Toxic Gérard

d'Lëtzebuerger Land vom 17.10.2025

Pendant le weekend du Trounwiessel, le député Gérard Schockmel (DP) planchait sur un texte à paraître la semaine suivante dans les pages « Meinung » du Wort. Le DP l’avait prié de rester discret, lui aménageant une sortie honorable : Pas de Fraktiounszwang sur la question de la constitutionnalisation de l’avortement. Il n’a pas suivi le conseil. Son texte s’avère une diatribe (lui-même parle d’« article conceptuel »), aussi simpliste que caricaturale, contre le féminisme « in seiner hiesigen Ausprägung », que le député libéral vilipende comme une « rücksichtslose Ideologie », « un diktat », une « force destructrice », dont l’objectif serait « la discrimination systématique de l’homme ».

Joint ce lundi par le Land, Schockmel assume fièrement son « Tabu-Broch ». Il se complaît dans le rôle du martyr : On ne pourrait plus dire certaines choses. Schockmel adopte les tropismes de la nouvelle droite. Il vilipende ainsi la « cancel culture » et le « politiquement correct » : « C’est quand tout le monde ment pour qu’un chacun se sente bien ». Parmi ses « collègues » au Parlement, « beaucoup » seraient réticents à inscrire l’IVG dans la Constitution, mais n’oseraient pas le dire. Cette « muselière », qui s’appliquerait jusqu’aux plus hautes sphères, serait « une menace pour la démocratie ». Les réactions à son article en seraient « la meilleure illustration ». Bref, Schockmel s’indigne que son texte polémique fasse polémique.

Aux combats féministes actuels, Schockmel oppose sans cesse le bon vieux féminisme de jadis : « Mir hu dem Feminismus ganz ganz vill ze verdanken ». S’il pouvait parler à Simone Veil, ce serait sans doute « une discussion très agréable », estime-t-il. Pas sûr que le sentiment serait réciproque. Car quelques minutes plus tard, Schockmel fait du Kartheiser, estimant que les « lobbies » féministes seraient omniprésents, alors qu’il n’existe ni « Conseil national des hommes » ni « CID Männer ». Durant les 55 minutes que dure la conversation avec le Land, le député concentre sa critique sur les quotas hommes/femmes, qu’il qualifie de « discriminatoires ». Il tente ainsi de se raccrocher à une position historique du DP, qui a toujours estimé les quotas superflus. On finirait par placer les quotas au-dessus des compétences, renchérit Schockmel : « Fraën brauchen sech guer net der männlecher Konkurrenz ze stellen ! » Le député n’aurait-il toujours pas digéré la nomination de Martine Deprez (CSV) au gouvernement ? À peine trois jours après les législatives, il avait expliqué sur Radio 100,7 qu’il ferait un bon ministre de la Santé, soulignant son « ganz zolitt Wëssen an der Medezin » et ses « Management-Qualitéiten ». Ses qualités politiques sont manifestement moins développées.

De Taina Bofferding à Sam Tanson, de Marc Baum à Marc Spautz, le brûlot a provoqué une levée de boucliers au Parlement et dans la société civile. (Sauf l’ADR qui jubile, Fred Keip fustigeant une « Hetzjuegd ».) Au DP, la sortie de Schockmel a causé la consternation. Yuriko Backes, ministre de l’Égalité des genres et de la Diversité, est parmi les premières à condamner les propos, suivie par Corinne Cahen et Barbara Agostino. La présidente du DP, Carole Hartmann, reste diplomatique dans un premier temps : Schockmel se serait exprimé en son nom propre, pas au nom du parti. Elle durcit vite le ton : « Ich verteidige Werte, die Gérard Schockmel zerredet. Ich fühle mich in meiner Position als Carole Hartmann attackiert » (Wort). En bonne tacticienne, elle tente de contenir la crise pour la régler « en interne ». La réunion de fraction de ce mardi s’est passée de manière étonnamment « calme et constructive », témoignent plusieurs participants. Hartmann avait déblayé le terrain en amont, Schockmel s’engageant à mieux faire attention à sa communication. Le parti serre les rangs, et attend que la tempête passe. En amont des législatives, l’infectiologue (devenu chouchou médiatique durant la pandémie) avait été en pourparlers avec Déi Gréng et le CSV ; il a fini sur la liste du DP. En avril 2025, le Land notait que le sexagénaire n’avait rien à perdre, ce qui le rendrait « imprévisible, donc politiquement dangereux ».

Ce mercredi, le Parlement a voté (à l’unanimité sauf ADR) une résolution (très planplan) visant à renforcer l’égalité des genres qu’avaient déposée les Verts. Sur les bancs du DP, les visages sont tendus lorsque Schockmel se lève pour prononcer « quelques mots ». Pour la énième fois, il se réfère à Simone Veil et à son « féminisme humaniste ». Il retrouverait les mêmes valeurs au sein du DP et s’y sentirait « gutt opgehuewen ». Et d’invoquer « les grandes dames dans notre parti », Anne Brasseur, Colette Flesch, Lydie Polfer et Corinne Cahen. Cette dernière reste de marbre. Quant à la maire de la capitale, elle hausse brièvement les sourcils.

Bernard Thomas
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