En début de cette année, le service de partage de photos Instagram a créé un « wellbeing-team », raconte Veronika Wulf dans la Süddeutsche Zeitung (du 4 avril). L’objectif de cette taskforce n’est pas plus clair que ses modes de fonctionnement. Mais Instagram aurait constaté qu’au lieu de transmettre une ambiance positive grâce aux photos de repas, de couchers du soleil et de chats, les images de bonheur et de beauté que promeuvent beaucoup de ses utilisateurs augmenteraient les sentiments négatifs comme la jalousie ou la pression sociale. Les jeunes femmes surtout souffriraient de ne pas correspondre à cet idéal de beauté et de réussite, sombrant dans de graves dépressions. « Nous voulons à nouveau transformer notre community en un lieu sûr, un endroit où le gens se sentent à l’aise », y est citée Eva Chen, une des managers d’Instagram.
Après avoir longtemps collé à Facebook, réseau désuet s’il en est, certains politiques luxembourgeois (pas tous, loin de là) viennent de découvrir Twitter pour faire circuler et commenter des informations dures, et Instagram pour afficher leur bienêtre et leur réussite. Corinne Cahen, présidente du DP, ministre de la Famille et de l’Intégration ainsi que de le Grande Région et, en premier lieu « maman » (selon son profil Instagram), fut la reine incontestée des politiques sur Facebook avant 2013 : elle y avait une rubrique quotidienne, presque journalistique, intitulée « Résumé vum Dag », dans laquelle elle commentait, regrettait ou moquait tels ou tels actualité ou fait de société – et provoquait beaucoup d’interaction. Elle était alors pour le première fois candidate à des élections législatives et entra immédiatement non seulement au parlement, mais même au gouvernement. Pourtant, jusque-là et durant douze ans, Corinne Cahen vendait des chaussures, dans le magasin traditionnel de sa famille, Chaussures Léon, avenue de la Liberté – parfois, pour la Braderie estivale, même avec l’aide de Xavier Bettel, alors encore simple élu local. Avant cela, elle fut journaliste, chez RTL, radio et télévision, d’abord comme correspondante parisienne, puis au Luxembourg, où elle présenta notamment l’émission monarchiste Place Royale.
Ce résumé de son CV est important pour la suite de ce troisième article de notre série sur la campagne électorale sur Instagram (après Claude Wiseler, CSV, et Franz Fayot, LSAP). Car sur Instagram, Corinne Cahen mêle toutes ses activités, toutes ses passions, avec un égal enthousiasme. Inscrite depuis novembre 2015 – première photo postée : les fleurs accrochées au portail de l’ambassade française au-dessus d’un « même pas peur », pour commémorer les morts des attentats à Paris –, mais peu active jusqu’au début de cette années, elle s’y adresse à un bon millier d’abonnés seulement (contre 3 600 sur Twitter et plus de 4 400 sur Facebook). La différence entre toutes ces plateformes qu’elle utilise pour communiquer, c’est que sur Instagram, la vie de Corinne Cahen, c’est que du bonheur.
Du matin au soir, du lundi au dimanche, week-ends compris, elle est engagée pour l’avenir (hashtag #webuildthefuture). À 45 ans, elle est jeune et dynamique, sort avec les amis – enfin, surtout les amiEs (#bff comme best friends forever, et #Iloveyougirls), adore ses deux filles (#lovesofmylife, #bestkidsever #cutestgirls) et assume ses responsabilités représentatives, avec le Premier ministre, son ami d’enfance Xavier Bettel (#friends and #colleagues, les légendes étant souvent accompagnées de cœurs bleus, fallait trouver), la bourgmestre Lydie Polfer ou des députés et collègues libéraux, en campagne. Elle pose aussi avec les royals, comme si elle était dans The purple rose of Cairo de Woody Allen, où les personnages quittent l’écran pour se mêler à la vraie vie. La réussite sociale de Corinne Cahen, c’est aussi d’avoir rejoint les monarques, d’être assise à leur table pour les dîners institutionnels, d’être devenue leur égal après avoir travaillé à promouvoir leur légitimité. Le Buttecksmeedchen, qui vendait des chaussures et qui, pour cela, comme dans la Bible ou les contes pour enfants, doit s’agenouiller pour chausser les clients, est devenue l’une des leurs – si ce n’est pas un vrai conte de fées !
Corinne sourit. Sur presque toutes les photos qu’elle publie sur Instagram. Elle sourit à toutes dents, la plupart des images sont d’ailleurs des selfies, que l’on reconnaît à cette habitude qu’ont les sujets de tous se tasser dans un hypothétique centre de l’image afin de ne pas en être coupés. Elle a beaucoup d’autodérision quand elle se moque de sa petite taille – « Heck, yes, I’m short. God only lets things grow until they’re perfect. Some of us didn’t take as long as others ». postait-elle en février 2016. Alors, parfois, elle triche sur les photos, mais elle le fait ironiquement et ne le cache pas, comme sur cette photo de groupe d’un voyage avec ses collègues du DP à Berlin, en avril de cette année, où ses voisins la soulèvent afin qu’elle ait la même taille (« faut bien grandir un peu »). Les réseaux sociaux sont aussi le règne de l’optimisation de soi. Donc qu’elle y pose aussi avec Serge Tonnar et Gast Waltzing, tous les deux en habit noir et nœud pap’, lors du concert des Kings of music à la Philharmonie, et qu’elle se dise #honoured, n’est que dans la logique des choses.