La Chambre a voté mercredi en faveur du Entlaaschtungspak et de sa réforme du régime fiscal accordé aux impatriés. Dorénavant les personnes recrutées à plus de 150 km pour gagner plus de 75 000 euros par an verront cinquante pour cent de leur revenu brut exonérés d’impôts, jusqu’à un plafond de 400 000 euros, ce pendant un maximum de huit années. S’ajoute dans ce paquet un renforcement du mécanisme de prime participative dont cinquante pour cent peut aussi être exonérée d’impôt. Devant ses homologues députés ce mercredi soir en plénière, David Wagner (Déi Lénk) explique ainsi qu’un directeur de banque recruté pour 400 000 euros annuels et à qui est versé une prime de 120 000 euros économisera 117 000 euros d’impôts (soit plus deux fois plus que ce que la moitié de la population gagne tout court). Le député de gauche confronte la mesure à la suppression de l’imposition du salaire minimum non qualifié proposée dans le même Entlaaschtungspak qui fera gagner onze euros par mois à celui qui le perçoit, « un plat du jour au kebab du coin ». « Voilà la politique sociale du gouvernement », dénonce David Wagner.
Le déchet fiscal de ces deux mesures (impatriés et primes participatives) destinées à un happy few au nom de la quête des talents est estimé entre 20 et 25 millions d’euros (est inclus dans ce calcul le coût de la prime pour les jeunes salariés). Un montant à contrebalancer avec « les effets dynamiques » qui seront, espère le gouvernement, générés par ces adaptations. Le dispositif pour impatriés revient de loin. Il est le descendant du mal-nommé régime de stock-options (ou warrants) prétendument conçu en 2002 pour attirer les entrepreneurs et profils super qualifiés du monde entier, mais qui avait surtout permis à des palanquées de cadres financiers bien conseillés d’exonérer autour de quarante pour cent de leur package salarial annuel causant un déchet fiscal un peu inférieur à 200 millions d’euros à la grande époque (d’Land, 10.03.2017). Un soubresaut d’équité fiscale avait mené au remplacement du régime dévoyé par un autre visant spécifiquement la main d’œuvre qualifiée étrangère avec des critères contraignant comme la nécessité de ne pas avoir vécu durant les cinq années précédant le recrutement à moins de 150km du Luxembourg. « On avait peur que les Big Four fassent bénéficier tous leurs frontaliers », sourit un ancien lobbyiste patronal. Les dispositions en passe d’être remplacées par le projet de loi voté mercredi visaient la déduction des frais réels engagés dans le cadre du déménagement des impatriés. La déduction est dorénavant forfaitaire et explicable par la volonté de financer l’installation d’une famille qui arriverait de plus en plus loin. Elle s’applique aussi au salarié d’un même groupe et ne peut bénéficier à plus de trente pour cent des effectifs.
La réforme du régime des impatriés est la disposition phare du volet compétitivité annoncé dans l’accord de coalition pour attirer les talents. Le terme apparaît onze fois dans le texte. « Le Luxembourg doit rester attractif pour les talents et ce surtout face au manque de main d’œuvre dans l’ensemble de l’économie », est-il écrit dans le programme baptisé Lëtzebuerg fir d’Zukunft stäerken. « Tous les secteurs et tous les types d’activités » sont censés être concernés. Cette intention a été répétée le 20 juin par le ministre de l’Économie Lex Delles après la première réunion du Haut comité pour l’attraction des talents, soit « toute personnes dont l’économie luxembourgeoise a besoin, peu importe son niveau de qualification, qu’il s’agisse d’un artisan installant des panneaux photovoltaïques, d’un aide-soignant, d’une informaticienne hyper-spécialisée ou de la CEO d’une banque ».
Ce Haut comité est une innovation de la coalition CSV-DP. Cet organe consultatif à disposition du gouvernement s’est réuni pour la deuxième fois la semaine passée. Face au ministre Delles, président de l’instance, deux rangées de hauts fonctionnaires des ministères du Travail, des Affaires étrangères, de l’Enseignement supérieur, des Finances, de la Formation professionnelle et de l’Immigration. La composition laisse deviner une préemption du ministre libéral sur les débats. À leurs côtés : les partenaires sociaux. Eux envoient leurs plus hauts représentants. « C’est plutôt politique et avec Carlo (Thelen, ndlr) on compte bien peser de tout notre poids », témoigne le président de la Chambre de commerce, Fernand Ernster face au Land. L’institution patronale chiffre un besoin de 270 000 salariés supplémentaires d’ici 2030, soit cinquante pour cent de l’emploi intérieur actuel, notamment à cause du départ à la retraite des baby-boomers.
