L’affaire Systran

Renvoi devant le tribunal luxembourgeois

d'Lëtzebuerger Land vom 26.04.2013

Un litige à rallonge qui devrait connaître son dénouement devant les tribunaux luxembourgeois. L’affaire qui oppose la Commission européenne et la société Systran, spécialisée dans les systèmes de traduction automatique, doit selon la Cour de justice de l’UE être jugée par les juridictions nationales compétentes et non la justice européenne (Land du 19.04). Elle a estimé, le 18 avril, que les différends qui opposent les deux parties depuis plus de dix ans étaient de nature contractuelle et que le Tribunal de l’UE, qui avait donné raison à l’entreprise en décembre 2011, n’était pas compétent pour juger du litige et a dès lors annulé son jugement. Autrement dit, en vertu des termes des contrats liant Systran et la Commission, les tribunaux belges et/ou luxembourgeois auront à connaître du litige. (Affaire C-103/11 P)

La société française Systran, ainsi que sa filiale luxembourgeoise, avaient obtenu des juges du Tribunal de l’UE réparation pour un acte de contrefaçon à l’occasion de la réalisation de développements non autorisés sur un produit réalisé pour la Commission, suite à un appel d’offres lancé par cette dernière, en octobre 2003. S’estimant compétent pour ce problème qui ne lui ne paraissait pas de nature contractuelle, il avait enjoint à la Commission de verser 12 001 000 euros pour avoir violé les droits d’auteur et le savoir-faire détenus par Systran.

Depuis 1975, la Commission utilise le logiciel de traduction automatique Systran, développé par Peter Toma et la société américaine World Translation Center Inc (WTC), devenue en 1986, le groupe Systran. En 1987, elle a signé avec ce dernier un contrat de collaboration en vue d’adapter à la Communauté européenne la version spécifique du logiciel – EC Systran mainframe – et a développé des dictionnaires et des routines linguistiques spécifiques à ses besoins. Le contrat prévoyait que la loi belge était applicable en cas de différend entre les parties. Quatre contrats ont été conclus pour obtenir «  une licence d’utilisation » du système de traduction automatique pour des paires supplémentaires de langues.

Puis, en 1991, l’exécutif européen a mis fin à cette collaboration, et, pour assurer la maintenance du logiciel, il a fait recruter des salariés de Systran par l’intermédiaire des sociétés luxembourgeoises Informalux, puis Telindus.

La Commission a recontacté Systran en 1997 pour procéder à la migration du logiciel EC Systran mainframe vers la version Systran Unix, développée par la société depuis 1991, et a conclu en ce sens quatre contrats de migration avec le groupe.

Le premier d’entre eux autorisait la Commission à utiliser la marque Systran et les produits dérivés du système de traduction automatique d’origine pour ses besoins internes, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existaient déjà. Il stipulait que la loi luxembourgeoise était applicable en cas de différend. À la date prévue pour l’achèvement de cette migration, le 15 mars 2002, Systran devait apporter à la Commission, la preuve actualisée de tous les droits de propriété intellectuelle et industrielle liés au système de traduction automatique qu’il revendiquait. Selon l’exécutif européen, Systran Luxembourg ne lui a pas communiqué ces informations.

Le 4 octobre 2003, la Commission a lancé un appel d’offres pour la maintenance et le renforcement linguistique de son système de traduction automatique comprenant des « améliorations, adaptations et ajouts à des routines linguistiques », les « améliorations spécifiques des programmes d’analyse, de transfert et de synthèse », ainsi que les «  mises à jour du système ».

Ces travaux pour Systran portaient atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, mais l’exécutif européen a considéré que la société n’était pas en droit de s’opposer aux travaux réalisés par Gosselies, la société luxembourgeoise ayant remporté l’appel d’offres (qui n’avait aucune expertise en matière de linguistique informatique) et dont le ministre luxembourgeois de l’Économie de l’époque, Henri Grethen, DP, était actionnaire.

Systran avait, en 2007, saisi le Tribunal de l’UE d’un recours en indemnité pour le préjudice subi par une violation de droit d’auteur et de savoir-faire. Selon Systran et les juges du Tribunal, il est ici question de divulgation du savoir-faire de Systran ou de la réalisation des travaux susceptibles de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle de cette société et ces sujets ne sont pas régis par les contrats liant les parties à l’affaire. Une thèse que la Cour ne partage pas.

Elle estime en effet que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit. D’abord, il aurait dû s’interroger sur la nature même du litige. Comme celui-ci nécessitait une interprétation des contrats entre les parties et qu’aucune clause spécifiant la compétence de juridictions communautaires n’y figurait, il devait se déclarer incompétent et ne pas aborder le fond en évaluant le comportement de la Commission.

La Cour considère qu’u préalable, il convient d’examiner ces contrats et les divers échanges (de courrier, lettre d’engagement...) entre les parties qui témoignent d’«  un véritable contexte contractuel ». Ce qui doit être analysé par les juridictions nationales.

Suite au prochain épisode qui se tiendra vraisemblablement devant la justice luxembourgeoise. Si toutefois Systran n’est pas lassée de ce bras de fer avec la Commission qui lui coûté déjà très cher et pécuniairement parlant et en termes d’image auprès de ses clients effectifs ou potentiels.

Sophie Mosca
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