Nous vivons depuis 10 000 ans environ à l’époque interglaciaire de l’Holocène, selon les démarcations officielles des géologues. Vers la fin du XXe siècle, des scientifiques ont proposé de parler désormais d’Anthropocène parce que pour la première fois dans l’histoire de la terre, l’activité de l’homme laisse des traces durables comparables à celles dont se servent les géologues pour définir les grandes ères. L’idée fait son chemin au sein des instances scientifiques. D’autres ont proposé « Capitalocène », histoire de désigner le système économique dominant comme facteur responsable de l’altération en profondeur des équilibres de la planète, ou, sur un mode humoristique, « Ohshit!ocene » ou « Stupidocène ».
Alors que les incendies deviennent des impacts visibles du réchauffement, l’historien américain Steve Pyne a lancé en 2015 une autre dénomination. Professeur émérite à l’université de l’Arizona, il a proposé de qualifier l’époque géologique actuelle de « Pyrocène ». L’ère du feu résulte de la capacité de l’homme de « cuire les paysages ». Synonyme dans son esprit de la notion d’Anthropocène, celle du Pyrocène ajoute selon lui un éclairage utile face au réchauffement et à ses causes.
« La source motrice environnementale derrière l’Anthropocène a été notre contrôle du feu », dit-Pyne, depuis que celui-ci nous a permis de cuire notre nourriture ou de brûler des forêts, mais aussi les énergies fossiles.
Ce qui intéresse Pyne, ce sont surtout les moments d’interaction entre nos pratiques liées aux énergies fossiles et les grands incendies. Il cite celui de Fort Murray, au Canada, une ville entièrement vouée à l’exploitation des schistes bitumineux, qu’un brasier dantesque a engloutie en 2016. Ou les feux causés par les lignes de haute tension et équipements vieillissants de la compagnie d’électricité californienne Pacific Gas and Electric (PG&E). Traversant des forêts réduites à l’état de poudrière, ceux-ci ont causé 1 500 départs de feu sur les six dernières années.
Actualisant cette approche à la lumière des terribles « Forever Bushfires » qui mettent l’Australie à genoux, Steve Pyne souligne que si le pays a déjà connu des feux meurtriers dans le passé, dont ceux du Black Saturday qui avait fait 173 morts en février 2009 dans l’État de Victoria, le phénomène se multiplie et s’aggrave ces dernières années.
Là aussi, les lignes électriques sont souvent à leur origine. Il assène : « Nous avons brûlé notre chandelle de la combustion par les deux bouts. C’est l’heure de payer, et les deux types de feux entrent en collision ». Ce qui nous vaut « des feux inarrêtables, des morts dues aux feux, des réfugiés du feu, des villes fumées et incinérées, des réservoirs aquatiques endommagés et des inondations post-incendie, des désastres économiques dus au tourisme perdu, des compagnies d’électricité en faillite, des compagnies d’assurances anesthésiées ». Le Pyrocène, prédit-il, nous affectera tous et durera longtemps.