À la Chambre des salariés (CSL), aussi invitée à la discussion, l’on prend aussi ce comité au sérieux, mais la présidente Nora Back se méfie davantage de son action. « Il ne faut pas tomber dans une politique de brain drain massif » au détriment de pays en développement. Le directeur de la CSL Sylvain Hoffmann regrette lui que « l’ on déroule le tapis rouge » aux profils qualifiés et que les autres ramassent les miettes. En octobre, la chambre consultative avait vivement critiqué le projet de loi de réforme du régime des impatriés. Face au Land, Sylvain Hoffmann souligne qu’il faudrait déjà rehausser le pouvoir d’achat des frontaliers qui bientôt ne trouveront plus leur compte entre le salaire net acquis et le temps de trajet subi. Le directeur de la CSL se réfère entre autres à une étude du European Trade Union Institute selon laquelle les pénuries de main d’œuvre se sont accentuées ces dernières années dans les secteurs les moins rémunérés.
Or, dans les centaines de slides compilés par le consultant mandaté par le ministère de l’Économie pour le Haut comité en charge de l’attraction des talents, on n’évoque guère les métiers les moins rémunérés. Les exposés (facturés 43 750 euros) de Steve Duncan, patron de C-Studios, « communication agency for places » basée à Amsterdam, mettent en perspective les problèmes de recrutement rencontrés au Grand-Duché exclusivement pour les postes qualifiés. Y sont en outre abordées les problématiques de baisse de la natalité, de populations vieillissantes, des industries en transitions et des « tensions politiques autour de l’immigration » qui se posent à toutes les capitales et grandes villes européennes. Dans les classements cités, le Luxembourg occupe une place honorable. Il pointe à la sixième place du classement de l’OCDE pour l’attractivité des « migrants qualifiés » et du classement de Tax Foundation sur la compétitivité fiscale. Il pêche néanmoins un peu au expat country ranking (19e) ou en maîtrise de l’anglais (22e). La présentation de C-Studios oublie par ailleurs le World Talent Ranking de l’IMD où le Luxembourg pointe à la troisième position après être passé de la 18e en 2014 à la 2e en 2023.
Le consultant compare le Grand-Duché à d’autres pays qui lui paraissent faire sens en la matière (et pas des métropoles) : L’Irlande, les Pays-Bas, le Portugal, la Suisse, le Royaume-Uni, la Belgique et la France. La plupart ont des régimes fiscaux préférentiels pour les « skilled migrants ». Sauf la Suisse qui occupe la tête des classements phares pour les expats et dont le taux d’imposition maximal ne dépasse pas 11,5 pour cent, grosso modo quatre fois moins que les autres juridictions étudiées. (La Suisse a, elle, pu obtenir pour ses 200 000 frontaliers français, qu’ils travaillent quarante pour cent du temps chez eux.) Le modèle néerlandais est, lui, similaire au cadre luxembourgeois réformé cette semaine (quoiqu’il se limite à trente pour cent du revenu exonéré pendant cinq ans). Le Portugal applique depuis 2009 un régime d’exemption fiscale pour les résidents non-habituels pour attirer les étrangers et faire revenir les expatriés portugais. Existe aussi depuis deux ans un régime pour les nomades numériques, soit les personnes qui travaillent depuis leur résidence au Portugal. Les Pays-Bas, très cotés chez les expats, ont créé des centres d’accueil, « a model for talent reception », commente Steve Duncan.
Toutes les juridictions étudiées exploitent un portail destiné à la main d’œuvre importée : Talentportugal.com, ch.ch, Holland.com, Ireland.com. L’accord de coalition prévoit un site dédié. Le ministère de l’Économie est déjà à pied d’œuvre en collaboration avec le CTIE et Steve Duncan (pour 58 000 euros). Le nom de domaine Luxembourg.com (tarifé 908 488 euros sur la plateforme de référence godaddy) a été écarté au profit de Work-in-luxembourg.lu qui bénéficiera d’une refonte complète, informe le cabinet du ministre.
