Exposition

Cinq positions sans lien

d'Lëtzebuerger Land vom 22.06.2018

Il est des expositions qui sont construites telles des démonstrations mathématiques, ou du moins soulèvent une interrogation posée avec un maximum de rigueur. Tel n’est pas le cas de l’exposition Art non-figuratif, à la Villa Vauban, qui réunit au-delà des générations, dates de naissance s’échelonnant de 1908 à 1954, cinq artistes : Wercollier, Kerg, Probst, Bertemes, Wolff, pour cinq positions (esthétiques) où l’on chercherait en vain quelque lien, aussi ténu soit-il. Ce qui explique sans doute la négation dans le titre, seulement, encore faudrait-il qu’il dise vrai, quitte à se poser après la question de savoir si un art non-figuratif, c’est déjà de l’abstrait, terme qui est quant à lui employé d’un bout à l’autre du catalogue.

Avec Probst, il faut commencer par lui, on reste carrément dans une représentation certaine, même si elle transforme, stylise si l’on veut, la réalité, en tenant compte de l’acquis de la peinture du vingtième siècle (Probst a peint la Winterreise vers 1980). Il s’agit en effet de figurer les 24 stations du Wanderer jusqu’à sa rencontre fatale avec le Leiermann ; elles existaient au départ dans les poèmes de Wilhelm Müller, ont été traduites en lieder par Schubert, et voici donc leur transfert pictural, d’une grande justesse, ou fidélité à l’original. Probst, à un autre moment de sa vie, de son travail, était allé plus loin vers l’abstraction, ajoutons de suite que le même mouvement de bascule, de va-et-vient, se retrouve chez Wercollier et dans les sculptures exposées (absence, au contraire, de sa période strictement géométrique), et il n’est rien de plus figuratif que son Prisonnier politique, c’est le propre de tout art engagé.

Le cas de Kerg ou de Bertemes, des empreintes, gravures en majorité pour le premier, des collages pour le second, est plus limite, du moins en l’occurrence. Le tactilisme dont Kerg se veut le propagateur tend vers l’abstraction, on lui reconnaîtra toutefois dans l’exposition une parenté indéniable avec des pages imprimées (même si les lettres ne sont pas réelles, proches d’inscriptions grecques, les textes inexistants, sauf là bien sûr où il y a référence explicite) ; un rythme typographique y est, c’est d’un bout à l’autre lié au papier. Comme le sont les collages de Bertemes, deux séries de quinze feuillets sur fond bleu nuit, quasi noir, et de neuf sur fond clair ; tous sont travaillés dans la verticalité, avec de belles ouvertures dans la première série, comme des éclatements, des blessures, ou plus positivement des inclusions d’écorce, c’est déjà ce que l’on peut lire dans l’affiche, détail grossi, de l’exposition.

Le hasard a fait arriver dans mon ordinateur en ce moment une invitation à une exposition :Abstrakt ! dans un centre d’art de Haute-Autriche. J’en extrais ces lignes sur ce qui s’appelle « ungegenständliche Malerei » : « das Spektrum reicht von gestisch prozessualen über konstruktiv strukturierte bis auf das Farbfeld konzentrierte Beiträge ». Voilà qui est juste, pour l’éventail abstrait, à vérifier pour les amateurs d’art avec la présence au château de Parz d’artistes connus à Luxembourg, comme Brandl, Gasteiger, Moser, Scheibl, Staudacher ou Zitko.

À la Villa Vauban, celui qui entre sans discussion dans pareille catégorisation (elle existe, on peut la négliger, mais les mots ont un sens), c’est Luc Wolff, avec des œuvres qui s’échelonnent des années 1990 à nos jours. Avec pour les unes une plus forte coloration bistre et des gestes larges, pour les autres, une luminosité toute blanchâtre et quelque chose qui se rapproche de ce qui est dit sérialisme en musique. Du point de vue de l’abstraction, sans autre relation, du côté luxembourgeois, on aurait rapproché ceux qui dans la génération du début du vingtième siècle étaient allés le plus loin, Michel Stoffel (1903), François Gillen (1914).

On ne considérera donc pas l’exposition selon le sujet qu’elle a l’air de traiter. On la recommandera aux visiteurs pour leur rencontre avec cinq artistes, cinq positions, on les prendra séparément. Cependant, les conditions ne sont pas non plus les meilleures. La salle de Wolff, on aime à y rester, du temps, tout seul ; dans les autres on est gêné par des accrochages trop abondants, trop serrés. C’est loin d’être idéal de passer entre deux rangées de sculptures, elles sont sous verre, encagées, poussées contre le mur ; bien sûr que les stations de la Winterreise prennent de la place, sur deux rangées superposées en plus elles ne donnent plus la continuité de la narration. Allez-y, du Schubert dans les oreilles, ou dans les oreillettes, ou du moins les textes de Müller à la main ; dommage que pour la plupart des visiteurs on n’ait pas pensé à leur faire entendre très légèrement la musique, qu’on n’ait pas non plus, la moindre des choses, affiché les textes (et donné les titres des lieder, des tableaux, en français seulement).

L’exposition Art non-figuratif à la Villa Vauban, 18, avenue Emile Reuter, L-2420 Luxembourg, dure encore jusqu’au 31 mars 2019 ; ouvert tous les jours de 10 à 18 heures, le vendredi jusqu’à 21 heures, sauf le mardi, jour de fermeture; www.villavauban.lu

Lucien Kayser
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