L’aménagement communal et le développement urbain sont des thèmes qui ne sauraient être traités de manière purement technique. Ce n’est pas que le seul cadre légal et les délais qui courent qui devraient être présentés et discutés publiquement parce que la procédure l’exige : un PAG est le fondement d’un développement urbain ordonné. Il est également un instrument de gestion qualitative des territoires. L’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal décrit clairement les objectifs du PAG, à savoir que « les Communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal ».
Le PAG de la Ville de Luxembourg actuellement en vigueur est le « Plan Joly » adopté en 1991 et élaboré au milieu des années 1980. Ce plan est depuis longtemps obsolète et ne suffit pas aux standards les plus élémentaires de la planification urbaine. Spécificité du tissu urbain, typicité des lieux, densification appropriée, mobilité, intégration dans l’environnement naturel ne sont que quelques volets absents du Plan Joly.
La Ville de Luxembourg de 2016 n’est plus celle de 1991. C’est une ville qui a dépassé le cap des 110 000 habitants, ayant vu une forte croissance démographique ces dernières années après une longue période de stagnation. La Ville connaît d’énormes problèmes de trafic, et elle doit formuler une vision forte quant à son développement à court, moyen et long terme. Des impératifs nouveaux sont apparus depuis 1991 : préservation du patrimoine architectural de la Ville, protection de l’environnement, développement durable, maîtrise des prix immobiliers. Le Plan Joly, marqué d’une empreinte très libérale, pour ne pas dire de « laissez-faire », ne peut fournir aucune réponse aux besoins de planification urbaine d’aujourd’hui. Il convenait bien à une époque de grands changements structurels, où la Ville devait avant tout répondre à une forte demande en espaces de bureaux, afin de se construire une réputation en tant que place financière européenne. Désormais, il est totalement dépassé. Bien plus: l’état d’esprit qui l’imprègne constitue une menace pour l’avenir de la Ville.
Après consultation et analyse des documents mis à disposition des citoyens, nous constatons que
– le périmètre constructible du Plan Joly est inchangé ;
– selon les prévisions de la Ville, les zones urbanisées et destinées à être urbanisées pourront accueillir quelque 150 000 habitants à l’horizon 2030 ;
– les prescriptions en vigueur dans le Plan Joly ont été reprises telles quelles dans la partie écrite des plans d’aménagement particulier « quartier existant » (PAP QE) ;
– les plans de repérage des PAP QE ne font que refléter la disparité du tissu urbain existant qui s’est, à maints endroits, développé au coup par coup, souvent au moyen de modifications ponctuelles du PAG, respectivement de PAP dressés uniquement dans le but d’augmenter la constructibilité des terrains.
Le déséquilibre entre logements et bureaux constitue depuis de nombreuses années le plus grand défi de notre Ville et est à l’origine de nombreux problèmes.
Selon les données et projections publiées dans l’étude préparatoire, l’écart entre le nombre de résidents et le nombre d’emplois va en augmentant : en 2016 le nombre d’emplois dépasse de 33 pour cent celui des résidents. Ce déséquilibre passera à quarante pour cent en 2020 et à 46 pour cent en 2030 (222 000 emplois sur 152 000 résidents).
S’il est vrai que la Ville ne maîtrise pas directement l’essor économique de notre pays, qui engendre la croissance du nombre d’emplois, il n’en reste pas moins qu’à travers son PAG et sa politique de développement urbain elle peut agir sur l’augmentation du nombre de logements.
Le quartier Cloche d’Or adjacent au quartier Ban de Gasperich s’est développé sans plan d’ensemble. Les rues ont été tracées parallèlement à la route d’Esch et dans les îlots ainsi créés, les parcelles ont été découpées au gré des besoins. Les affectations des différentes constructions varient entre commerce, artisanat et services de tout genre.
Nous constatons que la Ville de Luxembourg envisage de maintenir le quartier Cloche d’Or en tant que zone « fourre-tout » dominée par la mobilité individuelle. Le manque absolu de qualité urbanistique dans ce quartier saute aux yeux. La Cloche d’Or mérite un sérieux upgrade et devrait impérativement être soit couverte par un plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » (PAP NQ), puisqu’il s’agit d’un quartier en mutation, soit être définie en tant que zone à restructurer aux termes de l’article 55 de la loi sur l’aménagement communal.
Cette partie de la Ville, d’une envergure de quelque cinquante hectares, continuera à se développer comme quartier monofonctionnel et ne sera pas soumis à une restructuration en profondeur dont la nécessité est pourtant évidente. Les erreurs du passé, commises dans l’urbanisation du Kirchberg, sont répétées.
Nous regrettons cette politique du laissez-faire dans une aire qui constitue une réserve foncière d’envergure et dont le potentiel de développement est énorme.
Les hypothèses de croissance de la Ville font sérieusement douter du caractère réaliste du « modal split » que la Ville entend mettre en œuvre. La Ville devrait résolument miser sur une politique tendant à décourager les habitants à recourir au transport automobile individuel et devrait au contraire les encourager à privilégier la mobilité douce et les transports en commun. Cet objectif pourra être atteint notamment par une réduction des emplacements de parking privés dans les nouveaux PAP.
Il importerait aussi de promouvoir l’implantation de bornes de vélos électriques à côté des Vel’oh et des Carloh afin d’inciter les usagers à renoncer au transport en voiture dans la ville.
