Neutralité du net

Un arrêt qui permet d’avancer

d'Lëtzebuerger Land vom 08.04.2010

Le débat sur la neutralité du Net a été relancé cette semaine par l’arrêt d’un tribunal américain qui a estimé que la FCC (Commission fédérale des communications) ne disposait pas de l’autorité requise pour contraindre le câblo-opérateur et fournisseur d’accès Comcast à traiter de la même façon tous ses abonnés. La Cour d’appel fédérale du District de Columbia a estimé que la FCC avait outrepassé ses pouvoirs et donné raison à Comcast, mis en cause pour avoir limité les échanges de certains de ses abonnés utilisant les BitTorrents, une technique prisée d’échange de fichiers.

La question de la neutralité du Net peut se résumer comme suit : les fournisseurs d’accès à Internet ont-ils le droit de privilégier certains types de trafic, ou « protocoles », et d’en contenir ou d’en bloquer d’autres, ou bien ont-ils l’obligation de se comporter comme fournisseurs « neutres » partageant équitablement entre tous leurs abonnés la bande passante disponible, indépendamment des protocoles utilisés ? La question déchaîne les passions, et pour cause : elle se trouve au confluent de la démarche commer-ciale des fournisseurs d’accès et du droit fondamental des internau-tes de choisir de quelle façon ils se servent d’Internet.

Pour autant, la décision de la Cour d’appel ne signe pas l’arrêt de mort du concept de la neutralité du Net, dont le principe semble aujourd’hui fermement ancré dans l’approche américaine. L’Electronic Frontier Foundation (EFF), organisation de défense des libertés des internautes, ne s’y est pas trompée et s’est réjouie de cet arrêt, qui a mis fin à une « carte blanche » que s’était adjugée la FCC en l’absence d’un mandat explicite du Congrès pour imposer cette fameuse neutralité. Il appartient donc désormais à la FCC et aux politiques de clarifier la situation.

La FCC avait défini en 2005 le principe de neutralité du Net qu’elle entendait faire valoir sur les réseaux américains pour appliquer d’autres mandats que lui avait confiés le Congrès. En 2007, lorsque les organisations citoyennes Public Knowledge et Free Speech avaient dénoncé la pratique de Comcast de limiter fortement ou de bloquer l’utilisation des BitTorrents par leurs abonnés, elle s’était appuyée sur ce principe pour contraindre Comcast à revoir sa politique.

Il faut dire que la double casquette de l’opérateur, qui offre à la fois des abonnements au câble télévision et des accès à Internet, le mettait en porte-à-faux et l’exposait plus que d’autres à la suspicion de manque de neutralité. Quoi de plus tentant en effet pour une société comme Comcast d’endiguer des services Internet qui permettent d’accéder sans frais additionnels aux contenus payants offerts sur le câble TV ?

Avec cet arrêt, la FCC n’a pas perdu la bataille de la neutralité du Net, loin s’en faut. Sans dévoiler ses intentions, elle a indiqué rester attachée au principe d’un « Internet ouvert ». La première solution la plus rapide qui s’offre à elle est de redéfinir l’accès à Internet comme un service hautement réglementé, ce qui lui donnerait automatiquement le droit d’empêcher les pratiques discriminatoires des fournisseurs. Elle pourrait alors mettre en œuvre sans attendre ses plans ambitieux de déploiement de réseaux d’accès de nouvelle génération. La deuxième consisterait à faire appel de la décision de cette semaine. La troisième, la plus élégante mais qui demanderait sans doute plus de temps, serait qu’elle demande au Congrès de préciser le principe de neutralité du Net et de lui confier un mandat pour l’imposer.

Si la FCC choisit la première option, il s’agira pour les fournisseurs d’accès et opérateurs téléphoniques du pire résultat imaginable pour la plainte de Comcast en ce qu’elle réduira sensiblement leur marge de manœuvre. Ben Scott, de l’organisation Free Press, a estimé que c’était la solution la plus vraisemblable, ajoutant, malicieux : « Comcast a brandi la hache contre la FCC pour protester contre son ordre relatif aux BitTorrents. Et ils ont coupé net à travers le bras de la FCC et plongé la hache dans leur propre dos ».

Jean Lasar
© 2024 d’Lëtzebuerger Land