Architecture et urbanisme

Espace public : un challenge !

d'Lëtzebuerger Land vom 24.02.2012

L’espace public : voilà le nouveau défi que la Ville de Luxembourg s’est donné. Mais qu’est-ce que l’espace public ? En ville, la réponse pourrait se résumer tout simplement à l’espace entre les bâtiments qui appartient au public, c’est-à-dire aux utilisateurs, aux résidents et aux habitants, à toutes catégories de personnes (enfants, personnes âgées, sans abris, jeunes, automobilistes, piétons, banquiers, skate-boarders…). Ce vaste sujet touche ainsi plusieurs ressorts et pas uniquement celui des architectes, urbanistes et aménageurs, créateurs de bâtiments et de places, mais sollicite aussi la compétence de travailleurs sociaux, d’ingénieurs de la circulation, de commerçants et de beaucoup d’autres.

Le groupe de travail « espace public » de la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, avait invité, en novembre 2010, le gourou de l’espace public, l’architecte et urbaniste Jan Gehl, à une conférence. Convaincu de son discours et de ses méthodes de mapping, de sa grande expérience internationale, le groupe de travail a insisté auprès de la Ville pour aller plus loin avec Jan Gehl. Le service de l’urbanisme et du développement urbain de la Ville a finalement invité le bureau danois à tenir un workshop d’une semaine.

La Ville de Luxembourg a incité un grand nombre des intervenants dans l’espace public à prendre part au workshop pour ainsi évoluer vers à une vraie prise de conscience. Tous les services de la ville, en passant par les services techniques tels que la circulation et la voirie, mais aussi le parc et le délégué à l’environnement, le city-manager et évidemment le service de l’urbanisme et du développement urbain y ont participé. Conscient que ce sujet ne touche pas seulement leurs services, la Ville est allé plus loin et a invité les administrations externes telles que l’Administration des ponts [&] chaussées, des Bâtiments publics et le Fonds Kirchberg à assister à la formation. Et voilà que, pendant une semaine, toutes ces grandes têtes et hauts fonctionnaires se sont penchés sur le sujet de l’espace public.

Les architectes Henriette Vamberg et Solvejg Reigstad du bureau Jan Gehl architects ont commencé, lundi soir 6 février, par une conférence au Cercle Cité, ouverte au public, et elles ont continué pendant quatre jours avec le séminaire. Leur méthode se base surtout sur le fait de passer du « je crois » au « je sais ». Jan Gehl a commencé il y a quarante ans à collecter diverses données, chiffres et paramètres dans un grand nombre de villes. L’examen précis d’une cité permet d’établir un diagnostic précis pour ensuite essayer de remédier à la ville souffrante de divers symptômes. Le bureau de Jan Gehl a ainsi acquis son expérience dans le monde entier en analysant de nombreuses cités, capitales et agglomérations et la conclusion qui sort de tous ces chiffres, études et analyses est évidente : l’échelle humaine fait trop souvent défaut dans nos villes et nos aménagements urbains.

Citons l’exemple de l’utilisateur-consommateur d’une ville : grâce à des données précises l’argument préféré des commerçants que les gens ne viennent que faire leurs courses en ville s’ils peuvent venir en voiture est balayé : des chiffres précis montrent que la population de consommateurs en ville préfère faire du lèche-vitrine en flânant le long des boutiques sur de larges trottoirs ou dans des zones piétonnes que de passer les vitrines des magasins en voiture ! Logique, non ? En complément, les statistiques montrent que le chiffre d’affaires des commerces augmente. Inviter les gens à rester en ville parce que l’espace y est agréable et sûr, qu’il n’est ni bruyant ni pollué et qu’il est rempli de vie sociale. Voilà la clef pour revenir à des villes plus vivables, plus saines et plus durables.

Mais comment les gens viennent-ils en ville alors, sans voiture ? Là aussi, les architectes du bureau de Jan Gehl plaident pour un retour aux sources, plus sain et plus humain : marcher ou prendre le vélo. Et là encore il s’agit d’inviter les gens à marcher en élargissant les trottoirs et à prendre le vélo en rendant les pistes cyclables plus sûres. Des méthodes toutes simples qui consistent par exemple à placer la piste cyclable entre le trottoir et la bande de stationnement, le cycliste est ainsi protégé de la circulation par les voitures stationnées, ce qui change de la situation au Luxembourg où les cyclistes protègent les voitures garées ! À Copenhague par exemple, 35 pour cent de la population se rend quotidiennement en vélo au travail, alors que, en comparaison la Ville de Luxembourg vient d’annoncer le chiffre 3,5 pour cent de déplacements en vélo sur son territoire.

Élargir les routes pour faire passer un flux encore plus important de voitures, faire transiter avec une vitesse grandissante le trafic à travers nos agglomérations, augmenter les places de parking au centre de la ville sont autant de démarches contraires à la logique de Jan Gehl et son approche humaine des villes. La prise de conscience doit s’installer doucement et lentement dans les têtes. Le leitmotiv de ce bureau de consultation en qualité urbaine est Cities for people (une ville pour les hommes). Les planificateurs doivent revenir à la base et mettre l’homme au centre de leur intérêt. Avant que l’homme soit automobiliste, il est d’abord piéton.

Puisant dans leur grande expérience internationale, les architectes danoises ont expliqué plusieurs méthodes dont la stratégie new-yorkaise. La ville de New-York, dont le maire Micheal Bloomberg voulait des résultats immédiats (obsession des politiciens !), a vu le Times Square, grand carrefour où grouillaient bus, taxis, automobiles et où les gens essayaient de slalomer dangereusement entre la circulation, se métamorphoser en énorme terrasse urbaine verdoyante où les cafés et les bancs publics ne désemplissent pas, dans un délai d’un an ! Une autre stratégie, plus lente, moins spectaculaire mais très efficace est celle de Copenhague, qui a commencé dans les années 1960 à éliminer annuellement deux à trois pour cent des emplacements de parking en ville et à développer parallèlement un réseau de transport en commun efficace et agréable, à améliorer son réseau de pistes cyclables et à connecter tous les quartiers de la ville pour les piétons.

Malheureusement, aucun des politiciens de la Ville de Luxembourg ne s’est pris le temps de venir à la conférence ou d’assister à une des journées du séminaire. Espérons que les fonctionnaires des différentes administrations ayant pris part au workshop ont été mordus de manière à pouvoir injecter le virus Cities for people dans la classe des décideurs.

Plus d’informations : gehlarchitects.com ; citiesforpeople.net ; pps.org/gehl.
Anne Stauder
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