Chroniques de l’urgence

Forêt, la meilleure des clims

d'Lëtzebuerger Land du 13.12.2019

Planter des arbres pour capturer du gaz carbonique et ralentir la crise climatique, voilà un mot d’ordre dont la pertinence commence à être assez universellement reconnue. Or, face au réchauffement, la forêt est aussi, en plus, le meilleur thermostat que nous ayons à notre disposition pour lutter localement contre l’emballement des températures. C’est le message central du biologiste Pierre Ibisch, du Centre de développement durable d’Eberswalde, près de Berlin, porté de manière convaincante lors d’une récente conférence organisée par le Mouvement écologique et l’Association des forestiers luxembourgeois.

Le constat d’Ibisch sur la situation mondiale des forêts n’a rien de réjouissant. Pratiquement partout, les arbres meurent et les écosystèmes forestiers s’effondrent sous l’effet des multiples agressions auxquelles l’humanité les soumet. Déforestation au profit d’une agriculture destructrice, morcèlement, réchauffement, choix de gestion calamiteux reposant sur un savoir sylvicole d’avant la crise climatique, exploitation commerciale inconsidérée, tout concourt aujourd’hui à les mettre sous pression. Espérer renverser la vapeur en s’appuyant sur le seul argument de la capture de CO2 pour reforester et afforester massivement est sans doute illusoire. Mais si l’on y ajoute la dimension du rafraîchissement local que garantit une forêt saine et robuste, les perspectives de créer d’amples coalitions salvatrices s’améliorent.

Pierre Ibisch montre, études et cartes détaillées à l’appui, que l’écart de température entre zones découvertes, forêts gérées « à l’ancienne » (c’est-à-dire « nettoyées » et plantées en monoculture) et forêts laissées à l’état naturel (essences natives diverses, maintien du bois mort comme réserve de biomasse et d’eau, ainsi que comme habitat d’espèces) est considérable. La différence atteint facilement dix degrés Celsius. Dans le cas extrême et emblématique du Hambacher Forst, où RWE s’entête envers et contre tout à vouloir extraire du lignite, l’écart entre les riches forêts natives et les surfaces lunaires que laissent derrière eux les engins qui extraient le charbon à ciel ouvert peut atteindre 25 degrés !

Pour autant, Ibisch ne veut en aucun cas que son discours puisse suggérer que l’on puisse renoncer à sortir de toute urgence des énergies fossiles. Il fait sienne l’apostrophe de Greta Thunberg « I want you to panic », tout en recommandant, pour nos forêts, de rester « cool », c’est-à-dire : s’armer de patience, systématiquement revisiter le savoir sylvicole à la lumière du changement climatique, quantifier l’apport rafraîchissant et préservateur de biodiversité de forêts laissées à l’état naturel, le tout permettant de disposer d’un levier contre les approches exclusivement commerciales des différentes filières bois. Bien que cela puisse sembler aller de soi, Ibisch sait d’expérience qu’il faut, même chez ceux chargés officiellement de veiller à leur survie, marteler ce message simple : « il faut donner à nos forêts la chance de se régénérer elles-mêmes ».

Jean Lasar
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