Le premier directeur du Fonds Kirchberg doit transformer un quartier l’affaires en un lieu de vie

Vingt mille nouveaux habitants dans vingt ans

Marc Widong, nouveau directeur du Fonds Kirchberg, peut regarder vers l'avenir
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 25.09.2020

La loi du 6 décembre 2019 a instauré le poste de directeur du Fonds Kirchberg, à l’image de ce qui est en place au Fonds Belval, par exemple. Après une procédure de recrutement, c’est Marc Widong,
46 ans, qui a été choisi par le conseil d’administration. En poste depuis le 15 août, cet ingénieur passé par ArcelorMittal et les CFL, accorde au Land sa toute première interview.

d’Land : Vous êtes le premier directeur du Fonds du Kirchberg, une fonction qui ne peut pas réellement être comparée à celle des présidents qui vous ont précédé. Cependant, on constate qu’ils avaient plutôt des profils dans la finance ou le droit– comme l’actuelle présidente, Félicie Weycker, juriste. En quoi votre parcours d’ingénieur vous a-t-il amené à postuler pour devenir directeur du Fonds Kirchberg ?

Marc Widong : En effet, je suis ingénieur en génie civil. J’ai commencé ma carrière au sein de l’Arbed, puis Arcelor, puis ArcelorMittal – j’ai connu les trois patrons sans changer de bureau – où j’ai travaillé à la recherche, au développement de produits, à l’assistance technique ou à la commercialisation. J’ai ensuite rejoint les CFL en 2007 quand ils recherchaient un chef de projet pour construire la nouvelle gare de Belval-Université. C’était déjà le défi de la création d’un nouveau quartier et du développement d’infrastructures d’envergure nationale. J’ai ensuite été à la tête du projet du terminal intermodal à Bettembourg, la plus grande construction que les CFL ont menée, en volume, mais avec un timing très serré et un budget à respecter. Le poste de directeur du Fonds du Kirchberg m’a semblé intéressant pour cette dimension de développement d’infrastructures de grande envergure et à long terme. Le prestige du plateau est aussi attirant : c’est ici qu’on construit le mieux, le plus, avec de la recherche architecturale. La volonté de construire plus et plus vite ayant aujourd’hui pris plus d’importance que la nécessité de planification, de conception ou de vente, mon expérience des grands chantiers avec le respect de délais et de budget a plaidé en ma faveur.

Vous êtes en poste depuis un peu plus d’un mois. Quel a été votre premier constat ?

J’ai été heureusement surpris de trouver une équipe très motivée et plus pluridisciplinaire encore que je ne l’avais imaginée. Il y a des architectes qui sont au cœur de nos métiers, mais aussi, les aspects juridiques, financiers – qui sont essentiels dans notre mode de fonctionnement puisque nous devons gagner notre propre argent pour financer nos projets – , ou encore la communication. Mes premières actions ont été d’apprendre à connaître ces collaborateurs (plus de trente personnes, ndlr) et voir où en étaient leurs projets. Ce qui m’occupe maintenant est d’orienter et canaliser ces projets vers une finalité, pour qu’on avance plus vite et qu’on puisse produire ce qu’on attend de nous, à savoir du logement.

Actuellement, on compte au Kirchberg un habitant pour dix actifs. Ce qui pose évidemment des problèmes en termes de mobilité et de qualité de vie. Comment faire évoluer ce ratio ? Que peut-on espérer dans les années à venir ?

Chacun sait qu’à l’origine, le plateau du Kirchberg a été conçu pour le développement des institutions européennes, puis celles de la place financière. Aujourd’hui 4 000 personnes vivent sur le périmètre du Fonds. Quand on regarde l’affectation des surfaces bâties, on compte environ 1,2 million de mètres carrés destinés aux bureaux (dont un gros tiers, 480 000 mètres carrés pour les institutions européennes). En regard, il n’y a que 224 000 mètres carrés construits pour le résidentiel, soit six fois moins. Ce n’est qu’en construisant du logement en grand nombre qu’on va pouvoir améliorer le rapport entre le nombre de travailleurs et celui des habitants. De plus, la question du logement est un enjeu d’ordre national, voire régional pour lequel on ne peut plus attendre.

Quelles sont les étapes et les échéances à venir ?

