Marché de l’art

Toujours dans les cartons

d'Lëtzebuerger Land vom 16.05.2014

« Ce serait comme un incubateur qui ferait venir des gens importants, intéressants de l’extérieur au Luxembourg. » Erna Hécey se laisse facilement emporter par l’enthousiasme quand elle parle de Luxembourg Assembly, son projet de créer un événement entre foire d’art et biennale à Luxembourg. Une cinquantaine des galeries parmi les plus importantes d’Europe, voire du monde emménageraient durant trois à quatre jours tous les étés dans de grandes tentes installées au Kirchberg, près du siège de RTL Group, là où il reste encore des bouts de champs et de nature. Le document de présentation de la Luxembourg Assembly affirme avoir reçu un écho positif de galeries comme Marian Goodman et Paula Cooper de New York, Lisson et Gagosian de Londres ou encore Chantal Crousel et Kamel Menour de Paris. Ce qui serait en soi déjà une réelle caution pour l’idée.

Une idée qui n’est pas radicalement nouvelle. Elle circule depuis des années, voire des décennies, en parallèle à celle de la création d’un Musée d’art moderne. Le Mudam est ouvert depuis huit ans, la foire n’est toujours pas arrivée. Une nouvelle phase, plus concrète, a toutefois été lancée en 2011 à l’initiative d’Adriano Picinati di Torcello et de Thierry Hoeltgen de Deloitte. La société de consultance se lançait alors corps et âme dans un programme qu’elle intitulait « Art et finance » et qui avait pour ambition de créer une nouvelle niche économique au Luxembourg, autour du Freeport, qui n’en était alors encore qu’à ses balbutiements. Deloitte imaginait, autour de ce port franc, toute une chaîne de services liés au marché de l’art. « En évaluant toute la value chain luxembourgeoise avec l’émission, la titrisation et le trading à travers Split’art, tout ce qui est post-trading avec Clearstream, et ce qui relève du dépôt physique avec le port franc, nous créons quelque chose d’unique au monde », promit alors Adriano Picinati di Torcello à PaperJam (le 12 avril 2012). La foire devait être un de ces éléments de valorisation. Or, quelques mois plus tard, en novembre 2012, Split’art licencia ses huit collaborateurs et fut déclarée en faillite peu après. Depuis ce soufflet, on n’entendit plus parler « d’art et finance ».

« Adriano Picinati de Torcello m’avait approchée à l’époque avec l’idée de créer une foire d’art au Luxembourg », se souvient Erna Hécey. La galeriste revenait alors fraîchement de Bruxelles, où elle avait fermé son espace, trop grand et devenu trop cher à entretenir. Le consultant voulait être conseillé, lui demandait d’élaborer un concept pour une telle foire et promit avoir un investisseur prêt à se lancer dans l’aventure. Elle s’associa à la Canadienne Chantal Pontbriand, créatrice du magazine d’art Parachute, Head of exhibition research and development à la Tate Modern et enseignante à la Sorbonne – un poids lourd. À elles deux, elles développent l’idée de la Luxembourg Assembly jusque dans le moindre détail, jusqu’aux prix au mètre carré des stands et aux possibilités de sponsoring. Un business plan d’une centaine de pages fut remis aux partenaires du projet et aux investisseurs potentiels. Puis arriva donc la première grande désillusion, la fin de Split’art.

Or, Erna Hécey n’en démord pas. Si les anciens porteurs du projet se désistent, elle et Chantal Pontbriand s’en feraient les promotrices. Elles s’associent au bureau « d’ingénierie culturelle » parisien Lordculture (dont on connaît le nom au Luxembourg pour son audit du Mudam), reformulent et affinent le projet. Leur ambition est énorme : « L’idée est celle de l’émulation internationale, nous voulons devenir un événement entre la biennale et la foire d’art. » En guise d’exemples, elle cite Art Basel, mais aussi Davos, pour le côté rencontres et débats de haut niveau que Luxembourg Assembly voudrait organiser autour des questions ayant trait à l’art contemporain en particulier et à la culture en général. « Par mon expérience, j’ai appris que seul le contenu décide si quelque chose devient un succès ou non. » L’événement s’associerait à toutes les institutions culturelles du pays, qui en relayeraient les activités et en feraient quelque chose d’unique, attirant les amateurs d’art lors de leur pèlerinage annuel à Venise et à Bâle. Un peu comme lors de Manifesta 2 en 1998, il replacerait le Luxembourg sur la carte internationale de l’art contemporain.

Le nouveau dossier est remis début 2013 aux ministères pouvant être impliqués (Culture, Finances, Économie, Tourisme) et à la Ville de Luxembourg. Cette dernière serait favorable à l’entreprise et aurait promis au moins son soutien logistique et organisationnel, le ministère de l’Économie aurait fait entendre « officieusement » qu’il était du même avis, explique Erna Hécey, qui pourtant, un an plus tard, en mars de cette année, reçoit une lettre laconique de la nouvelle ministre de la Culture regrettant de « ne pas être en mesure de donner une suite favorable ». Nouvelle déception. La tenue d’une première édition de l’événement en 2015 est compromise, car il faut au moins deux ans de préparations pour le lancement. Peut-être pour 2016 alors ? Erna Hécey continue à chercher des investisseurs, publics et privés, sponsors ou partenaires. Le business plan évalue le budget nécessaire pour une édition à 3,2 millions d’euros (soit, en gros, le double de la dotation du Casino Luxembourg ou la moitié de celle du Mudam). Erna Hécey continue à y croire.

josée hansen
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