Les réfugiés dans l'opinion publique

Des flots de mots

d'Lëtzebuerger Land vom 11.04.2002

Le vocabulaire est souvent emprunté au monde du crime, celui des guerres ou à l'univers marin. Les journalistes parlent alors d'« invasion », d'une « marée de réfugiés », 

d'« illégaux » qui abuseraient des pays d'accueil et représenteraient une menace pour les identités nationales. « ...We resent the scroungers, beggars and crooks who are prepared to cross every country in Europe to reach our generous benefits system, » écrivait le tabloïd anglais The Sun le 7 mars 2001 ; trois jours plus tôt, ses collègues du Mail on Sunday s'étaient inquiétés que « asylum cheats are a threat to our future ». Lorsque l'OIM, l'Organisation internationale pour les migrations, préparait la campagne de sensibilisation pour les droits des demandeurs d'asile et des réfugiés (voir page 30), les études préliminaires ont très vite prouvé l'importance de la presse dans la perception et la représentation des personnes ayant besoin de protection internationale. 

À Lisbonne, vendredi dernier, un colloque de journalistes européens qui écrivent sur les migrations, organisé par l'OIM, devait participer à développer des codes de conduite en partageant les bonnes pratiques de chaque pays. Même si on prêchait un peu trop entre convaincus - il aurait fallu inviter les journalistes hostiles des tabloïds -, il s'avérait qu'un échange entre des journalistes issus de situations très différentes peut aider à comparer, à mettre en perspective, à parler avec plus de précision des situations nationales et donc de démystifier. 

Pamela O'Toole par exemple, journaliste à la BBC, a eu un an pour produire une série de documentaires sur les réfugiés, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en Australie ou dans des camps de réfugiés afghans au Pakistan ou irakiens en Iran. Comme l'OIM, elle a constaté qu'en l'espace d'une dizaine, peut-être d'une quinzaine d'années, le terme de 

« demandeur d'asile » a complètement changé de symbolique et est maintenant plutôt chargé négativement.

Aussi longtemps que les gens viennent de pays en guerre ou autre situations de crise, aussi longtemps que les caméras de CNN sont sur place, les réfugiés de ces pays-là sont vus avec bienveillance, comme des persécutés ayant réellement besoin de protection. Ce phénomène est même rapporté d'Australie par la criminologue Sharon Pickering : les Indonésiens arrivant tant bien que mal sur leurs bateaux de fortune sur les côtes d'Australie étaient accusés de tous les maux alors qu'au même moment la même presse estimait qu'il fallait accueillir à bras ouverts ceux qui voulaient fuir la crise au Timor Oriental ou le Kosovo. 

Klaudia Bumci, journaliste d'origine albanaise à Radio Vatican et connaissant donc la situation des deux côtés, n'y va pas par quatre chemin : « Le problème est que les journalistes sont souvent aussi mal informés sur les réalités que les politiques. On discute toujours des réfugiés et des demandeurs d'asile comme s'il s'agissait d'un problème, on ne considère pas assez le fait que la quête de protection des personnes persécutées fait partie des droits essentiels de l'homme. »

Au Luxembourg, sans qu'il n'y ait eu de véritables excès racistes ou xénophobes, l'approche vis-à-vis des demandeurs d'asile a changé après la guerre du Kosovo, soudain, les réfugiés en grande majorité monténégrins n'ont alors plus été traités que de « réfugiés économiques ». Or, Klaudia Bumci estime que de toute façon, « de plus en plus, on en vient à la conclusion qu'il n'y a pas vraiment de différence entre être menacé de mourir de persécution dans son pays ou mourir de faim. » Si seulement 6,1 pour cent des demandeurs d'asile ont eu droit à la reconnaissance du statut de réfugié selon la Convention de Genève en 2001 au Luxembourg, les autres seront, à un moment ou à un autre, contraints de partir, voire seront rapatriés (quarante personnes en 2001).

Si les procédures d'asile sont bouchées dans nombre de pays, y compris au Luxembourg, qu'elles durent souvent plusieurs années, la raison en est peut-être aussi que cette voie est la seule possible pour un non-communautaire d'entrer légalement dans l'espace Schengen. Mardi soir, la politologue française Catherine Withol de Wenden, chercheuse au CNRS, plaidait devant l'Asti (Association de soutien aux travailleurs immigrés) pour l'ouverture des frontières de l'Union, parce que la maîtrise absolue des flux migratoires s'avère tout simplement impossible. 

N'est-il pas paradoxal que le Luxembourg par exemple refuse d'accorder un permis de travail aux quelque 3 500 demandeurs d'asile en procédure depuis des mois voire des années, dont les enfants sont scolarisés et souvent déjà luxembourgophones, alors que les chambres professionnelles et les membres du gouvernement plaident déjà pour un recours massif aux nouveaux réservoirs de main d'oeuvre de l'Europe élargie, à savoir la Roumanie et la 

Pologne ? La religion ne peut être la seule explication de cette attitude, il y a certainement aussi une volonté politique de contrôler les flux, de garder le pouvoir de dire qui a le droit d'immigrer et qui est considéré comme « illégal ». Même si la version officielle dit que le profil des demandeurs d'asile ne correspondrait pas à la demande des employeurs.

En ce moment, la question des demandeurs d'asile et des réfugiés a perdu en actualité, selon les chiffres les plus récents du Haut commissariat aux réfugiés de l'Onu (UNHCR), le nombre de demandes d'asile a chuté de huit pour cent dans les 23 pays d'observation entre octobre et novembre 2001, ils étaient un demi million en tout à demander l'asile entre janvier et octobre 2001 en Europe, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle Zélande. Au Luxembourg aussi, le ministère de la Justice put constater une baisse des demandes d'asile : en 1999, 2 921 personnes introduisaient une telle demande, alors qu'en 2000, ils n'étaient plus que 626 et en 2001, 686. 

Retour à Lisbonne. Luca Gaballo, journaliste à la RAI, raconte qu'il était délégué à Bari lorsque la deuxième vague de bateaux de demandeurs d'asile arrivaient en Italie, qui, en grande majorité, ne voulaient pas forcément arriver là. « Un jour, j'ai demandé à des Kurdes pourquoi ils avaient voulu venir en Italie et à ma question, un monde s'effondre pour eux : ils étaient persuadés qu'ils étaient en Allemagne, où leur famille les attendait. » Et il raconta comment en Italie, le discours sur les réfugiés et les immigrés a toujours à voir avec un sentiment diffus de peur - discours qui fait actuellement irruption au Luxembourg avec des spéculations souvent abracadabrantes sur les conséquences prétendument néfastes d'un « Grand-Duché à 700 000 habitants ».

Comme si souvent, le meilleur antidote est alors la démystification par l'information. Car une étude européenne de l'OIM prouvait que le rejet est inversement proportionnel au niveau d'information.

josée hansen
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