Musique live

Ivresse féline

d'Lëtzebuerger Land vom 15.06.2018

En février 2017 est paru, sur le label californien Brainfeeder, le troisième album studio de Stephen Bruner alias Thundercat. Sur la pochette, un visage en gros plan, celui de l’artiste, immergé jusqu’à hauteur du nez. Ses yeux sont grands ouverts et injectés de sang. L’eau qui ondule reflète un environnement verdoyant et un ciel orangé style golden hour. Le titre du disque, Drunk. 23 courts morceaux mixant pop, jazz fusion, musique électronique et R&B. Le tout est produit par Flying Lotus. Kendrick Lamar et Pharrell Williams comptent parmi les quelques featurings de l’opus. Coloré, le projet est cohérent car bâti autour d’un instrument charnière, une guitare basse à six cordes, ultra présente et virtuose à tout instant. Thundercat s’y avère être un bassiste prodigue et un chanteur talentueux. Il était récemment de passage au Grand-Duché, le temps d’une date à la Rockhal, pour le plus grand plaisir de sa fanbase luxembourgeoise.

Mercredi 6 juin, en début de soirée, alors que le temps est encore clément, les terrasses de Belval sont quasiment vides. Preuve encore que la nouvelle ville, proclamée « pôle jeune » du sud du pays, ne bénéficie décidément pas de l’affluence qu’elle mérite, du moins en milieu de semaine. Avenue du Rock’n’Roll, devant la Rockhal des groupes se forment. Lowic vient d’effectuer un DJ set en guise de première partie. Les spectateurs sortent donc prendre l’air le temps de l’entracte. Beaucoup d’anglophones. On reconnaît aussi ici et là quelques musiciens autochtones venus découvrir en live leur homologue américain, qui a probablement accouché d’un disque qui fera date.

Le concert est prévu dans le Club, la petite salle, où l’espace est rempli ce soir-là aux deux tiers, peut-être un peu moins. Thundercat arrive enfin. Teinture rose et dreadlocks sous une casquette bleue. Short de boxe et T-shirt floqué de son logo. Entre ses mains, un magnifique Ibanez. Deux musiciens fidèles l’accompagnent. Dennis Hamm aux claviers et Justin Brown à la batterie. Le show démarre en trombe. Les trois acolytes enchaînent les titres de Drunk et provoquent ainsi une ivresse collective en entamant A fan’s mail (Tron song suite II), un hymne aux chats domestiques funky et tristement beau. Le titre, très court à l’origine, dépasse le quart d’heure grâce aux solos dantesques que les artistes se permettent de tisser.

Les influences de Thundercat sont variées. Il y a du Outkast, du Frank Zappa et du Chassol dans ses chansons. Sur scène, sa voix et douce et identique en tout point à celle qu’on entend sur ses enregistrements. Aucune retouche vocale. Son nom de scène est directement inspiré d’un dessin animé des années 80. Il communique d’ailleurs avec le public son amour pour la pop culture nippone et les jeux-vidéos avant d’interpréter Tokyo. Moins d’une heure après le début du spectacle, les acolytes quittent la scène avant de revenir pour un court rappel. Un quasi sans-faute pour Thundercat, Dennis Hamm et Justin Brown. Un seul bémol peut-être, la durée trop brève du concert, mais comme dirait l’autre, c’est l’intensité qui compte.

Kévin Kroczek
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