Les conditions dans lesquelles le nouveau projet de Plan d’aménagement général (PAG) a été présenté sont tout à fait inacceptables : d’abord la présentation à la commission consultative, puis la présentation aux citoyens dans des séances d’information où eux aussi, abasourdis par d’innombrables renseignements d’ordre général, ne pouvaient poser les questions qui leur brûlaient les lèvres. D’ailleurs, une nouvelle fois, le collège échevinal n’a pas pris la mesure de l’intérêt des citoyens pour leur ville : salles archi-bondées, citoyens relégués à l’extérieur des salles, parfois furieux : « Se maachen de Geck mat eis » (« ils se moquent de nous ») fut la remarque excédée d’un couple devant rebrousser chemin lors de la séance d’information organisée à Neudorf. Le collège échevinal aurait dû anticiper l’intérêt des citoyens ! Ce n’est pas la première fois que les gens se retrouvent face à des portes closes par manque de place lors de séances d’information organisées par le collège échevinal.
Pourtant, rien n’aurait empêché le collège échevinal de procéder à l’information des citoyens bien avant de lancer la procédure d’enquête publique du nouveau PAG. Non seulement le collège échevinal aurait pu, mais il aurait dû informer les habitants de la ville sur ses intentions fondamentales, sur les critères déterminant les nouveaux choix de classement. Il ne faut pas oublier que les travaux en vue du nouveau PAG ont déjà eu lieu durant toute la période législative précédente ! Et des dires même de la bourgmestre, cela fait deux ans et demi que ce collège échevinal travaille intensivement à son élaboration. Le collège échevinal a choisi de mettre les gens devant une situation de fait accompli contre laquelle ils sont certes, en droit de réclamer, mais il ne leur a pas été offert l’opportunité d’être partie prenante des travaux préliminaires.
Même attitude à l’égard des conseil communal : les conseillers de l’opposition et plus particulièrement ceux du CSV ont à maintes reprises durant les années précédentes offert de participer de manière constructive à la conception du nouveau PAG. Conscients qu’un nouveau PAG est un élément central pour l’évolution d’une ville, pour la qualité de vie de ses habitants, nous aurions préféré éviter une discussion politisée pour trouver un grand consensus – seule manière de procéder, de l’avis du CSV, quand sont à la clé des points touchant à l’essentiel de la vie des gens.
Or c’est bien de cela dont il s’agit quand on touche aux fondements d’un PAG. L’existence d’une aire de jeu ou non, d’un lieu de rencontre, d’espaces verts ou autres, déterminent l’ambiance d’un quartier, son côté convivial, la possibilité d’intégration par la création d’espaces où le contact humain est favorisé. Mais c’est aussi la création de Plans d’aménagement particuliers (PAP) harmonisant côte à côte des densités plus élevées afin de permettre d’un côté le développement de commerces de quartier viables et de l’autre des densités moindres afin de permettre un trafic routier maîtrisable ainsi qu’un équilibre harmonieux entre emplois et logements. C’est tenir compte des infrastructures nécessaires dans le quartier afin que les enfants y aient des crèches, des maisons relais, des écoles en nombre suffisant, mais aussi des maisons de jeunes et d’autres lieux de convivialité. Or, qui mieux que les habitants du quartier pour rendre attentifs aux erreurs, omissions, inattentions. Il n’y a à ce niveau rien à maintenir secret.
Au-delà donc des quelques gentilles discussions lors de réunions de quartier (moins de trois pour cent de la population résidente touchée), il aurait été important d’exposer clairement les critères qui allaient déterminer des changements fondamentaux dans les classements existants du PAG. On ne peut procéder à de tels changements sans exposer, en toute transparence, les arguments sous-jacents.
