Dans les remblais ou sur les talus, au bord des routes, des canaux ou des terrains vagues, le coquelicot fait son grand retour. La fleur aux pétales rouges et au cœur noir s’était grandement raréfiée dans la seconde moitié du XXe siècle. En cause : la généralisation de l’usage des herbicides agressifs. Mais en France, depuis 2017, les pesticides (herbicides, fongicides, insecticides) sont interdits dans les espaces publics : promenades, forêts, espaces verts. D’où le retour des coquelicots, dont les graines ont la particularité de pouvoir rester plusieurs dizaines d’années sous terre, dans l’attente de conditions meilleures pour se développer à nouveau. En témoigne leur floraison cette année au bord du canal de l’Ourcq, en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus urbanisés de France.
Dans l’agriculture en revanche, la lutte contre les pesticides paraît lente, très lente… Depuis le « Grenelle de l’environnement » fin 2007, qui avait fixé un objectif de réduction de cinquante pour cent de l’usage des pesticides de synthèse en dix ans, les plans successifs ont échoué. Les chiffres de 2020 viennent de tomber : avec plus de 44 000 tonnes, les ventes ont augmenté en France de 23 pour cent sur un an. Certes, les autorités préfèrent retenir une baisse de vingt pour cent par rapport à la moyenne de 2012-2017. Mais pour le glyphosate, herbicide gravement toxique, les quantités vendues en 2020 (8 644 tonnes) restent comparables à celles de 2015 à 2017. Et ce malgré un crédit d’impôt accordé aux agriculteurs qui l’abandonnent. L’engagement d’Emmanuel Macron en début de mandat à y mettre fin en 2021 a fait long feu.
Dans ce contexte, la sanction prononcée le 28 juillet par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) à l’encontre de Monsanto a valeur de symbole. Mais peut-être seulement de symbole. Une amende de 400 000 euros, pour avoir fiché illégalement des personnalités, journalistes et militants, afin d’influencer le débat public sur l’autorisation ou l’interdiction du glyphosate. Un montant à comparer au chiffre d’affaires annuel de 43 milliards d’euros du groupe allemand Bayer, qui a racheté l’agrochimiste américain en 2018.
Ce n’est pas en soi la création d’un fichier de contacts pour faire du lobbying qui est illégale, explique le « gendarme » français des données personnelles, mais le fait que les quelque 200 personnes fichées n’en aient pas été informées, et que les données aient été collectées à leur insu. Être informé permet en effet de pouvoir exercer ses droits, comme les droits d’accès, d’opposition ou d’effacement. Ce qui en l’espèce n’a pas été le cas « durant plusieurs années », souligne la Cnil, jusqu’à ce que l’affaire soit révélée, en mai 2019, par le quotidien Le Monde et la chaîne de télévision France 2.
La Cnil avait alors été saisie de sept plaintes, dont l’AFP, France Télévisions, Le Monde, Le Parisien et Radio France. Et une enquête judiciaire, toujours en cours, avait été ouverte pour « collecte de données personnelles par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». L’affaire s’était aussi étendue à l’Europe, car des listes comparables existaient dans au moins six autres pays (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni) et pour les institutions européennes, dixit Bayer. Concernant près de 1 500 personnes au total.
Le chimiste allemand avait alors présenté des excuses et mis un terme « jusqu’à nouvel ordre » à sa collaboration en matière de communication avec l’agence Fleishman-Hillard, une filiale du groupe Omnicom. Affirmant aussi que le fichier n’avait plus été utilisé après le renouvellement pour cinq ans par la Commission européenne de l’autorisation du glyphosate, en 2017.
Cinq ans après, la reconduction ou non de cette autorisation promet des débats houleux dans quelques mois à Bruxelles, alors qu’aux États-Unis Bayer vient tout juste de passer une provision de 4,5 milliards de dollars pour faire face aux conséquences potentielles des poursuites judiciaires contre Monsanto visant le Roundup, un herbicide au glyphosate accusé de provoquer des cancers.
L’interdiction totale des pesticides de synthèse, réclamée en France en 2018 par l’appel « Nous voulons des coquelicots », ne semble cependant pas pour demain. Cosigné par le journaliste Fabrice Nicolino, grièvement blessé dans l’attentat de 2015 contre Charlie Hebdo, il a connu un immense succès, avec 1,2 million de signatures. Mais si les coquelicots sont parfois de retour sur les talus, la dépendance agricole aux pesticides ne faiblit pas.