont passés entre leurs mains depuis l’époque de leur premier Ericsson. Ne mentez pas, vous aussi.
La situation infernale semblait s’être un peu améliorée ces derniers temps. Oubliés les chargeurs différents d’une marque à l’autre, voire d’un modèle à l’autre, avec des fiches aussi exotiques que les marques qui existaient à l’époque et qui, même pour un constructeur donné, évoluaient parfois d’un modèle à l’autre, au fil des fantaisies d’ingénieurs démoniaques dont le plaisir sadique consistait à compliquer la vie du reste de l’humanité en concevant des téléphones avec des touches trop petites, des batteries qui se déchargent en vingt minutes et, surtout, des chargeurs dont le seul point commun était d’être lourds, gros et jamais rangés là où on les cherchait.
En effet, depuis quelques années, on pensait être entrés dans un monde toujours aussi absurde, puisque chaque appareil était livré avec un chargeur, mais un peu moins compliqué, puisque tous ces chargeurs étaient interchangeables. Du moment que le fil se terminait par un « micro USB », on pouvait rester chargés. Jusqu’au jour récent où vous avez déballé votre dernier gadget numérique et où vous avez réalisé, horreur, qu’un nouveau connecteur était apparu. Passé la désagréable surprise de devoir remiser une fois de plus une vingtaine de câbles dans votre fameux tiroir, il faut reconnaître que le nouveau « USB Type C » présente un avantage majeur sur ses prédécesseurs. Ce n’est pas qu’il soit plus rapide ou plus puissant, c’est qu’il est réversible ! Une prise qui peut se brancher dans les deux sens, voilà qui va faciliter la vie des six milliards d’êtres humains qui, tous les jours, perdaient trois secondes à connecter les câbles dans le mauvais sens, bousillaient leurs smartphones et, à force d’énervement contre un monde aussi injuste, en arrivaient à battre leurs enfants ou voter pour l’extrême droite.
Rien ne dit que nous soyons au bout de nos peines. Si l’on veut avoir une idée de ce que peut donner le progrès technique laissé entre les mains du génie humain, il suffit de partir à l’étranger et de regarder à l’autre bout de son chargeur : du côté de la prise électrique, c’est également du grand n’importe quoi ! Type A ou B en Amérique du Nord et au Japon, type C, E ou F pour la plupart des pays d’Europe à part le Royaume-Uni et l’Irlande, type D en Inde et au Népal, type G au Royaume-Uni, en Irlande, à Malte ou en Malaisie, passons sur les détails que n’aurait pas pu imaginer Franz Kafka dans ses pires cauchemars. Il existerait quinze types de prises électriques domestiques à travers le monde, huit tensions, deux types de fréquences. Tout ça pour pouvoir juste faire marcher des sèche-cheveux ou des aspirateurs ! Quelqu’un peut-il expliquer pourquoi, après deux guerres mondiales et soixante ans de construction européenne, et alors qu’ils réussissent à construire des avions et des fusées ensemble, les Français ont des prises de terre avec un trou en bas et les Allemands avec deux ergots sur le côté ?
On peut raisonnablement espérer que, dans un monde idéal, les appareils électriques, au même titre que les casques audio, la viande, les asperges ou les haricots verts, seraient tous sans fil. Fini le démêlage des nœuds qui réapparaissent mystérieusement au fond de votre sac à main. Fini le branchement périlleux de l’appareil à raclette en équilibre derrière l’écran de télévision à 2 000 euro. Fini le câble trop court de l’aspirateur qui s’arrête juste avant la fin du tapis. Le pétrole et le charbon sont peut-être des énergies du passé, il n’en demeure pas moins qu’elles vous offrent un degré d’autonomie à peu près incomparable et des modalités de chargement basées sur un principe qui a fait ses preuves : un réservoir qu’on remplit. Pile à combustible ou chargement par induction, on s’en fiche, tant qu’on est débarrassé de ces fils indignes et autres prises de têtes.