Chroniques de l’urgence

Ceci n’est pas un plan

d'Lëtzebuerger Land vom 20.05.2022

La tentation est forte, lorsqu’on s’aperçoit à quel point les migrations déclenchent des passions négatives auprès d’une partie de nos contemporains, de s’appuyer sur ces dernières pour les convaincre de s’engager, eux aussi, dans la lutte contre la crise climatique. Si la perspective que de plus en plus de familles dans les pays du Sud soient chassées de leur habitat par les impacts du réchauffement et tentent de s’installer en Occident les effraie tant, ne tombe-t-il pas sous le sens qu’ils veuillent contribuer de toutes leurs forces à réduire ces impacts ?

Autrement dit, n’est-il pas dans l’intérêt objectif de nos concitoyens égarés à l’extrême-droite du spectre politique et paniqués par le fantasme du « grand remplacement » de tout faire pour qu’Africains, Asiatiques et Latino-Américains ruinés par les sécheresses, inondations et autres cataclysmes puissent rester chez eux ? Après tout, les activistes climatiques n’ayant, malgré la profusion des preuves scientifiques attestant de la gravité de la menace, pas rassemblé à ce jour de majorités suffisantes pour affronter adéquatement ce défi, ne devraient-ils pas essayer de les enrôler dans ce combat, en se pinçant le nez ?

Disons-le tout net, ce calcul est erroné et voué à l’échec. Certes, une action climatique conséquente est le meilleur moyen pour empêcher la précarisation et le déracinement de centaines de millions d’humains au cours des prochaines décennies. Mais s’allier à ceux qui sont prêts à laisser se noyer des migrants en Méditerranée ou dans la Manche, à les laisser mourir de froid dans les forêts entre le Belarus et la Pologne ou de soif dans le désert au sud du Rio Grande, et qui veulent construire d’illusoires forteresses nationales ?

Pour mémoire, quand elles ne sont pas inexistantes, les politiques climatiques de l’extrême-droite sont ineptes. Composer avec ceux qui prônent l’interdiction des éoliennes, c’est se condamner à l’inaction.

Quoi qu’on fasse, les impacts du réchauffement déjà emmagasinés dans le système terrestre continueront pendant de longues années encore à pousser d’innombrables populations vers le choix désespéré de la migration. Il ne saurait être question d’accepter, au nom de la lutte pour le climat, qu’une telle alliance contre nature ait pour conséquence que les migrants soient traités encore plus mal qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’action climatique, c’est plus de solidarité et plus de justice, pas moins.

Dans la bataille qui se joue entre tenants du statu quo prêts à diaboliser l’« autre » pour justifier leur refoulement dans des conditions inhumaines et ceux qui prônent la justice climatique, tout compromis de ce type serait une compromission. Compte tenu des rapports de force qui règnent aujourd’hui dans les pays occidentaux, s’acoquiner avec les hérauts de l’intolérance et de l’égoïsme reviendrait à un blanc-seing pour poursuivre, voire renforcer les politiques anti-migratoires. Ce n’est pas un plan.

Jean Lasar
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