Le favori de Lindner
Pierre Gramegna (photo : sb)partirait favori pour la course à la direction du Mécanisme européen de stabilité (ESM), estime la Frankfurter Allgemeine Zeitung dans son édition de lundi. Le quotidien de référence fait un portrait peu élogieux de l’ancien ministre des Finances luxembourgeois, qui ne se serait « pas particulièrement profilé au sein de l’eurogroupe ». S’il gagnait contre ses trois concurrents, il faudrait y voir une sorte de prix de consolation : « Gramegna gilt – aus politischen, nicht aus fachlichen Gründen – als leichter Favorit : Er hätte es ‘verdient’, weil er schon mehrfach im Rennen um den Eurogruppen-Vorsitz nicht zum Zug kam ». Le libéral luxembourgeois aurait un grand avantage ; il serait « favorisé » par le ministre des Finances allemand, Christian Lindner (FDP), tout comme par l’actuel directeur de l’ESM, Klaus Regling. En novembre dernier, juste avant de partir à la retraite (anticipée), Pierre Gramegna avait d’ailleurs remis la médaille de « grand officier de l’ordre grand-ducal de la Couronne de chêne » à Regling, dont il loua le « courage » et le « dévouement ». (Les petites attentions font les grandes relations.) Quoiqu’il en soit, note la FAZ, ce serait un « totes Rennen », l’ESM n’intéressant plus personne et se trouvant sur le point de « sombrer dans l’insignifiance ». Du moins Pierre Gramegna pourra-il suivre de près le chantier du nouveau siège, qui démarrera bientôt rue Erasme au Kirchberg. Dessiné par les bureaux d’architectes EM2N (Zurich) et Robertneun (Berlin), le bâtiment devrait être livré en 2028. bt
Tax-oh-oh-no-mie
Cette semaine, le gouvernement allemand a officiellement annoncé qu’il s’opposera à la taxonomie européenne incluant le nucléaire et le charbon, telle que la Commission tente de l’imposer via un « acte délégué ». Mais on ne se fait pas d’illusions : une « majorité qualifiée renforcée » de vingt États membres, nécessaire pour renverser ce label tronqué, paraît hautement improbable. Quant à la plainte austro-luxembourgeoise devant la Cour de justice, la coalition rouge-verte-jaune aurait décidé de ne pas s’y associer, précise la Süddeutsche Zeitung. Le gouvernement luxembourgeois se retrouve donc plutôt isolé. Même la Spuerkeess n’est plus vraiment alignée sur sa position, comme l’expliquait sa directrice générale, Françoise Thoma, récemment au Land : « Nous respectons strictement la taxonomie européenne. Si on s’en écartait, cela deviendrait très vite arbitraire. » bt
Et à la fin, il y a McKinsey
Jeudi passé, lors du « printemps des entreprises » (sic), événement annuel organisé par la Fedil, la présidente dudit lobby, Michèle Detaille, a fustigé le « manque de cohérence et de crédibilité de la politique industrielle » du gouvernement, des propos rapportés par Le Quotidien. La Fedil ne veut pas revivre le désaveu Fage-Knauf-Google et souhaite désamorcer les préoccupations écologiques pour que les capitaux étrangers alimentent à nouveau la production industrielle nationale. « Experience shows that some economic development projects still provoke fundamental discussions about whether they are in- or out-of-scope of the defined economic growth model », euphémise l’organisation en mars 2021 dans un document de trente pages proposant une méthode pour définir une stratégie industrielle, soulignant au passage que la pandémie a rappelé le danger d’externaliser les productions à des dizaines de milliers de kilomètres. « The framework intends to guide future industrial investment projects’ decision-making and selection processes and improve the overall quality of the political discussion during this process », lit-on notamment.
Lors d’une réunion en octobre denier, le Haut comité pour l’industrie a repris en main sa vocation définie en 2013 lors de sa création : coordonner les choix et actions du gouvernement affectant le secteur industriel au Luxembourg. « Dans le cadre de l’étude Rifkin de troisième révolution industrielle, le Haut comité avait pris la fonction d’une plateforme thématique travaillant à la transposition de mesures clé », concède le ministère de l’Économie. Retour aux fondamentaux donc. Un aréopage (voir plus bas) de chefs d’entreprises industrielles soufflant dans l’oreille du ministre de l’Économie Franz Fayot (LSAP) et des représentants du ministère ont défini un cadre pour une industrie « compétitive, résiliente et durable », autour de quatre thèmes (climat et industrie, économie circulaire, tissu industriel du futur et gestion des zones d’activités économiques). Des groupes de travail ont été formés. Ils doivent formuler des recommandations et élaborer des plans d’action, a-t-il été décidé à l’automne dernier. Mais la première décision concrète a été de… commander une étude !
Un appel à candidature a paru cette semaine dans le Wort. « The Luxembourg Ministry of the Economy has decided to commission a study to define a strategy and a roadmap for the transformation of Luxembourg’s manufacturing industry by 2040 », lit-on dans l’encart. Dans la procédure détaillée disponible en ligne (23 pages), l’appel d’offre renseigne le budget : entre 225 000 euros et 325 000 euros pour une mission de six mois (l’étude Rifkin avait coûté 425 000 euros). Elle comprendra des échanges entre le ministère, le Haut comité, son groupe de travail ad hoc et toute autre partie jugée nécessaire. Et Luxembourg Stratégie, le laboratoire d’idées attaché au ministre ? Le département de Pascale Junker participe au groupe de travail accompagnant l’étude sur le tissu industriel 2040, nous répond-on au Forum Royal. L’étude stratégique du cabinet de conseil sera rendu au début de l’année 2023. Luxembourg Stratégie remettra ses scénarios futuristes au printemps prochain. Le ministre de l’Économie sera armé de centaines de pages d’arguments pour accompagner le débat relatif à la stratégie industrielle luxembourgeoise en cette année électorale.
