« L’amour, plutôt que le fatum ». C’est en ces mots que la députée macroniste Coralie Dubost a salué l’adoption, mardi 29 juin par l’Assemblée nationale, du projet de loi relatif à la bioéthique, dont elle était corapporteure. Il prévoit l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Soit l’amour et les choix de vie des êtres humains au-dessus de la pesanteur du destin et des schémas étroitement patriarcaux.
Avec ce vote historique, la France devient le onzième pays de l’Union européenne (UE) à permettre, dans la pratique ou dans la loi, l’accès à la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. Celles qui construisent leur vie conjugale sans hommes. 326 députés ont voté pour, 115 contre et 42 se sont abstenus. Comme à l’époque de la loi Veil sur l’avortement en 1974, la liberté de vote était de mise. La majorité présidentielle et la gauche ont massivement approuvé, pas la droite ni l’extrême droite.
Cette loi prévoit diverses mesures importantes comme la possibilité de connaître l’identité de son donneur pour les personnes nées d’un don de gamètes ou la conservation des ovocytes sans justification médicale. Mais la mesure phare est bien l’élargissement de la PMA, qui désigne un ensemble de techniques d’aide à la procréation, de l’insémination artificielle à la fécondation in vitro.
Jusqu’alors, seuls les couples hétérosexuels pouvaient y recourir. Il fallait forcément qu’un homme soit de la partie. Certes, une poignée de gynécologues militants la pratiquaient « hors système », mais sans sécurisation juridique de la filiation. C’est pourquoi depuis des années, nombre de lesbiennes se rendaient dans des pays étrangers où la PMA était légale. En Belgique et en Espagne surtout, pour un coût de 15 000 à 20 000 euros. Puis la mère qui n’avait pas porté l’enfant devait l’adopter, après une longue procédure. Tout cela est fini : la PMA est désormais reconnue de plein droit pour toutes les femmes, prise en charge par la Sécurité sociale, et avec une reconnaissance anticipée et commune de parentalité devant notaire.
Enfin, ont soufflé les associations lesbiennes ! Car cette victoire est « douce-amère » tant ce fut « un accouchement dans la douleur ». Tant ce fut long. Long dans ses derniers mois, avec près de 500 heures de débats parlementaires et d’atermoiements depuis deux ans. Long au regard de l’histoire aussi, un peu comme le droit de vote des femmes accordé en France plus de cinquante ans après la nation pionnière, la
Nouvelle-Zélande. Dans l’UE, pour la PMA, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Danemark, Suède, Finlande, Irlande, Espagne, Portugal et Malte ont précédé la France, sans compter hors UE le Royaume-Uni. Plusieurs pays d’Europe orientale offrent aussi l’accès des femmes seules à la PMA, mais pas à des couples. Seuls deux grands pays d’Europe de l’ouest n’autorisent toujours ni l’un ni l’autre : Allemagne et Italie.
Et long, surtout, car la France est restée bloquée près d’une décennie sur le sujet. Depuis qu’en mars 2012 François Hollande en fit une promesse de campagne, réitérée cinq ans plus tard par Emmanuel Macron. En 2013, lors de l’adoption historique du mariage homosexuel, les partisans homophobes de la « Manif pour tous » avaient pris une telle place, s’étaient tellement fait entendre, que la majorité présidentielle comme des militants gays avaient préféré laisser de côté l’extension de la PMA. Pour ses opposants, à l’époque comme ces derniers mois : « On ne veut pas d’une société sans pères ! ». Derrière, la peur que les pères perdent leur place centrale. La défense de la domination patriarcale.
Ces années perdues l’ont été pour nombre de lesbiennes qui ont vu tourner leur horloge biologique. « J’avais trente-trois ans, j’ai quarante et un ans aujourd’hui. À l’heure où j’écris, la loi n’est toujours pas votée. Nous avons été sacrifiées sur l’autel du Père tout-puissant », reprochait l’an dernier, dans Le Génie lesbien (Grasset), Alice Coffin.
Pour cette journaliste féministe et lesbienne, la situation de blocage a catalysé en France un « militantisme lesbien » : « C’est pour ne pas crever étouffées que les lesbiennes se sont mobilisées ». En une décennie, Alice Coffin et d’autres ont cofondé l’Association des journalistes LGBT, la LIG (Lesbiennes d’intérêt général) ou encore la Conférence européenne lesbienne.
Aujourd’hui, effet conjugué de cet activisme et d’une tolérance accrue de la société, la jeune génération lesbienne s’affirme plus facilement, en témoigne sa visibilité inédite dans la Marche des fiertés du 26 juin, partie pour la première fois de Pantin, en banlieue parisienne. Désormais, avec des figures diverses comme l’actrice Adèle Haenel, la réalisatrice Céline Sciamma, les chanteuses Pomme ou Angèle, l’humoriste Muriel Robin… il semble loin le temps de 1999 où la joueuse de tennis Amélie Mauresmo était bien seule à faire son coming out.
La nouvelle loi sera appliquée afin que de « premiers enfants puissent être conçus avant la fin de l’année 2021 », a promis le gouvernement. Soit avant la présidentielle de 2022, à laquelle Emmanuel Macron entend se représenter. À l’heure du bilan, ce sera la seule grande réforme étiquetée « de gauche » du quinquennat.