Panama Leaks au Luxembourg

L’avocat devant l’Abgabenordnung

d'Lëtzebuerger Land du 05.08.2016

Vers la mi-juillet, l’Administration des contributions directes a adressé à divers cabinets d’avocats une lettre demandant dans le délai d’un mois des renseignements au sujet des relations des destinataires de ces lettres avec le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca.

Plus particulièrement le bureau d’imposition Sociétés 4 de Luxembourg s’intéressait à :

« – identification des sociétés créées par votre concours en ayant recours au cabinet d’avocats Mossack Fonseca ou une de ses sociétés partenaires ;– identification des bénéficiaires ultimes de ces sociétés créées si ceux-ci sont des résidents ou des non-résidents ayant des implications pour l’imposition au Luxembourg ;– nature des prestations effectuées ;– date d’ouverture des transactions avec pièces à l’appui ;– en cas de clôture des transactions, la date de clôture avec pièces à l’appui ;– identification des personnes qui ont été (sont) habilitée(s)à effectuer ces transactions avec pièces à l’appui. »

Cette demande a été basée sur les articles 175 et 201(1) de l’AO, c’est-à-dire de l’Abgabenordnung qu’on pourrait qualifier de code de procédure fiscale, hérité de l’époque nazie et toujours en vigueur au grand-duché. L’article 175 permet à l’administration de demander et d’obtenir des renseignements de la part de personnes tierces non directement associées à la dette fiscale pour laquelle les renseignements sont réclamés. L’article 201(1), quant à lui, impose à l’administration de faire en sorte que l’évasion fiscale soit dûment combattue et que les dettes fiscales soient correctement fixées et payées.

L’administration a passé sous silence, délibéré bien sûr, l’article 177 selon lequel les avocats, entre autres, peuvent refuser de communiquer des informations à l’administration pour autant qu’ils aient assisté le contribuable dans des affaires pénales ou pour autant que les renseignements venus à leur connaissance l’aient été dans l’exécution de leur profession, à condition bien entendu qu’ils n’aient pas aidé ou conseillé leurs clients précisément dans des affaires fiscales.

Indépendamment des textes cités par l’administration, textes qui, comme dit ci-dessus, remontent à la Deuxième Guerre mondiale, mais qui ont été plusieurs fois depuis lors réécrits et modifiés en Allemagne, se pose la question de la conformité des articles 175 et suivants de l’AO avec la législation luxembourgeoise réglementant la profession d’avocat, à savoir la loi du 10 août 1991 qui à l’article 35 consacre le secret professionnel de l’avocat au regard de l’article 458 du Code pénal.

In fine ce même article prévoit que « le bâtonnier ou son représentant peut adresser aux autorités qui ont ordonné ces mesures (d’instruction) toutes observations concernant la sauvegarde du secret professionnel », en sorte que l’Ordre et son représentant par excellence le bâtonnier sont érigés en gardiens de ce secret.

Il faut encore citer, pour être complet, le règlement intérieur de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg publié au Mémorial A 39 du 6 mars 2013 qui, au point 7.1.1 régissant le secret professionnel déclare « le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps sauf disposition légale contraire ». Ce texte est repris d’une mouture antérieure du même règlement du 12 septembre 2007 déjà.

L’article 458 du Code pénal permet à tout détenteur du secret professionnel de refuser de témoigner en justice, comme il lui permet de déposer. Tout est, d’après la loi pénale, question de conscience. Le règlement de l’ordre interne du barreau de Luxembourg est différent, il est plus strict en ce sens que l’avocat ne peut pas témoigner pour révéler des secrets qu’il a appris à connaître dans l’exercice de sa profession. Le secret est absolu.

En d’autres termes, un avocat qui donnerait suite à l’administration des contributions ne pourrait pas être poursuivi pénalement, mais pourrait affronter des sanctions disciplinaires de la part de son Ordre.

À cela s’ajoute que l’article 175 est complètement détourné par l’administration de ses conditions d’application, telles que celles-ci existent dans l’AO originaire et dans la jurisprudence à laquelle son application a donné lieu à l’époque en Allemagne. En effet, le texte en question ne permet pas le recours de l’administration à un fishing for information ratissant large.

En effet, l’article 209 de l’AO prévoit en son alinéa premier : « Wenn es sich um die Ermittlung von Steueransprüchen gegen bestimmte Personen handelt, sollen andere Personen erst dann zu einer Auskunft oder zur Vorlegung von Büchern angehalten werden, wenn die Verhandlungen mit dem Steuerpflichtigen nicht zum Ziel führen oder keinen Erfolg ver-sprechen. (…) »

L’administration ne peut recourir à des informations tierces que dans un dossier déterminé, concernant un exercice spécial et visant un ou plusieurs contribuables spécifiques. Tout porte à croire qu’en l’occurrence les stratagèmes inventés par les bénéficiaires économiques finaux sont tels que l’administration ignore tout de leur identité et de leurs affaires. Bien évidemment, d’autres tiers associés au Panama Leaks, comme par exemple des banques, n’ont pas la même protection que les avocats, en sorte que ce que l’on ne peut obtenir par un détenteur du secret peut éventuellement être divulgué par un autre, moins bien protégé.

Fernand Entringer
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