Il faudra coordonner cette politique avec les communes avoisinantes membres du DICI afin qu’elle produise ses pleins effets dans le sens d’une réduction sensible du trafic automobile dans la Ville. Les principes de la « ville des chemins courts » prônés dans le cadre de la coopération intercommunale sont ignorés dans le cas du quartier Cloche d’Or : la ligne de tram prévue contourne le quartier au lieu de le desservir correctement.
Ce n’est qu’à ce prix que la croissance de la population prévue par le nouveau PAG pourra se faire sans provoquer un effondrement complet du trafic dans la Ville.
Nous regrettons de ne pas trouver dans les documents accompagnant le PAG des informations précises sur l’aménagement des pôles d’échanges du transport public notamment les pôles Hamilius et place de l’Étoile. Est-ce qu’il est prévu d’aménager une gare routière à la Place de l’Étoile pour servir de Terminus à de nombreuses lignes RGTR ?
Hormis certaines règles destinées à la conservation du patrimoine, ni le PAG, ni le PAP QE ne contiennent de prescriptions mettant en perspective le profil de la Ville pour les années à venir. Les quartiers existants continueront donc à se « gentrifier » et les nouveaux quartiers, malgré leurs dix pour cent de logements dits « à coût modéré » ne proposeront pas les types de logements adéquats à une population de plus en plus mobile d’une part, et de plus en plus âgée d’autre part. Le résultat prévisible sera, comme hélas bien souvent au cours des dernières décennies, des quartiers de piètre qualité.
Sur base de ce constat, nous proposons de ne pas considérer l’étude préparatoire comme clôturée mais d’affiner les schémas directeurs en tenant compte des remarques formulées ci-avant. Le potentiel de développement est considérable et tous les projets ne se feront pas en même temps. Il serait donc judicieux de mettre en place un conseil consultatif (Gestaltungsbeirat) comprenant des hommes et femmes de l’art qui n’ont pas d’intérêts dans des projets construits sur le territoire de la Ville, et qui sont donc impartiaux. À l’heure actuelle, les services de la Ville décident seuls de la qualité des projets soumis, sans avoir recours à des considérations d’ordre qualitatif, manque de base réglementaire.
Une mixité sociale équilibrée est le meilleur moyen de combattre une ghettoïsation et une gentrification qui font que la vie urbaine devient profondément inintéressante et stérile. Or, les prix du foncier à Luxembourg-Ville rendent tout à fait inaccessible aux classes moyennes et socialement faibles le logement en Ville. S’y ajoute que la Ville encourage depuis des années la construction de logements, dans le cadre des PAP, comportant en moyenne une surface de cent mètres carrés. Au prix au mètre carré entre 8 000 et 10 000 euro, inutile de dire que de tels logements ne sont abordables que pour les « happy few ».
L’objectif proclamé de faire revenir les familles dans la Ville est illusoire en l’absence d’une volonté affirmée et affichée de combattre le phénomène des logements vides, de la mésaffectation et de la spéculation immobilière. Les surfaces inoccupées sont un facteur de désurbanisation inquiétant, avant tout dans le centre de la Ville. Hélas, les autorités communales n’ont jamais déployé les instruments pourtant existants dans la législation luxembourgeoise : taxe sur les logements vides, intervention contre la mésaffectation, exercice conséquent du droit de préemption et investissement public dans le foncier pour combattre la surchauffe des prix.
Le PAG devrait permettre à la Ville d’intervenir de manière ciblée dans la planification des quartiers. Un PAG peut préparer le terrain en définissant des zones à restructurer (article 55 de la loi sur l’aménagement communal). Cette planification urbaine devrait à notre sens tendre aux objectifs suivants :
– améliorer le vivre-ensemble, notamment en repensant la vocation des espaces verts, des places et squares publics ;
– assurer également la sécurité et le bien-être des enfants et des personnes âgées ;
– encourager la participation citoyenne et la rencontre au sein des quartiers.
Absence de participation citoyenne
Le Conseil communal de même que les habitants de la Ville auraient dû être impliqués beaucoup plus dans le processus d’élaboration du PAG et du PAP QE. Il y a dix ans, les plans de développement de quartier (les Stadtteilentwicklungspläne) s’annonçaient prometteurs et avaient laissé espérer qu’un véritable processus de participation bottom up avait été déclenché. Les Stater Sozialisten ne peuvent que déplorer que cette vague d’engouement pour le développement urbain ait été étouffée par le business as usual des collèges des bourgmestre et échevins qui se sont succédés.
Pendant toutes ces années, les Conseil communal n’a jamais eu l’occasion de mener un véritable débat sur les orientations du nouveau PAG en séance publique. Le sujet ne fût abordé que dans le cadre de trois réunions à huis clos.
Quant aux réunions de quartier organisées en 2014 dans le cadre de la refonte du PAG, il est pour le moins osé d’appeler ces manifestations « participation citoyenne ». Ces réunions étaient des faire-valoir sans retombée palpable au niveau du nouveau PAG et des PAP QE et NQ. De même, les réunions organisées fin juin/début juillet 2016 étaient des pures réunions d’information sur un PAG déjà décidé et approuvé. Il ne reste aux habitants de la Ville que l’option de formuler des observations et objections devant le Collège des échevins et bourgmestre, suivi éventuellement d’une réclamation auprès du ministre de l’Intérieur et, le cas échéant, d’un recours devant le Tribunal administratif. Un vrai dialogue citoyen est évidemment tout à fait autre chose.