L’évolution du marché des changes déjoue tous les pronostics

Tout faux

d'Lëtzebuerger Land vom 08.09.2017

« Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir ». Cette citation de l’humoriste Pierre Dac (1893-1975) est parfaitement illustrée par l’observation du marché des changes depuis quelques années, et singulièrement depuis l’élection de Donald Trump. Rien ne se passe comme prévu, surtout concernant la parité entre l’euro et le dollar. Fin août, la devise européenne valait plus de 1,20 dollar, son niveau le plus élevé depuis janvier 2015. Depuis Noël elle s’est appréciée de 15,5 pour cent par rapport au billet vert. Or cette évolution contredit toutes les prévisions et commence même à inquiéter.

Depuis la généralisation des changes flottants en 1971, le marché mondial des changes est connu pour sa grande volatilité. Les cours des devises ne dépendent pas en effet seulement d’éléments économiques comme le niveau des taux d’intérêt ou les soldes des balances des paiements ; ils sont également très sensibles aux facteurs géopolitiques comme les tensions sociales dans un pays ou les risques de conflits. Cette dimension décourage souvent toutes les prévisions rationnelles. Et pourtant les montants considérables traités sur ce marché comportent un risque majeur de déstabilisation de l’économie de la planète.

Selon l’étude triennale réalisée par la Banque des Règlement Internationaux, les volumes moyens échangés quotidiennement s’élevaient à 5 100 milliards de dollars en 2016, contre 5 400 milliards en 2013. Un montant colossal qui représente une fois et demi le PIB de l’Allemagne. Il est aussi dix fois supérieur à celui des échanges sur les marchés actions et environ quatre fois celui traité sur les obligations, selon des estimations de la Deutsche Bank.

Retour en 2015. Dans la première quinzaine de mars, l’euro repassait pour la première fois depuis douze ans sous la barre de 1,10 dollar, tombant même à moins de 1,05. À cette époque, sa baisse continuelle (- 14,5 pour cent en six mois en moyenne mensuelle) était attribuée au lancement du plan de rachats de 60 milliards d’euros d’actifs par mois, annoncé par la BCE fin 2014 et devenu effectif en mars 2015, et à la comparaison entre la situation économique morose de l’Europe et celle des États-Unis, où s’accumulaient les données encourageantes. Certains analystes prévoyaient alors que la devise européenne pourrait atteindre rapidement le niveau d’un euro pour un dollar (déjà connu en juillet 2002), un objectif ouvertement souhaité par certains dirigeants politiques européens : ainsi le président français Hollande estimait que la monnaie européenne était désormais « à sa bonne parité » et que son cours allait avoir « un effet favorable pour l’activité ». Goldman Sachs allait encore plus loin, voyant l’euro à 95 cents avant le printemps 2016, à 85 cents à la fin de l’année 2016 et à 80 cents fin 2017 !

En réalité dès le printemps 2015, la monnaie unique a repris des couleurs et s’est maintenue entre 1,10 et 1,134 dollar jusqu’à la fin 2016, à l’exception d’un petit épisode de baisse fin 2015-début 2016. L’amélioration, très lente mais certaine de l’économie de la zone euro et le maintien d’une politique de taux bas aux États-Unis expliquaient largement cette situation.

L’élection surprise de Donald Trump a changé la donne et relancé les anticipations à la hausse du dollar

Son programme de baisses d’impôts pour les entreprises et les particuliers fortunés et d’investissements massifs dans les infrastructures, à hauteur de 1 000 milliards de dollars, ne pouvait manquer d’être inflationniste et de pousser les taux d’intérêt à la hausse, et le dollar avec. De fait, en décembre, avant même la prise de fonctions du nouveau président, la Fed a décidé de relever ses taux d’intérêt, laissant également entendre qu’elle pourrait à nouveau les augmenter à trois reprises en 2017, de façon à empêcher une surchauffe l’économie américaine et à conserver l’inflation autour de trois pour cent

Du côté de l’Europe, en plus d’éléments géopolitiques préoccupants (Brexit, séquence d’élections dans plusieurs pays) l’annonce par la BCE, le 8 décembre, de laisser ses taux directeurs inchangés, et de maintenir jusqu’à la fin 2017 les rachats massifs de créances, l’une de ses mesures-phares pour stimuler l’économie européenne, créait une discordance inédite, très favorable au dollar, de politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique.

