Musique live

Une soirée un peu trop paisible

d'Lëtzebuerger Land vom 09.10.2020

La salle Robert Krieps tarde à se remplir. D’ici quelques minutes, le coup d’envoi de la soirée sera donné et pourtant les irréductibles groupes de fumeurs postés à l’entrée ne s’engouffreront à l’intérieur qu’au dernier moment. Les personnes déjà installées papotent tandis qu’une voix pré-enregistrée dicte les consignes de sécurité. Le masque est de rigueur pour les membres de l’audience. Manches retroussées et casquette vissée à l’envers, Damiano Picci alias Mudaze est éclairé par plusieurs spots. Face à lui, un public plutôt hétéroclite. Les retardataires entrent à pas de loup. La première partie électronique commence alors. Le talent et la bonne volonté de Mudaze, ancien du Conservatoire de Luxembourg, ne font aucun doute. Son double background, classique et électronique, fait qu’il est à l’aise dans cette configuration resserrée. Mais sa musique hybride, faite de drops et de boucles pitchées, peine à convaincre un public encore peu réceptif. Le cadre n’aide évidemment pas. On aimerait se mouvoir ou boire un verre en discutant sur un sympathique fond sonore. Hélas, le contexte nous oblige à rester de marbre face à Mudaze sur ses platines.

Après une petite révérence, la première partie quitte la scène, sous de timides applaudissements. Un spectateur grommèle, on comprend que la musique n’était pas à son gout. Arrive la tête d’affiche, Nick Sauber, qui manque de trébucher en montant sur scène. Il y a quelques mois, Nick Sauber, de son nom d’artiste Ananda Grows, a publié chez De Läbbel In Hülle und Fülle, un premier album franchement réussi (voir d’Land du 22 mai 2020). Après une première présentation sur scène lors de la dernière Nuit de la Culture à Esch-sur-Alzette, il vient défendre son projet sur les planches de Neimënster. Son disque, injustement boudé et assez vite mis de côté, avait pourtant de quoi susciter de l’intérêt. En effet, une cohérence musicale et surtout un univers visuel fort font de In Hülle und Fülle un projet atypique que ses amateurs avaient hâte de découvrir sur scène. Aux côtés du compositeur, producteur et multi-instrumentaliste, on retrouve Luca Sales au clavier, Pit Huberty à la batterie et Fred Hormain au saxophone (venu en remplacement de Paul Andrew, initialement programmé).

Qu’on se le dise, le concert est plaisant, mais beaucoup trop sage. Le principe est simple, les quatre musiciens interprètent quasiment à la lettre les huit morceaux de l’album, ne s’octroyant que quelques trop rares débordements. Entre les sessions où leur jeu net et précis couvre un environnement sonore minuté, les courtes improvisations font figure d’oasis au sein d’un set trop policé. Fred Hormain, alias Mister Goldhand, apporte cette petite touche de folie qu’on aimerait plus abondante. Les yeux constamment rivés sur ses partitions, il détonne pourtant et livre une jolie performance. Luca Sales et Pit Huberty ne déméritent pas. Leur jeu sympathique mais trop contenu accompagne bien le jeu et la voix sensible de Nick Sauber. On prend du plaisir à réentendre Inner Peace, morceau de trip hop au tempo très lent qui gagne à être joué en live.

Nicool et sa backeuse Nadja, qui étaient installées jusque-là dans le public, montent sur scène. Les deux guests de la soirée viennent interpréter My Way, titre catchy de l’opus, transformé pour l’occasion. Le tempo est légèrement accéléré, le clavier amène un petit quelque chose de funky mais pourtant, la sauce du refrain a du mal à prendre. Un micro réglé légèrement en deça gâche un peu la fête. Pour le reste, le flow de la jeune rappeuse est maitrisé. Le concert touche à sa fin, après moins de quarante minutes de show et quelques trop courtes improvisations applaudies de manière aléatoire. Un ultime titre, non déterminé, est donné en guise de rappel. Ce qui aura manqué peut-être c’est un minimum de recherche scénique. Il y avait pourtant de quoi faire. Entre la superbe cover de l’album signée Yliana Paolini Hinna et le double clip vidéo Greetings From Inner Space et Play & Explore illustré par Stefania Buzatu, le concert aurait gagné à être plus visuel et tout simplement plus vivant. Ce constat saute d’autant plus aux yeux à l’heure actuelle où une partie du public autochtone rechigne encore à retourner dans les salles, ou si ce n’est pour voir un semblant de spectacle et non pas seulement des musiciens jouer de manière amorphe pour leur entourage présent dans la salle. ● Kévin Kroczek

Kévin Kroczek
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