Deux tiers des Français qui n’ont pas voté, des défaites cuisantes pour le Rassemblement national (RN) d’un côté et pour le parti du président de la République de l’autre, et des présidents sortants de régions, de droite comme de gauche, partout réélus. Tels sont les principaux résultats des élections régionales des
20 et 27 juin en France. Mais si ces résultats sont clairs, les enseignements à en tirer pour le scrutin présidentiel dans dix mois le sont moins.
Faut-il parler de « séisme démocratique », ou ne pas être si alarmiste ? Toujours est-il que les deux tours des régionales ont connu une abstention record : plus de 66% des Français ont fait la « grève des urnes ». Jusqu’à 87% des 18-24 ans au premier tour. Sous la Ve République, seul le référendum de 2000 sur le passage du septennat au quinquennat, pas vraiment comparable, avait connu une abstention plus forte.
Certes il y avait quelques raisons conjoncturelles, la crise du Covid, des offres politiques locales peu lisibles. Certes les raisons de l’abstention sont diverses, de la colère froide des classes populaires à l’utilisation par la jeunesse d’autres moyens d’expression pour s’engager, de la défiance vis-à-vis de la démocratie représentative à la mauvaise inscription sur les listes électorales... Reste que, scrutin après scrutin, et les législatives de 2017 comme les municipales de 2020 n’avaient pas fait exception, il s’agit d’une tendance lourde depuis trente ans. La politologue Céline Braconnier parle d’une « démocratie de l’abstention ».
L’indéniable nouveauté de ces élections régionales est que c’est l’extrême droite qui, cette fois, en a fait les frais. Le parti de Marine Le Pen, qui surfait depuis des années sur la difficulté des autres partis à mobiliser, a vu son propre électorat massivement s’abstenir. Résultat : des scores très inférieurs à ce que prédisaient les sondages, et aucune région gagnée, même pas Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Dans les Hauts-de-France, le candidat du RN a recueilli au premier tour seize points de moins que la présidente du parti en 2015.
Le paradoxe est que ce net recul intervient dans une période où les grands thèmes chers à l’ex-Front national (sécurité, immigration, islam) saturent l’espace médiatique, portés notamment par la chaîne d’information en continue CNews et le polémiste Éric Zemmour. En réalité, cette petite clique xénophobe ne représente pas le pays réel et, après la crise financière de 2008, l’austérité des années 2010, la poussée migratoire de 2015 et les attentats terroristes de 2015-2016, le pic électoral de l’extrême droite est vraisemblablement passé. Très longtemps, elle a progressé. Désormais c’est le reflux. Ce que l’on observe aussi ailleurs en Europe, comme en Autriche, en Italie ou aux Pays-Bas. Dans les villes il y a un an, le RN avait perdu au niveau national 44% de ses conseillers municipaux. Cette fois, il va régresser dans les exécutifs régionaux, et aux départementales il ne conserve que quatorze cantons sur 35. Sans jamais avoir réussi un véritable ancrage local dans le pays.
Idem pour La République en marche (LREM), le parti présidentiel, qui réunit seulement sept pour cent des suffrages au niveau national lors de ce scrutin régional. « L’ancien monde » que voulait dynamiter Emmanuel Macron fait mieux que résister, il en est le grand gagnant. Même si leur légitimité est indéniablement amoindrie par le niveau de l’abstention, tous les présidents sortants sont réélus. Sept à droite, dont Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes, Valérie Pécresse en Île-de-France ou Jean Rottner dans le Grand Est. Et cinq socialistes, dans l’ouest surtout, dont la mieux élue de tout le pays, la socialiste Carole Delga en Occitanie. À noter qu’aucun écologiste ne remporte de région.
Ces victoires de plusieurs ténors de la droite augurent d’une féroce bataille pour savoir qui en sera le candidat à l’Élysée, même si à ce stade Xavier Bertrand paraît avoir une longueur d’avance. Parti plus tôt que tous les autres, il peut se targuer d’avoir par deux fois stoppé l’extrême droite dans sa région. « Ce résultat me donne la force d’aller à la rencontre de tous les Français », a-t-il déclaré au soir du second tour : « je veux m’adresser à cette France que l’on refuse de voir, que l’on refuse d’entendre, et qui s’est abstenue ces deux dimanches », « les silencieux, les invisibles, les oubliés », « la France qui compte chaque euro pour boucler ses fins de mois ».
Dès le lendemain, sans commenter les résultats du scrutin mais comme pour acter que Xavier Bertrand était d’ores et déjà un concurrent majeur, Emmanuel Macron s’est doublement placé sur son terrain, en visitant à l’usine Renault de Douai (Nord) le futur site de production de batteries électriques du groupe chinois Envision, qui y promet 1 000 emplois en 2024. Après des décennies de désindustrialisation, le sort des classes populaires, ouvriers et employés, demeure en effet un enjeu majeur qui pourrait déterminer la présidentielle de 2022.
D’où les enseignements à tirer de ces élections régionales, qui divisent les observateurs de la vie politique française. Pour les uns, la présidentielle reste la dernière élection à participation forte, autour de 80% des électeurs, et ceux de Marine Le Pen comme d’Emmanuel Macron vont se remobiliser l’an prochain. Pour les autres, les Français refuseront de se laisser imposer le second tour que tous les sondages annoncent, le remake de 2017 Macron-Le Pen. Les régionales auraient ainsi montré que le premier tour ne serait pas plié d’avance. Macron le libéral ne serait pas le mieux placé pour mener de véritables politiques de souveraineté industrielle et agricole. Et surtout la dynamique de Marine Le Pen, à qui la victoire du RN dans une région aurait servi de tremplin pour 2022, serait enrayée. Après tout, elle ne s’était qualifiée en 2017 pour le second tour qu’avec quelques dizaines de milliers de voix d’avance sur François Fillon (droite) et Jean-Luc Mélenchon (gauche).