Il y a actuellement plus de 100 000 mètres carrés destinés au logement qui sont en chantier. Au Kiem, après les premiers lots qui sont déjà habités, d’autres seront livrés en 2021 et 2022, comme sur la zone Reimerwee. Viennent ensuite plus de 200 logements sur la lentille sud de l’avenue Kennedy. Un des prochains projets qui va être mis en chantier est la zone Laangfur, en face de l’école européenne, avec 550 logements. Il y a sur cette zone des terrains détenus par des propriétaires et promoteurs privés. Les espaces sont pensés en collaboration avec eux pour un futur quartier à faible trafic motorisé et un équilibre entre habitations et emplois. L’ancien site d’Eurocontrol (325 logements), Grünewald ouest (322 logements), la suite de Kennedy Sud (plus de 800 logements) sont tous prévus avant 2026. La phase à plus long terme, jusqu’en 2030, comprend la très grande zone du Kuebebierg, au nord du plateau avec plus de 3 000 logements et le lycée Michel Lucius. Il y aura encore le développement de logements supplémentaires au Laangfur, à Grünewald ou à Kennedy Sud. Cela représente un million de mètres carrés pour le logement en projet et à terme 20 000 habitants supplémentaires. Nos projections tablent sur un habitant pour 2,4 actifs au-delà de 2040.

Le bail de Luxexpo court jusqu’en 2028. Comment le site va-t-il évoluer ?

Une étude de faisabilité a été confiée au bureau Urbis pour voir comment aménager ces plus de 130 000 mètres carrés. L’idée serait de créer un nouveau centre urbain avec au moins la moitié des surfaces construites réservées au logement, tout en intégrant un nouveau complexe de congrès, des bureaux, des commerces, éventuellement de l’hôtellerie, ainsi que des équipements culturels et de loisirs. Cela ne se fera pas avant 2030.

Quels sont les défis que posent tous ces projets ?

Le premier défi est celui de la conception pour répondre aux exigences de qualité que ce soit au point de vue de l’urbanisme ou de l’architecture. Nous avons des standards très élevés en la matière. Trouver les bons partenaires chez les architectes est le premier défi. Nous passons par des concours internationaux, où la qualité est autant prise en compte que sur le prix. Ensuite, la question de l’énergie doit être au centre de notre réflexion pour utiliser le moins d’énergie possible et surtout des énergies renouvelables. Différents concepts sont étudiés : le photovoltaïque, le chauffage urbain, la géothermie, la biomasse… Nous avons la chance de voir les choses à l’échelle de tout un quartier. Un promoteur privé qui construit une résidence doit y mettre une chaudière, c’est tout. Nous pouvons jouer avec les synergies entre des bureaux qui ont besoin de froid pour les serveurs et récupérer la chaleur pour les habitations. Enfin, il y a toujours le défi des procédures d’autorisation qui sont longues.

Ces projets en chantier supposent d’importance ressources financières. Comment fonctionnez-vous ?

Les terrains nous appartiennent. C’est donc une dépense à considérer en moins. Mais nous avons l’obligation de réserver une partie des terrains pour des logements abordables et nous devons considérer les espaces communs en dehors ou entre les logements qui ne sont pas vendables. C’est pourquoi nous vendons toutes les nouvelles constructions en emphytéose – de trente à cinquante ans pour les bureaux, de 99 ans pour le logement. On ne vend plus en pleine propriété, pour garder la main sur la planification et éviter la spéculation.

Vous parlez de « logements à coût abordable ». Comment déterminer ce coût et il serait abordable pour qui ?

Le prix du logement abordable est fixé à moins de quarante pour cent du prix du marché, auquel il est indexé. Par exemple, au Kiem le prix est actuellement fixé à 5 239 euros par mètre carré, soit la moitié de ce qui est demandé presque en face, à côté de RTL City. L’idée est que les personnes qui travaillent au Kirchberg et qui gagnent des salaires moyens, puissent y habiter. C’est d’ailleurs la seule condition pour avoir accès à ces futurs logements : travailler sur le territoire de la ville de Luxembourg, et quelques zones limitrophes.

Il n’y a pas de condition de revenu ?

Non, en effet, il n’y a pas de condition de revenu. Il faut cependant être propriétaire unique, ce bien doit être le seul de l’acquéreur. Il est interdit de le mettre en location. Le Fonds garde en outre un droit de préemption lors de la revente, au prix d’acquisition initial actualisé selon l’évolution de l’indice des prix, la vétusté, toujours pour endiguer la spéculation.