Les slides du consultant Duncan informent en outre sur les attentes des « talents » via un sondage réalisé auprès de 500 profils ciblés (« targets ») basés en Chine, en France, en Inde et au Portugal. Ces « talents » priorisent pour la majorité la qualité de vie et un environnement sûr, « now more than ever » insiste le consultant. Les facteurs essentiels d’une « good life » sont la sécurité, le logement et l’accès au soin. La possibilité de voyager est aussi considérée. D’ailleurs, parmi les raisons de la relocation, les sondés placent majoritairement en premier l’amélioration du cadre de vie. Le simple argument « for a job opportunity » arrive en troisième position et loin derrière les deux facteurs sur la qualité de vie
Dans ce sondage, le Luxembourg arrive sixième sur neuf options de « relocation » en Europe, derrière la Suisse, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, que le Grand-Duché talonne (vingt et 18 pour cent). Les sondés portugais placent le Luxembourg deuxième derrière la Suisse. Les Chinois, Français et Indiens ne le placent pas sur leur podium. Les Français sont d’ailleurs ceux qui se voient le moins vivre au Luxembourg. Notons que seuls 37 et 36 pour cent des Indiens et Chinois sondés étaient en mesure d’identifier le Luxembourg (et 72 pour cent des Français !) Pourtant les sondés considèrent que le Luxembourg pourrait leur offrir l’accès à la santé et à la sécurité. Le Luxembourg est aussi perçu comme une économie proposant des salaires et avantages compétitifs, en dépit d’un coût de la vie élevé. Si bien qu’au classement associant Luxembourg comme lieu de vie et Luxembourg comme horizon professionnel, le pays double la France, l’Irlande, le Portugal et la Belgique. À la question de savoir s’ils veulent déménager au Luxembourg pour des raisons professionnelles, les Indiens et les Chinois répondent presque tous favorablement (96 et 93 pour cent), contre 68 pour cent de Français.
Les facteurs « mode de vie » du Luxembourg qui inquiètent le plus les talents répondants sont la proximité avec la famille et les amis (plutôt l’éloignement dans ce contexte), la démographie (peur de différences générationnelles), la vie nocturne et sociale, les coûts du logement et de la vie puis le climat. Consulté pour son expérience en tant que chef d’entreprise (Avanterra, logiciels pour fonds d’investissement) et ancien patron de la Fedil, Nicolas Buck explique la difficulté de recruter des jeunes dans une petite ville comme Luxembourg où les événements sociaux manquent, comme le sport professionnel, mais qui présente certains atouts comme la stabilité politique, la sécurité ou encore la richesse culturelle. Buck préconise de positionner le pays de façon humoristique, avec une formule type second degré : « C’est moche, il fait mauvais, mais on s’y sent bien malgré tout ».
Les slogans pensés par le consultant Steve Duncan sont plus lyriques : Après « Work in Luxembourg », il propose « Where creativity blooms, diversity thrives and your future prospers sustainably ». Ou encore : « Where your ambitions take root ». Duncan bâtit lui toute une stratégie marketing, avec Swot et compagnie, une « feuille de route pour élever la nation en tant que destination internationale de travail et de vie ». L’offre produit ? « La qualité de vie est ce que les talents veulent. Et le Luxembourg la produit. C’est un pays familial avec des avantages uniques comme la gratuité des transports et de la garde d’enfants (dont le coût est en fait porté par tous les contribuables et non les seuls usagers, ndlr) ». Les menaces ? Le coût élevé du logement pour les salaires modestes, la concurrence des autres métropoles en quête de talents ou encore la régionalisation de l’économie qui pourrait limiter la mobilité internationale. Mais aussi : un succès de l’attractivité pourrait nourrir un ressentiment au sein de la population locale. Les risques d’ostracisation et de xénophobie sauraient être jugulés par des éléments de langage : « No one is trying to replace Luxembourg citizens », propose Steve Duncan.
Le consultant préconise un cadre de communication vers l’intérieur et vers l’extérieur : « Luxembourg is a blank slate. Raising awareness in key markets could lead to significant gains quickly. » Parmi les principaux messages à destination domestique, « insister sur la volonté de faire revenir prioritairement des Luxembourgeois, que les boomerangs sont privilégiés ». Le consultant se réfère régulièrement à la diaspora luxembourgeoise sans vraiment l’identifier. Vient ensuite du classique avec le projet de monter des stands aux foires internationales sectorielles ou professionnelles (Web Summit, Finnovate, Vivatech), financer des campagnes de promotion, comme Luxembourg For Finance avait fait, nationalement et internationalement, en marge du Brexit. Duncan rappelle l’existence de la « LMIH Team ». LMIH pour Let’s make it happen, des services du ministère qui ont collaboré pour faire appliquer la stratégie de promotion de l’image de marque à l’attraction de talents (facturé 15 500 euros). Tous ces dispositifs de communication institutionnelle sont développés depuis 2013 déjà dans le cadre du nation branding sur la page lmih.lu. Les différents communiqués du ministère de l’Économie dont ce comité dépend ne mentionnent pas les services de Beryl Koltz (sept personnes employées par le même ministère) aux réunions dudit comité. Steve Duncan se demande quels moyens le Luxembourg est prêt à allouer pour faire valoir sa « livability ». Le haut comité se réunira au printemps de l’année prochaine.