Théatre

Presque

d'Lëtzebuerger Land vom 16.10.2020

Dans le cadre des partages de plateaux – un dispositif d’entraide entre les grands et les petits théâtres du Luxembourg, pour combler les problématiques de jauge liées aux mesures sanitaires – se jouait Comme s’il en pleuvait, une production du TOL, mise en scène par Jérôme Varanfrain, au Théâtre des Capucins. Sous nos masques, nos sourires se sont parfois ouverts devant cette comédie vaudevillesque, un tantinet trop généreuse dans le jeu, mais, menée en toute conscience et confiance de son parti pris.

Laurence et Bruno sont un couple aux valeurs de gauche, quand ils commencent à trouver un billet de 100 euros, puis des liasses s’amonceler par magie dans leur appartement, comme s’il en pleuvait, donc, ils se retrouvent aussi envahis par bien d’autres opinions. Eux qui ont toujours vu l’argent comme mauvais, perdent petit à petit le nord face à ce monceau de fric. Quand le voisin du dessus, fou et impulsif, frappe à la porte s’expliquant volé, la situation prend une tournure plus tendue. Sébastien Thiéry signe là une pièce comique incisive et satirique, narrant des situations absurdes et burlesques, non dénuées d’une portée morale, situant le problème dans l’argent, même chez ceux qui n’en ont pas forcément besoin.

Dans cette mise en scène de Varanfrain tout semble malheureusement artificiel, jusqu’à laisser les étiquettes sur les objets achetés spécialement pour les représentations. Cela fait exploser le quatrième mur – comme quelques regards en salle de la part des comédiens – et ça brouille les ressorts théâtraux. Mais ne serait-ce pas prémédité ? Et si de l’absurdité du texte, on voulait nous montrer le théâtre, l’artifice justement. Ce ne serait pas si bête. On aurait là une belle mise en abîme scénique de la folie des hommes s’oubliant dans la monnaie, comme si on nous disait : « voyez, ça ne peut pas être vrai »… Mais ce choix est-il vraiment conscient?

Pourquoi, n’y a t-il pas de café dans la thermos et pourquoi y a t-il du champagne dans la bouteille ? Pourquoi un cendrier trône dans le décor, en plein milieu, sous la table basse parfaitement centrale, pour n’être utilisé qu’une seule foutue fois, à la toute fin ? Qu’importe où on écrase son cigare à ce moment-là de la pièce et même qu’on le fasse où bon lui semble, tout est déjà parti à vau-l’eau… Ce sont ce genre de « ressorts » qui vrillent. Un accessoire doit vivre autant qu’un personnage. S’il ne sert pas le récit, il doit dégager, disparaître, pour ne pas parasiter le reste.

Et puis, ce qui ennuie c’est que tout cela sent le déjà vu. Où sont passées les nouvelles interprétations des textes ? Sans doute est-il rassurant de s’inspirer de ses pairs, ou alors la sacralisation du texte classique est peut-être trop forte pour qu’on s’en éloigne. En même temps, faut-il choisir entre refaire et faire ? L’un et l’autre trouveront public, mais un seul des deux trouvera la postérité.

Certes le boulevard nous laisse de marbre, pourtant on ne peut pas dire que ce soit totalement le cas de ce Comme s’il en pleuvait qui gagne en intérêt à la faveur d’un Steeve Brudey plutôt vivifiant et des autres comédiens campant des personnages bien déterminés dans leur caricature. Quand Colette Kieffer révèle une Laurence moins sotte qu’il n’y paraît, Myriam Gracia assume pleinement le sordide cliché de la femme de ménage espagnole, et Hervé Sogne, dans ce rôle de criminel psychopathe, rappellerait « presque » Anton Chigurh, le tueur à gage de No country for old men, sapé comme Numéro 6, dans l’immense série Le Prisonnier.

Ce « presque » d’ailleurs, est le leitmotiv de ce spectacle. Quand tout débute dans un comique loufoque compréhensible, on attend une progression en descente pour le reste, espérant une substance plus sombre à la finalité de cette pièce, qui même au dernier tableau nous force « presque » le rire, alors que la situation est dramatique, voire horrifique. Alors pourquoi ne pas faire de l’humour noir ou aller vers réinterprétation dans l’absurde, d’un texte déjà absurde ? Au choix. Quoi qu’il en coûte, Comme s’il en pleuvait ne rentrera pas au panthéon des pièces de cette saison théâtrale morcelée, mais a le mérite d’exister pour l’une ou l’autre qualité, et pour nous avoir fait, un peu, marrer, même avec toute notre mauvaise foi de critique obtus.

Encore deux représentations les 21 et 22 octobre au Centre Culturel CELO (476 route de Thionville à Hesperange)

Godefroy Gordet
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