Travailler plus pour gagner moins

Taxi Driver à la grecque

d'Lëtzebuerger Land vom 29.05.2015

Sociologie de taxi Ils sont probablement les thermomètres les plus exacts d’une société, voient défiler des personnes de tous les âges, toutes les classes sociales et dans toutes les situations possibles et imaginables.

Cette réalité est doublée du fait qu’aujourd’hui en Grèce, comme dans les pays du tiers monde, on peut tomber sur un chauffeur de taxi professeur d’Université – dont le salaire moyen est actuellement aux alentours de mille euros –, sur des jeunes diplômés et sur des personnes très âgées qui, pour arrondir leur fin de mois, partagent le taxi de quelqu’un d’autre lorsque celui-ci ne travaille pas : « ‘Arrondir’, cela devient un euphémisme lorsqu’après douze heures au volant, on n’a en moyenne que dix euros de gains. Un chauffeur de taxi qui a bien travaillé rentre chez lui le soir avec quarante euros par jour. Mais de ces 40 euros, 28 vont aux frais de fonctionnement (essence, assurance, etc.) Les douze euros qui restent sont notre gain propre – si tout va bien ».

Travailler plus pour gagner moins En Grèce le taxi n’a jamais été cher – avant la crise, 70 pour cent des transports dans la région d’Athènes se faisaient en taxi –, il était alors un bon investissement : « Une licence coûtait environ 200 000 euros ; aujourd’hui, réussir à la revendre à 50 000 c’est faire une bonne affaire », explique Nondas, qui doit avoir plus de 65 ans. La crise, l’ouverture de l’emploi et le développement récent des transports en commun ont conduit la majorité des chauffeurs à multiplier par deux leurs horaires de travail et pourtant, ajoute-t-il, « la situation est difficile. Nous attendons des jours meilleurs pendant la saison touristique, mais notre chiffre d’affaires a baissé de 60 pour cent depuis la crise ».

Paroles de chauffeurs de taxi Ils passent leurs journées et leurs nuits en compagnie des gens, les discussions avec eux sont donc toujours enrichissantes en raison de la pluralité des réalités auxquelles ils ont à faire face, ils ont un certain recul.

Panagiotis, ancien entrepreneur qui a vendu son affaire pendant la crise et a ensuite acheté un taxi, explique que « c’est simple : nous les Grecs avons le syndrome du pauvre. Nous étions pauvres, sous la tutelle des Turcs pendant 400 ans, ensuite avec les guerres mondiales et civiles, la faim… et tout d’un coup les robinets européens se sont ouverts. Ceux qui étaient rusés se sont enrichis, de toutes les manières – l’argent au black était facile. Et l’Europe savait très bien ce qui se passait ici, car tout se faisait en accord avec nos gouvernements. Ces gouvernements qui ont acheté le vote des Grecs en leur donnant des postes dans le domaine public. On était payés à ne rien faire au vu et au su de tous. Et, pire, au lieu d’investir cet argent gagné de manière plus ou moins légale, nous l’avons dépensé comme s’il n’y avait pas de lendemain. Maintenant la crise nous a obligés à voter autrement mais aussi à voir les choses autrement. À respecter les lois ».

Kostas, ingénieur et chauffeur de taxi, pense lui aussi que « le pays se réveille : les écuries d’Augias sont en train d’être nettoyées. Et les élections locales récentes en Espagne – pays utilisé comme exemple de success story de l’application des mesures d’austérité par certains Européens – donnent raison au peuple grec. Même Paul Krugman l’a mentionné dans son dernier article : le risque n’est pas le Grexit, mais le succès de la Grèce dans ce cas-là ».

Giorgos, un jeune de 25 ans, me dit qu’un grand nombre de ses « clients de crise » sont des personnes qui ont littéralement abandonné leurs voitures qui coutaient trop cher : « Nous étions un peuple d’irresponsables. Aujourd’hui ceux qui décident de rester s’engagent différemment dans la vie, nous prenons les choses en main ».

Maria, enseignante et chauffeuse de taxi, est plus inquiète : « Même si un accord était trouvé ce week-end avec les créanciers, même si nous trouvions une solution avant le 5 juin, il faudrait qu’elle soit votée au Parlement. La gauche de la gauche ne va pas l’accepter facilement. Et elle aura peut-être raison : nous ne sommes plus capables de comprendre ce qui est bon pour ce pays et ce qui est mauvais ».

Sofia Eliza Bouratsis
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