Un renouvellement à venir historique, jamais vu depuis un siècle. Mais une abstention record tout aussi inédite, qui paradoxalement fragilise la légitimité des vainqueurs. Tels sont les deux enseignements que l’on peut tirer du premier tour des élections législatives, dimanche 11 juin. Tour d’horizon des forces en présence, avant le deuxième tour le 18 juin. Vers une victoire sans partage La dynamique du mouvement créé par et pour le président de la République est aussi fulgurante que la sienne propre. Né il y a seulement quatorze mois, La République en Marche (LREM) est arrivé largement en tête du scrutin au niveau national, en cumulant avec le MoDem centriste 32,3 pour cent des voix, devant le parti de droite Les Républicains à 21,5 pour cent. Et le scrutin majoritaire devrait amplifier cette victoire : selon les projections, LREM et MoDem devraient avoir plus de 400 députés (presque tous néophytes) sur 577, du jamais vu depuis 1958.
Les Français qui sont allés voter ont voulu, pour partie, « laisser sa chance » au président pour pouvoir agir, en lui offrant une majorité confortable. Ils ont donc souvent élus de parfaits inconnus, seule l’étiquette LREM comptait. En témoigne le Nord-Pas-de-Calais : dans ces bastions socialistes depuis plus de 40 ans, tous les députés PS ou presque ont été éliminés, à l’exception de deux sortantes, pourtant âgées, mais qui avaient obtenu l’investitue d’En Marche.
Si renouvellement des têtes il va y avoir, celui de la sociologie des futurs députés n’est pas gagné : selon le Cevipof, 68,6 pour cent des candidats LREM sont issus des catégories professionnelles supérieures (cadres, professions libérales, patrons de PME) contre seulement 8,5 pour cent des classes populaires, qui représentent la moitié de la population active.
Effondrement du PS
Si Les Républicains peuvent escompter 80 à 100 députés dans la future Assemblée, le grand perdant est sans conteste le Parti socialiste, qui pourrait passer d’environ 300 à moins de trente députés. Outre que des figures historiques ne se représentaient pas (François Hollande, Laurent Fabius), plusieurs ténors ont été éliminés dès le premier tour, parfois sèchement, comme le chef du parti Jean-Christophe Cambadélis, le candidat à l’élection présidentielle Benoît Hamon, l’ex-ministre de Mitterrand Elisabeth Guigou ou encore la récente ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, en Moselle.
Partout ou presque, le PS a été victime de ses divisions idéologiques, coincé entre le parti du président et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, qui l’a dépassé en suffrages au niveau national (11,2 pour cent contre neuf pour cent).
Le FN en fort recul
L’autre grand perdant est le Front national : après les 21,3 pour cent de voix recueillis par Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle, le score national du parti frontiste redescend sous les quatorze pour cent, à peu près identique à celui du premier tour des législatives de 2012. Marine Le Pen est en bonne position pour être élue mais, compte tenu du mode de scrutin, elle pourrait être presque seule. Pour un parti qui a accédé au second tour de la présidentielle, cela représente une contradiction démocratique et repose la question d’une dose proportionnelle, ce que le programme d’Emmanuel Macron prévoit d’instaurer.
L‘abstention à un niveau record
Le succès du président est avant tout terni par ce chiffre : 51,3 pour cent. Jamais depuis 1958 le taux d’abstention au premier tour des législatives n’avait dépassé ce seuil très symbolique de la moitié des inscrits. Après une longue séquence de campagnes électorales qui a débuté en septembre 2016, une véritable lassitude était palpable dans le pays. Et beaucoup d’électeurs des battus de la présidentielle ont estimé que l’affaire était pliée. Il n’en a pas fallu plus à Jean-Luc Mélenchon pour faire un procès en illégitimité des premières réformes à venir : « L’immensité de l’abstention montre qu’il n’y a pas, je l’affirme, de majorité dans ce pays pour détruire le code du travail et réduire les libertés publiques. »
En réalité, depuis la réforme de 2001 qui a instauré le quinquennat, l’élection des députés intervient systématiquement dans la foulée de la présidentielle, si bien que celle-ci a dévoré ou anesthésié, comme l’on veut, le scrutin législatif. Au premier tour, l’abstention est ainsi passée de 32,1 pour cent en 1997 à 35,6 en 2002, puis 39,6 en 2007, 42,8 en 2012 et 51,3 cette année.
La Vème République plus monarchique que jamais
Non seulement la présidentielle détermine donc tout, mais il y a cette fois le risque supplémentaire d’un président sans opposition, avec un parti hégémonique à l’Assemblée. Avec 24 pour cent des suffrages au premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron va vraisemblablement finir avec 75 pour cent des députés. Cette domination comporte-t-elle un risque ? Avant même le premier tour, le président de droite du Sénat, Gérard Larcher, s’interrogeait : « Imaginez une Assemblée avec LR et PS largement battus, et surtout une France insoumise et un FN faiblement représentés alors qu’ils ont obtenu à eux deux 40 quatorze (à la présidentielle). Le risque d’une colère se déversant dans la rue viendra très vite ».