Un sujet s’invite dans le programme de travail de la nouvelle coalition, un héritage des devoirs mal faits par l’ancien gouvernement : l’habilitation au secret. La Commission des institutions de la Chambre devait s’en saisir ce vendredi. Il a déjà été évoqué la semaine passée en plénière à l’initiative de Fernand Kartheiser (ADR), très soucieux des questions de sécurité nationale et de souveraineté, comme Marc Spautz (CSV) ou Sven Clement (Piraten), eux aussi auteurs de questions parlementaires à ce sujet ces derniers mois. Le ministre de tutelle, Xavier Bettel (DP), a toujours balayé d’un revers de main les doutes affichés sur la procédure d’habilitation au secret. Celle-ci dépend de l’Autorité nationale de sécurité (ANS), à l’intérieur du service de renseignement, institution dont la crise avait permis au libéral d’accéder au pouvoir et institution que l’intéressé a remaniée en 2016. Jusqu’au 7 octobre 2023, date du dernier courrier parlementaire qu’il a signé à ce propos, soit la veille des élections législatives, le Premier ministre a répété : « Le Luxembourg a, à tout moment, été à même de délivrer des habilitations de sécurité conformes aux normes internationales et internationales applicables. » La gestion des habilitations n’aurait « donc pas constitué de risque pour la sécurité du Luxembourg et de ses alliés ».
Sauf que… dans le projet de loi de 2016 censé améliorer l’ANS (et toujours dans les limbes du Krautmaart) est dit que cette dernière « n’est pas en mesure de connaître le contenu du dossier policier de l’intéressé et ne peut de ce fait apprécier objectivement et en connaissance de cause si le demandeur présente toutes les garanties nécessaires à l’obtention d’une habilitation de sécurité ». Un aveu d’impuissance que l’on tente de masquer. L’exposé des motifs du projet de loi 6961 souligne même un nombre assez inquiétant de manques : une circulation mal contrôlée des informations classifiées via le canal digital, leur échange au sein des entreprises ou encore les « reproches répétés » par les organisations internationales sur « l’absence de responsabilisation auprès des officiers de sécurité de l’ANS ». Il est de « l’intérêt du Luxembourg qu’il soit à même de recevoir et de donner des informations sensibles au sein de la communauté internationale (…). Toute compromission d’informations appartenant à des organisations internationales ou à de pays tiers aurait des répercussions sur les relations diplomatiques du Luxembourg », est-il écrit.
Selon la loi de 2004 sur le Srel et les habilitations de sécurité, ces dernières sont accordées aux personnes physiques présentant des garanties suffisantes, quant à la discrétion, la loyauté et l’intégrité. Elles peuvent aussi échoir aux entreprises dont la direction offre les mêmes garanties. Celles-ci sont déterminées à l’issue d’une enquête menée par l’ANS, autorité composée d’agents du service de renseignement. Or, consécutivement à un changement de pratique en 2015, les enquêteurs n’ont plus accès aux fichiers de police. Des représentants du Srel s’en sont inquiété à plusieurs reprises. En octobre 2015, l’ancien directeur du SRE, Patrick Heck, a dit au Premier ministre que le Luxembourg n’était pas en règle avec ses obligations internationales et qu’il risquait de délivrer « des habilitations de pacotille ». Patrick Heck a démissionné deux semaines plus tard. La représentation du personnel a ensuite pris le relais. Elle a souligné auprès de la directrice depuis janvier 2016, Doris Woltz, que les agents avaient pour responsabilité de s’assurer que les personnes habilitées ne représentent pas un risque pour la sécurité nationale. Et qu’ils souhaitaient ainsi bénéficier des outils nécessaires pour remplir cette fonction.
Entre 2016 et 2023, plus de 3 000 habilitations ont été accordées (en comptant les renouvellements), 527 à des entreprises privées, pour leur permettre d’accéder à des marchés sensibles. Par exemple, Hitec avec l’Agence spatiale européenne ou encore SES pour le spatial, en coopération avec les États-Unis ou l’Otan. Quelles garanties apportent ces entreprises ? Devant les parlementaires le 30 janvier, Luc Frieden (CSV) n’a pas caché son manque d’expertise après seulement neuf semaines à l’Hôtel Saint-Maximim. Le nouveau Premier ministre a résumé ce qu’on lui avait expliqué, que l’accès aux procès-verbaux de la police (affaire du « casier bis ») avait été vivement débattu à la Chambre « en un temps où je n’étais ni au gouvernement ni au Parlement » (en 2019), et que des solutions juridiques permettaient entretemps l’accès aux données. Or, ni la loi de coopération policière de 2018 ni la loi dite « casier bis » de 2023 (qui sera applicable en mars 2024) ne permettent un accès certain aux fichiers de la police. Luc Frieden s’est cependant dit prêt à en discuter en Commission. Ni l’Otan, ni les États-Unis ne se sont publiquement inquiétés du sujet.