Qu’est-ce qui a déterminé qu’une rue, un pâté de maisons ou seulement quelques maisons d’une rue soient classés secteur protégé (type plateau Bourbon), d’autres classés secteur protégé mais selon les critères de l’ensemble sensible, et d’autres encore hab 1(un seul logement par bâtiment) ? Nous n’avons pas de réponses ! Nous craignons d’ailleurs que ces critères n’existent pas du tout, car nos questions sont restées sans réponses.
En effet, comment par exemple expliquer, avec la pénurie de logements en Ville, que des maisons de 200 mètres carrés et même près de 300 mètres carrés aient été nouvellement classées hab1 et ne puissent donc désormais accueillir plus d’un logement ? L’évolution de la population indique que beaucoup de personnes vivent seules ou à deux. Pourquoi empêcher que ces bâtiments accueillent plus d’un ménage ?Il faudrait au moins revoir la copie pour déterminer des différences de classement plus nuancées. Pire : sont classées hab 1 de nombreuses résidences de plusieurs appartements. Quelle est la logique ?
Nous ne voyons aucune cohérence pour justifier ces changements prévus au niveau du bâti existant. Oui, nous saluons certaines intentions, dont celle de protéger une homogénéité existant dans de nombreuses rues de la capitale qui ont gardé leur caractère initial, mais nous refusons que les habitants et propriétaires des logements en ville se sentent livrés à l’arbitraire.
Venons-en justement aux bâtiments classés (secteurs dits protégés ou sensibles). Lors du premier grand jet de reclassements en 2015, nous avions déjà relevé l’incohérence de ce qui se faisait, ne pouvant admettre qu’à situation égale, des maisons soient classées ensemble sensible et d’autres non. Pour illustrer ces propos, il suffit de regarder les classements opérés dans la rue de Beggen. Des bâtiments quasiment identiques ou dans des environnements semblables, dans la même rue ont les uns été classés ensemble sensible, les autres non. La réponse du collège échevinal : il faut commencer, nous continuerons ce travail de classement.
Réponse tout à fait inacceptable : on ne peut justifier de tels changements qui touchent à la protection du patrimoine architectural de la Ville et aux droits des propriétaires (intérêts parfois en conflit), en s’en remettant au hasard. Nous avions à l’époque dit – et continuons à défendre cette position – qu’il aurait fallu non pas classer ici et là sur le territoire de la Ville, sans justification aucune des choix, mais procéder de manière systématique, sur base de critères prédéfinis et librement accessibles. Nous estimons que de tels changements au PAG ne peuvent se faire qu’en considérant l’ensemble du territoire ou du moins après avoir clairement défini un ensemble de bâtiments à analyser. Cela aurait pu être l’année de construction ou l’ensemble du quartier mais en aucun cas, on ne devrait laisser place au flou. Les travaux pour le nouveau PAG ont commencé il y a plus de dix ans, ce n’est pas trop demander que de vouloir de la cohérence pour l’ensemble des bâtiments traités et pour les critères de protection utilisés. Laisser planer le doute sur le bien-fondé des classements opérés c’est soulever chez les citoyens le sentiment de l’arbitraire.
Tout aussi incohérent et fondamental est à notre avis le fait d’envisager une croissance en emplois aussi forte sur le territoire de la Ville de Luxembourg alors que les infrastructures nécessaires pour accompagner ce développement ne sont pas prévues au même rythme – notamment en ce qui concerne la mobilité. La croissance des emplois en Ville doit être équilibrée pour ne pas avoir un impact négatif sur la qualité de vie des habitants de la Ville. Nous n’avons d’ailleurs pas compris que, pour certains scénarios, les chiffres présentés au conseil communal datent de 2012. Et plus inquiétant encore est le fait que des projections présentées laissent à craindre une situation pire encore puisque ces chiffres – de 2012 – prévoyaient pour l’année 2016, 150 000 emplois, alors que les estimations actuelles tablent sur 180 000emplois. D’autres études avancent pour 2020 des estimations allant de 200 000 à 230 000 emplois sur le territoire de la Ville. Encore de l’incohérence, encore du brouillard autour des éléments essentiels à la base des décisions prises pour établir un document aussi fondamental que le PAG.
