e-commerce

Kings of convenience

d'Lëtzebuerger Land du 12.06.2015

Temps de merde. Prise de bec avec le chef, engueulade avec la collègue d’en face parce qu’elle rit toujours trop fort et qu’on a une de ces migraines de la mort. Chien malade, enfant malade, accrochage avec une grosse tout terrain en rentrant, frigo vide... bref : journée de merde. C’est alors que, vautré sur son canapé en pyjama, muni de son ordinateur portable, on se jette volontiers sur les sites de ventes en-ligne, histoire de se consoler de tant de malheur. Sans être chiffrables, les achats compulsifs sont une des raisons du développement spectaculaire du commerce électronique, à deux chiffres, en Europe (Ecommerce Europe recense 264 millions d’e-shoppers sur le continent en 2014). C’est le collier fantaisie, la robe venue de Paris ou le beau livre dont on ressent soudain un besoin urgent. (44 pour cent des internautes luxembourgeois achètent des livres, magazines ou journaux, après les logements de vacances et avant les tickets de voyages, 39 pour cent, les billets pour un événement, 38 pour cent, ou les vêtements et articles de sport, 37 pour cent ; d’après l’enquête sur Les tics dans les ménages et chez les particuliers en 2014 du Statec).

Une fois l’objet de ses rêves déniché, que ce soit par besoin réel ou pour parer à cette frustration de la journée pourrie, il faut ouvrir un compte, soumettre ses coordonnées, tout le toutim qu’on a déjà fait mille fois sur d’autres sites, coordonnées postales, électroniques, bancaires... Et c’est alors que les choses se compliquent. Selon une présentation d’Amazon Europe à l’ICT Spring de cette année, 68 pour cent des consommateurs abandonnent la procédure d’achat en-ligne si cette procédure dure plus de trois minutes et demie. C’est pourquoi le géant de la vente sur Internet offre depuis l’automne dernier son service Login and Pay en Europe, en un premier temps en Allemagne et en Grande-Bretagne. Ce service permet de payer directement sur des sites affiliés à Amazon Payements – donc avec un seul profil, même si le commerçant est différent ; la société promet une procédure plus rapide (trente secondes, selon la présentation) et donc une fidélisation des clients.

Le grand écart que doivent faire les commerçants qui se lancent dans le commerce en-ligne est celui de trouver un équilibre entre rapidité ou commodité (la si vantée « convenience » de l’e-commerce) et sécurité des payements. Au Luxembourg, le commerce électronique a fait 460 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, selon Ecommerce Europe. Le Statec a recensé que 74 pour cent des résidents ont effectué des achats de biens et services en-ligne en 2014, souvent des jeunes ayant « un niveau d’éducation plutôt élevé et des revenus assez importants ». La Cetrel (Centre de transfert électronique ; créée en 1985) détenait longtemps le monopole en matière de payements électroniques en-ligne : les quelque 450 000 cartes de crédit qu’elle a émises au Luxembourg sont toutes potentiellement utilisables pour le payement en-ligne. « Nous sommes conscients que le payement est devenu une commodité et que des procédures de sécurité trop lourdes découragent les clients, qui abandonnent alors la procédure, concède Stefanie Hüls, executive director chez Cetrel. Mais nous devons implémenter les nouveaux standards européens de sécurité. »

Ces standards de sécurité représentent pour beaucoup de commerçants la croix et la bannière, une longue procédure administrative et une technique perçue par de nombreuses start-ups en commerce électronique comme beaucoup trop lourde est compliquée. Le payement électronique, ses difficultés, ses tarifs et ses alternatives sont un des grands sujets de discussion au sein de la toute jeune fédération du commerce électronique ecom.lu, créée en mars (voir d’Land du 24 avril). Tous les commerçants ne sont pas satisfaits des services de la Cetrel, au contraire. En cause notamment le système 3D-Secure ou Verified by Visa, une interface entre le commerçant et le client, qui le redirige vers le site de la banque à laquelle est affiliée la carte de crédit et sur laquelle il faut à nouveau donner ses coordonnées et un code afin de finaliser la transaction – c’est sur cette interface que beaucoup de clients abandonnent, parce qu’ils trouvent la page trop vieux jeu, la procédure trop compliquée ou parce qu’ils ont simplement oublié le mot de passe (cas de figure le plus répandu).

« À l’époque, il y a huit ans, quand nous nous sommes lancés, nous avons eu recours aux services de Cetrel, se souvient Jacques Lorang, un des fondateurs du supermarché en-ligne Luxcaddy. Parce que les gens étaient encore sceptiques vis-à-vis de la vente en-ligne, alors la collaboration avec un grand acteur était garant de sérieux et de sécurité, cela les rassurait. » Mais depuis, son entreprise s’est développée, a fait ses propres expériences, bonnes et mauvaises – entre autres des taux de Cetrel et de Paypal peu avantageux et un support technique qu’il fustige comme défaillant auprès de la firme de Munsbach –, et a quitté le giron Cetrel la semaine dernière. Désormais, le payement sur le site de Luxcaddy se fait via un fournisseur allemand, Wirecard, avec des standards de sécurité, notamment contre les abus, certes moins élevés, mais dont les taux plus avantageux permettent à son entreprise de s’assurer contre les pertes occasionnées par d’éventuelles fraudes. Une réaction qu’ont confirmé un certain nombre d’autres commerçants contactés par le Land. « Je crois pouvoir dire que notre offre d’e-commerce est quand même largement acceptée, nous cherchons toujours le dialogue avec les commerçants », répond Stefanie Hüls, qui se réjouit de la création d’ecom.lu, où elle espère trouver un dialogue plus direct. Cetrel, qui a été reprise à cent pour cent par le Suisse Six en 2014, a développé son propre standard de payement électronique, Saferpay, qui permet de combiner carte de crédit et services Paypal, « des solutions testées en Suisse et qui connaissent une résonance positive. » La société offre surtout une gamme de services en cas de fraude, comme la garantie de remboursement du client lésé ou des outils qui permettent au commerçant de détecter en amont un possible cas de fraude. « Sur ce marché, la sécurité est essentielle », affirme-t-elle. À chaque commerçant de trouver son point d’équilibre entre sécurité, taux et rapidité.

josée hansen
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