Dernier départ pour l’an 1900 : sur le quai du Minettpark, le parc industriel et ferroviaire situé au Fond-de-Gras, les visiteurs s’apprêtent à embarquer dans un train à vapeur restauré pour un petit tour jusqu’à Pétange. Aux touristes en vêtements de randonnée se mêle une faune à l’allure bien différente : des élégantes en robe de bal, des messieurs en pardessus et chapeau haut-de-forme, des aventuriers tout de cuir vêtus... Ce sont des « vaporistes » venus participer au festival Anno 1900, une convention steampunk qui se tient au Minettpark depuis treize ans. Sous-genre de la science-fiction, le steampunk mêle la mode et les technologies de la fin du 19e siècle à une esthétique futuriste ; les œuvres de Jules Verne ou d’H.G. Wells sont l’une des sources d’inspiration majeures des vaporistes. Les vêtements d’époque sont customisés : couvre-chefs surmontés de lunettes de soudeur dorées, armes imaginaires parées de vieux cadrans et de tubes en verre, mécanismes d’horlogerie montés en broches...
Le cadre du Minettpark, avec ses hangars de briques rouges, ses trains à vapeur et ses imposantes machineries en fonte constituent un décor de rêve pour ces passionnés venus de tout le Grand-Duché, de France, de Belgique ou encore d’Allemagne. « C’est notre événement le plus rassembleur, qui attire environ 10 000 personnes sur deux jours, indique Robyn Wehles, la directrice du site. L’ambiance est très sympa, fédératrice, avec des familles et des curieux qui se mêlent aux fans de steampunk ». Émilie, Catherine, Sylvain et Élise ont pris le train (le TGV) depuis Paris, c’est la quatrième fois qu’ils participent à Anno 1900. Catherine est une consœur : sur son chapeau maintenu par un foulard et surmonté de lunettes d’aviateur, elle a glissé une carte indiquant « Press ». Ne lui dites surtout pas qu’elle est déguisée : « Je suis costumée ! Un déguisement, c’est s’habiller en un personnage existant, alors que le vaporiste fait de la création. Ce qui me plaît, c’est de créer et d’imaginer mon costume et mon personnage, une journaliste par exemple ». Sylvain et Émilie sont d’authentiques jeunes mariés : ils portent des costumes réalisés à l’occasion de leur mariage, un brin modifiés. Quant à Élise, elle incarne une sorte de Gavroche du futur.
La bande, qui s’est négligemment arrêtée près d’un vieux chariot, attire les photographes. Ces derniers sont présents en masse, sur le quai envahi par les panaches de vapeur, on se croirait au Festival de Cannes. Devant une locomotive, juchés à l’intérieur d’un wagon, en train de patienter valise à la main... les vaporistes posent volontiers pour des shootings improvisés. Catherine, une photographe amateure qui vient pour la première fois, est fascinée ; elle a déjà pris plus de 200 photos en deux heures. « J’aime explorer des univers que je ne connais pas, explique-t-elle. Le sifflet du train, le bruit de la cheminée, tous ces gens superbement costumés... C’est un vrai voyage dans le temps, qui provoque beaucoup d’émotions ! ».
L’événement attire aussi les professionnels : parmi les 80 stands présents, on trouve des artistes présentant leurs sculptures de bric et de broc, des vendeurs de thés ou de vieux whiskies mais surtout des artisans, chapeliers, costumiers, fabricants de bijoux, d’accessoires ou de décoration. Éléonore, une jeune française, préfère fouiner chez ces spécialistes plutôt que de travailler toute l’année sur un costume. « Tous les ans, je me garde un petit budget pour Anno 1900 » explique-t-elle en choisissant un chapeau. « Le prix dépend de la qualité du chapeau, et des éléments ajoutés que je trouve en brocante, explique l’artisan. Le steampunk est une niche, mais ça marche bien ! Il y a une grande diversité de publics, c’est intergénérationnel ». Contrairement aux conventions de « cosplay » où des fans de mangas ou de comics s’habillent comme leurs héros préférés, le public d’Anno 1900 réunit des adeptes de 7 à 77 ans.
En déambulant à travers le Minettpark, on croise une foule de personnages tous plus surprenants les uns que les autres. Mais certaines rencontres prennent un tour encore plus inattendu : un dandy, vêtu d’un costume couleur crème, nous parle avec nostalgie des empires et de la « grande époque » où l’aristocratie tenait le haut du pavé. « Le dandy symbolise un monde qui disparaît avec panache : celui d’une noblesse qui cherchait à élever son âme, remplacée par des bourgeois intéressés uniquement par l’argent » assure celui qui se surnomme Gustave. Pour beaucoup, cet univers uchronique est une source d’amusement, mais pour d’autres c’est un état d’esprit... d’un autre temps.