Qu’en est-il du logement social ?

Sur la plupart des projets, le Fonds Kirchberg rachète dix pour cent des appartements pour en faire bénéficier à la Société nationale d’habitations à bon marché. Il y a une répartition – de une à trois chambres – en fonction des besoins réels de la SNHBM et de la liste d’attente des demandeurs.

Vingt mille nouveaux habitants, c’est l’équivalent d’une ville comme Dudelange. Comment envisagez-vous leur cadre de vie en dehors de cette question du logement ?

En effet, c’est tout l’enjeu de la planification : nous ne construisons pas seulement des immeubles, mais des quartiers. Nous devons avoir une approche globale, comme celle d’une ville, d’une commune. Il faut penser d’abord aux infrastructures comme les écoles pour lesquelles des espaces seront réservés. En fonction de la démographie des habitants, il faudra décider si ce seront des écoles publiques luxembourgeoise classiques ou s’il faut des écoles internationales. On veut offrir une bonne qualité de vie, avec des espaces verts, des plaines de jeux. Il y a aussi la question de l’accessibilité, avec la construction prévue par Luxtram d’une deuxième ligne de tram, vers le boulevard Pierre Frieden et le nouveau Kuebebierg, en 2028. En matière de commerces, les centres commerciaux Auchan d’un côté et Infinity de l’autre seront complétés par des petites zones commerciales de proximité dans les nouveaux quartiers. Enfin, des espaces sont prévus pour les activités culturelles et sportives.

L’ensemble du Kirchberg reste très minéral, peu propice aux piétons et à la vie en extérieur. Il manque encore du liant social avec des bistrots ou des petits commerces… Comment espérez-vous insuffler de la vie sur le plateau ?

C’est une critique que je peux entendre, même si c’est moins vrai dans certains quartiers comme au Grünewald. Le bureau danois Gehl avait été mandaté pour trouver des solutions à ces problèmes. Ses propositions vont être mises en œuvre dans les nouveaux quartiers, mais vont aussi dicter des transformations, par exemple à la rue Erasme pour qu’elle devienne une rue vivante. Il s’agit d’éviter les façades vitrées ou en pierre, de valoriser les rez-de chaussée avec des commerces, de densifier les aménagements existants, de réduire les voies de circulation, d’ajouter du mobilier urbain attractif… Je suis confiant, avec plus d’habitants, il y aura aussi plus de vie.

Vos projections en matière de bureaux et administrations font état de plus de 66 000 travailleurs à l’horizon 2040. Ces chiffres restent-ils réalistes au vu de l’augmentation du télétravail ? Les espaces de bureau ne seront-ils pas surdimensionnés ?

Le calcul de base serait de dire que si les gens ne travaillent qu’un jour par semaine au bureau, il y a 80 pour cent de surfaces en trop. Mais c’est un peu simpliste. Pour l’instant, on ne sait pas quelles seront les règles et on peut penser que ce sera plutôt l’inverse, un à deux jours à la maison. Personne ne va laisser des bureaux vides et si certaines entreprises réduisent la voilure, d’autres viendront. La demande pour s’implanter au Kirchberg est toujours forte et le sera d’autan plus que la possibilité d’y loger sera importante. En revanche, cette tendance au télétravail nous oblige à nous poser des questions sur la taille des logements, le nombre de pièces. Avoir un bureau supplémentaire, un accès vers l’extérieur seront des atouts considérables.

Toute la zone du Kirchberg n’entre pas dans le périmètre du Fonds. Ces voisins considèrent-ils le développement comme une nuisance ou un bénéfice ?

L’urbanisation du plateau s’approche en effet de ce périmètre, notamment au sud de l’avenue Kennedy qui est limitrophe de Weimershof. Il me semble que les habitants de ces quartiers sont gagnants car ils pourront bénéficier des infrastructures que nous mettons en place en matière de transport, de commerces, d’écoles...

Verra-t-on un jour le Kirchberg sans grue ?

Quand certains projets seront finis, d’autres arriveront en fin de bail et seront transformés pour suivre les nouvelles normes environnementales, énergétiques et architecturales. Un Kirchberg sans grue signifierait la fin du Fonds.

France Clarinval
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