Comme conséquence, entre début novembre et la veille de Noël, le dollar s’est apprécié de six pour cent environ, de sorte que l’on se rapprochait à nouveau de la parité « un-pour-un » (l’euro valait 1,039 dollar à Noël 2016).

Mais, contrairement à ce qui était attendu, il n’a cessé de perdre de la valeur depuis, déjouant une nouvelle fois toutes les prévisions. Non seulement il a baissé de 15,5 pour cent par rapport à l’euro, mais il a perdu six pour cent contre le yen et aussi face aux principales devises émergentes !

En cause, l’échec patent de la politique de Donald Trump, mais aussi les risques de conflit en Asie

Par ses foucades, changements de pied et déclarations provocantes Donald Trump s’est coupé des milieux d’affaires et même d’une partie de sa majorité au Congrès, de sorte que plusieurs réformes très attendues ont été reportées ou très édulcorées, notamment en matière fiscale. Loin de connaître un nouvel élan, la situation économique montre plusieurs « signes de fatigue » : dégradation des perspectives de croissance et de profits des entreprises, faiblesse des créations d’emploi, chute des ventes de logements neufs.. Et toujours aucun signe d’inflation, ni d’augmentation des salaires malgré une situation proche du plein-emploi, d’où une baisse importante du taux d’épargne des ménages et un recours record au crédit à la consommation. En conséquence les hausses de taux d’intérêt promises par la Fed en 2017 pourraient ne pas avoir lieu pour ne pas hypothéquer la croissance.

Par ailleurs les inquiétudes en Asie avec les menaces de la Corée du Nord créent un climat général peu propice aux affaires. Au final, et par opposition, l’euro semble être devenu un actif-refuge, au même titre que l’or. Il ne cesse de monter malgré un très léger repli début septembre. Pour Didier Saint-Georges, analyste chez Carmignac, « la force de l’euro est justifiée et durable » car la monnaie européenne « profite de sa situation au carrefour de plusieurs tendances profondes, économiques autant que politiques ». Selon lui, le niveau actuel proche de 1,20 dollar « reflète à peine sa valeur théorique en parité de pouvoir d’achat » et un renchérissement est « concevable ». Mais dans un environnement général aussi tourmenté, que valent encore des prévisions régulièrement démenties par la réalité ?

L’impact de la hausse de l’euro

« Le niveau actuel de l’euro n’est pas une menace pour les entreprises européennes »a déclaré début septembre le commissaire européen aux affaires économiques et financières Pierre Moscovicicar il « n’empêche évidemment pas nos entreprises de gagner des parts de marchéd’être fortesperformantes et compétitiveset d’exporter ».

Mais la plupart des analystes ne sont pas sur la même ligne. En pénalisant les entreprises exportatrices le raffermissement de l’euro pourrait affecter la croissance. Selon certains expertsquand le taux de change de l’euro face à un panier de devises représentatives augmente de dix pour centle taux de croissance diminue de 05 point. La hausse actuelle réduirait donc la croissance de 03 point. Fin aoûtplusieurs grandes entreprises ont déjà revu à la baisse leurs prévisions de résultats pour le dernier trimestre 2017 et pour 2018. Ce qui impactera également la Bourse.

La BCE est dans une situation délicatecar la gestion du niveau de la devise européenne ne fait pas partie de ses missions. Ainsisur ce sujetle simple silence de Mario Draghilors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole (Wyoming) le 25 août auraitde l’avis généralcontribué à faire monter la devise européenne !

Cela étanton sait que le niveau actuel de la monnaie unique pourrait faire baisser l’inflation dans la zone euro de 06 pointalors qu’elle n’est déjà que de 13 pour cent par anloin de l’objectif de la BCEqui est de la faire tendre vers les deux pour cent. La situation du marché des change impacte donc directement sa politique monétaire et remet en cause les mesures qui auraient pu être annoncées à l’automne. Il sera désormais difficile à Mario Draghi d’éluder la question de la parité de l’euro. gc

Georges Canto
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