Art contemporain

Le conflit-métonymie

d'Lëtzebuerger Land vom 29.03.2019

Sans tambour ni trompette, sous-titrée « Cent ans de guerres », exposition proposée au Centre d’art Faux Mouvement à Metz, présente un déroulé lent. Au fur et à mesure que le visiteur avance dans la salle d’exposition, son regard se promène sur les œuvres. Traces éclatées et conçues à l’instar d’une forme d’universel de la guerre, le tempo s’accélère bientôt lors de la visite de la dernière salle. Nichée dans un recoin, la vidéo Plutôt mourir que mourir/ Rather die than die (2017) de Natacha Nisic offre une visualité sans précédent aux dites « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale. Alors les archives sautent parfois, l’imaginaire s’en mêle aussi, qui magnifie le masque à gaz comme réincarnation d’un Elephant Man mythifié. Les œuvres apparaissent telles des traces hantant le spectateur.

Fantômes du passé Le travail de Natacha Nisic s’attache à retrouver les traces de la Première Guerre mondiale en croisant deux histoires et deux civilisations : les Hopis, Indiens d’Amérique du Nord, engagés volontaires pour la plupart, combattant de 1917 à 1918 sur les fronts de Picardie et de la Somme et le journal clinique tenu par l’historien de l’art allemand Aby Warburg. Ce dernier collecte des centaines et des milliers d’images et de textes sur le conflit meurtrier. Warburg, père de l’iconologie, avait consacré un livre aux Hopis : le Rituel du serpent. Le télescopage de ces deux expériences temporelles convoque les fantômes d’un passé toujours pas révolu, résolu à hanter notre dernier souffle d’humanité. Conçue comme une réponse au centenaire de la Première Guerre mondiale, Sans tambour ni trompette revient sur la Guerre des tranchées mais aussi les guerres suivantes. Le parti-pris n’est volontairement pas celui d’embrasser une chronologie des conflits passés, ni même d’en dresser l’inventaire circonscrit. L’exposition ouvre des pistes de recherche liées à l’armement, la violence, l’hostilité, la stratégie, les déplacements de population, l’information bien plus qu’elle ne proposerait un regard arrêté.

Détournement L’absence d’hagiographie des conflits pointe aussi au travers du détournement. À l’image de ces Alliances, les accords internationaux (2014) de Léa Le Bricomte, œuvre-métonymie par excellence, qui présente une veste militaire sertie de médailles et parée d’autant d’attributs qu’elle représente de conflits différents : de la Première Guerre mondiale à la guerre d’Algérie (1954-1962). Les travaux de l’artiste sont pourtant loin de souhaiter magnifier une antienne des guerres et un Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre) au refrain antédiluvien. Les objets donnant une matérialité aux conflits armés, comme la veste militaire ou les obus de mortier, se voient affublés d’une autre fonction. Décontextualisés et recontextualisés, ils acquièrent une nouvelle signification. Le processus de détournement désinvestit ces objets de leur charge symbolique. Morgane Denzler se livre à une autre forme de détournement au travers de Ceux qui restent (2012-2016). À Beyrouth en 2010, elle commence à récolter des photographies datées des années 1960-1970. De ces images en noir et blanc de vacances, de paysages ou de vie quotidienne, elle souhaiterait tirer un récit qui permettrait de tisser les fils de cette mémoire libanaise. Devant ces difficultés, elle décide d’aller à la rencontre de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à Beyrouth. Ceux qui restent, métonymie des vides et des blancs de l’Histoire libanaise, met en exergue cette quête d’un récit commun sous la forme originale de l’impression sur puzzle.

Réunissant les œuvres de 17 artistes travaillant en France, en Pologne, en Afrique du Sud, en Belgique ou encore en Italie, Sans tambour ni trompette télescope images et récits. Les œuvres se font métonymies des conflits passés. Détournées, elles offrent de contempler une partie de l’histoire internationale d’un œil neuf. Détachées de leur gangue historique, elles peuvent envahir notre présent.

L’exposition Sans tambour ni trompette, Cent ans de guerres dure encore jusqu’au 28 avril au Centre Faux Mouvement à Metz ; https://fauxmouvement.wixsite.com/faux-mouvement

Florence Lhote
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