Kartheiser, Josiane: Mäi léiwen Alen

Éloge des femmes mûres?

d'Lëtzebuerger Land vom 08.11.2007

Le dernier recueil de Josiane Kartheiser, Mäi léiwen Alen, s’attaque aux femmes d’un certain âge, celles qui ont dépassé la cinquantaine, qui ont des enfants, parfois encore des parents, un mari (décevant), une jolie voiture, une grande maison, assez d’argent pour partir en vacances plusieurs fois par an (rien de moins que le Vietnam, ou l’Ile Maurice), les plus chanceuses (ou les plus infortunées) même des petits-enfants, qui sont engagées, exercent un certain nombre d’activités, entretiennent corps et santé, et parlent culture comme si elles s’y intéressaient réellement. Bref, il ne s’agit pas d’épouses de millionnaires, mais de citoyennes lambda luxembourgeoises.Ou autrement : Mäi léiwen Alen de Josiane Kartheiser est un recueil de petites histoires marrantes, dialogues grinçants, textes de cabaret satiriques, écrit en allemand et en luxembourgeois, nous livrant un portrait un peu acerbe d’une certaine génération de femmes (quelques rares fois aussi d’hommes), de leurs comportements en société (l’éternel jeu entre l’être et le paraître, le dernier étant, comme tout le monde le sait, infiniment plus important que le premier, surtout au Luxembourg), de leurs petits problèmes sentimentaux ou amoureux, de leurs envies et ennuis, etc.Mais ce n’est pas seulement ça : Quelques textes ont déjà été publiés autre part, comme par exemple « Die Schramme », texte qui raconte comment un homme d’affaires luxembourgeois, à qui on avait volé la voiture (un coup monté de sa part pour se procurer rapidement du liquide), retrouve ladite voiture aux mains d’un autre homme d’affaires polonais avec qui il va signer un gros contrat. « Die Schramme » avait déjà été publié dans l’anthologie des Walfer Bicherdeeg 2006, D’Messer am Reck. Finalement : Mäi léiwen Alen est un ensemble plutôt hétéroclite de textes railleurs : on retrouve le climat qui se moque des hommes jamais satisfaits du temps qu’il fait, quelques réflexions sur l’uniformisation qui menace nos sociétés, sur les grandes boutiques de Trèves qui attirent des cohortes de joyeux consommateurs luxembourgeois, sur le fait que la plupart des gens passent leur temps à attendre que viennent d’autres temps, c’est-à-dire, en semaine ils attendent avec impatience le week-end, au bureau ils attendent avec impatience le début des vacances, et pendant les vacances ils maugréent déjà parce qu’ils savent que dans une semaine, ils devront recommencer à travailler.Donc quoi ? : parfois, quelque chose de tendre, de chaleureux, une observation juste et délicate, comme le texte « Fiesta Hieronyma », qui raconte l’histoire d’une colocation de vieux : six septuagénaires décident d’aller vivre ensemble, comme le font les jeunes. Et tout comme ces jeunes, ils décident de faire une fête chez eux et de (comme disent encore ces mêmes jeunes) « se soûler la gueule », passant la soirée à se raconter des anecdotes salaces, jusqu’à ce que les uns finissent à moitié évanouis aux toilettes, que les autres dorment la tête sur la table et que d’autres encore se soient retirés dans leur chambre avec la jolie sexagénaire (la cadette de la soirée) que quelqu’un avait invitée. Cette danse macabre, cette fête qui ressemble un peu à un tableau de Bosch, montre que l’énergie, l’envie de vivre, d’éprouver du plaisir est loin d’avoir abandonné ces vieux corps.Malheureusement tous les textes ne sont pas aussi réussis : les nombreuses scénettes de cabaret mettant en scène les éternels insatisfaits se plaignant des éternelles mêmes sottises (conflits entre parents et enfants, dialogues entre personnages frustrés, hyperactifs, maniaques, dépressifs, etc.) manquent parfois un peu de subtilité, et présentent un ton souvent plus mordant que moqueur, plus hargneux qu’ironique.Comme le donne déjà à penser l’expression populaire célébrissime luxem­bourgeoise qu’est le titre du recueil Mäi léiwen Alen, ces textes, sans grande ambition, auraient peut-être plus d’effet sur une petite scène de cabaret, devant son petit public de vieux habitués dodelinant de la tête devant leur verre de vin de la Moselle, que dans un livre. Une vraie production luxembourgeoise, en somme. 

Josiane Kartheiser : Mäi léiwen Alen, édité à compte d’auteur, 2007 ; 144 pages ; ISBN 978-2-87996-705-9.

 

Ian de Toffoli
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