Le Haut comité pour l’industrie est composé de Michèle Detaille (Fedil, Groupe Alipa), Christine Mariani (MCM Steel), Thierry Wolter (Ceratizit), Roland Bastian (ArcelorMittal), Claude Seywert (Encevo), Paul Meyers (Dupont), Jean Muller (Moulins de Kleinbettingen), Paul Schockmel (IEE) et Isabelle Schmitz (Rotarex). pso
Synchronisation des montres pour le 6 juillet
La Cour d’appel rendra le 6 juillet un arrêt attendu dans le procès pour abus de bien sociaux de Flavio Becca. L’entrepreneur du bâtiment et de l’alimentaire avait fait appel de sa condamnation du 4 mars 2021 à 24 mois de prison avec sursis et 250 000 euros d’amende. Est reproché à Flavio Becca d’avoir acquis, entre 2004 et 2011, 842 montres de luxe auprès de 61 fournisseurs, par l’intermédiaire de 18 sociétés dont aucune n’avait le commerce ou l’acquisition de bijoux pour objet social. Le tout pour une valeur de 18 millions d’euros. Les avocats du prévenu plaident l’acquittement. L’avocat général a requis les mêmes peines et la saisie de l’ensemble des montres. pso
Eis Finanzplaz
Dans le Wort samedi, les réalisateurs du film Crise et chuchotements qualifient la crise financière de 2008 de « point de rupture de l’histoire récente du Luxembourg ». « Un film sur cette tourmente qui a marqué et changé le secteur financier comme nul autre événement » manquait, aux yeux de Jossy Mayor, l’un des deux auteurs avec Laurent Moyse. Une première diffusion dimanche au cinéma Utopia a offert ce « regard de l’intérieur » sur le sauvetage des deux banques systémiques pour le Luxembourg, Fortis (BGL) et Dexia (BIL). Un film « tout public », selon ses réalisateurs dans le quotidien de Howald, qui est sorti en salle mercredi.
« La date du 26 septembre 2008 est la date de départ d’une histoire dramatique, » introduit Luc Frieden dans le générique. Le ministre (chrétien-social) des Finances de l’époque s’impose comme le personnage central du documentaire intégralement basé sur les témoignages (aucune voix off). BGL, alors propriété de Fortis, a ce vendredi matin affronté un problème grave de liquidité dans la continuité de la crise américaine des subprimes. « On lisait des articles sur les subprimes, mais on ne pensait pas que cela allait avoir une telle conséquence en Europe », témoigne Luc Frieden. Des anecdotes insolites jonchent le film d’un peu plus d’une heure, voulu comme un témoignage à valeur historiographique. L’emblématique directeur du lobby des banques, Jean-Jacques Rommes, parle d’un début de rush aux guichet de Fortis. Le directeur général de l’établissement, Carlo Thill, a été prévenu du danger à midi par son trésorier. Il en a informé immédiatement le ministre des Finances « par sms ». « Je suis sorti du restaurant. C’était après le conseil des ministres », raconte Luc Frieden. Des réunions ont été organisées dans l’après-midi avec Jeannot Krecké (LSAP), que l’on voit brièvement, et Jean-Claude Juncker (CSV), qui n’a pas répondu à l’invitation des auteurs. « J’ai immédiatement su que la situation était extrêmement grave », explique maintenant Luc Frieden : « On a appelé Jean-Claude Trichet à la Banque centrale européenne. »
L’on apprend au passage qu’une fête du personnel de BGL était organisée le samedi et que Carlo Thill n’a pas informé ses collaborateurs de la gravité de la situation lors de son discours, ce qu’on lui a reproché par après et ce qu’il dit regretter. L’État a finalement pris la décision dans la nuit de dimanche d’injecter 2,5 milliards d’euros (sur un PIB de quarante) dans BGL via l’émission d’obligations convertibles en actions. Quelques jours plus tard, on décide de recapitaliser Dexia Luxembourg pour presque 400 millions d’euros. « Mon objectif n’était pas de sauver une banque, mais les clients de la banque » et l’économie luxembourgeoise dans son ensemble, relate Luc Frieden. Les réalisateurs du film n’ont trouvé personne pour critiquer l’intervention du gouvernement. Le directeur du Statec, Serge Allegrezza, ajoute que les injections de capitaux n’ont finalement pas été un mauvais investissement, BGL rapportant régulièrement un dividende juteux à l’État actionnaire. Le (très) haut fonctionnaire du ministère des Finances de l’époque et aujourd’hui gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg, Gaston Reinesch, souligne l’intérêt de la présence de l’État au capital des banques pour « préserver l’emploi et garder une dimension luxembourgeoise ». La sentence vaut encore aujourd’hui puisque l’État détient toujours un tiers des parts de BGL et dix pour cent de Dexia, face à des actionnaires majoritaires étrangers. Le professeur de finance à l’Uni.lu Pierre-Henri Conac relève que « sauver des banques n’était pas très moral, car elles avaient fait des erreurs », mais que l’aventure a servi de leçon en termes de solvabilité et de liquidité des établissements de crédits. Des leçons trop vite oubliées ? Le film, qui passera sur RTL après sa diffusion dans les salles obscures, finit sur le surendettement généralisé et la menace d’un crash ultime, « the big one », selon le sociologue Louis Chauvel, pour qui s’installe « la croyance que nos enfants n’auront pas une vie meilleure ». Un vrai twist par rapport au début du film où les années 2006-2007 apparaissent comme l’âge d’or du centre financier local. pso