La croissance est nécessaire, elle permet la prospérité. Mais une croissance excessivement rapide conduit à amoindrir la qualité de vie des citoyens ! Voilà pourquoi, il faut une évaluation précise de la progression des emplois et ceci en rapport avec chaque quartier. La planification des infrastructures doit aller de pair avec la croissance des emplois. Ces évaluations sont d’ailleurs tout aussi nécessaires pour les emplois que pour le développement des habitations. Nous sommes las au conseil communal d’entendre qu’on ne peut savoir le nombre d’enfants, de familles qui vont occuper les logements d’un PAP, qu’on ne peut connaître les besoins en écoles, crèches, foyers de jour et autres espaces publics. Bien évidemment qu’on ne peut savoir dans l’absolu, mais c’est bien au travers de projections qu’il faut essayer de prendre en main la planification de la Ville à moins de se contenter d’être constamment à la traîne, palliant des manques au lieu de prévoir pour l’avenir.
Ainsi par exemple ont été votés, à Belair, deux immenses PAP de part et d’autre de la rue des Aubépines. Le collège échevinal refuse de nommer un chiffre estimant le nombre d’enfants qu’il y aura à scolariser arguant simplement qu’il y a des réserves dans la nouvelle école de la rue Aloyse Kayser. Nous trouvons cette attitude irresponsable. Elle permet simplement au collège échevinal de laisser dans le flou le besoin en zones de Bâtiments et d’équipements publics (BEP).
Ces deux mêmes exemples de PAP à Belair montrent que souvent la charrue est mise avant les bœufs : sans le boulevard de Merl, la rue des Aubépines (aujourd’hui déjà totalement saturée aux heures de pointe) ne sera plus du tout à même d’évacuer le trafic routier vers la route d’Arlon et la route de Longwy. Réaliser des projets d’une telle envergure demande de concevoir d’emblée non seulement la construction d’un maximum de logements mais également de réfléchir à l’organisation de la vie de tous les jours pour les habitants notamment en ce qui concerne la mobilité.
Or le concept mobilité est assurément le parent pauvre de ce PAG. À toute question posée, la réponse donnée est une solution par le développement du tram. Or le tram n’est qu’un élément du concept global de mobilité. L’étude préparatoire pour ce PAG, les scénarios présentés au conseil communal prévoient que le tram sera opérationnel jusqu’au bout du ban de Gasperich, mais aussi jusqu’au parking Bouillon en 2024 (dans huit ans) ! Comment se fier aux dispositifs choisis d’un scénario aussi irréaliste.
L’incohérence sinon les chimères du plan mobilité présenté dans le cadre de ce PAG sont criantes. Un exemple frappant : la route d’Arlon. Sans aucun projet concret, il a été question d’un aménagement qui pourrait augmenter le trafic routier, mais également une piste cyclable nationale protégée, de même qu’un chemin piétonnier principal – ce qui implique un trottoir élargi à 2,5 mètres ! À croire que la largeur de la route d’Arlon est élastique. Autre exemple : le boulevard de Merl. Des plans prévisionnels montrent qu’en 2020 la route d’Arlon et la route de Longwy seront sur le point d’être saturées… mais la surprise c’est que ces plans incluent un boulevard de Merl opérationnel et lui aussi sur le point d’être saturé en 2020. Quelle valeur ont des plans qui incluent des boulevards qui selon toute vraisemblance n’existeront pas le moment donné ? Comment se fier dès lors aux solutions envisagées sur de telles prémisses ?
Le nouveau PAG sera l’outil de travail de demain. Il doit être intelligible, libre de toute incohérence, permettre une prise de décision en toute transparence qui ne suscite pas chez le citoyen le sentiment d’arbitraire ou d’injustice.