Thiel Logistik AG

De la suite dans les idées

d'Lëtzebuerger Land vom 13.07.2000

Les meilleurs tuyaux boursiers sont habituellement connus avec un certain retard. Quatre mois après l'introduction au Neuer Markt à Francfort de Thiel Logistik AG, il est ainsi guère réconfortant de savoir que « si seulement on avait » acheté l'action à 36 euros on aurait entre-temps plus que triplé sa mise. Mercredi soir, le titre clôturait à 114,1 euros. 

Riko Stärz, directeur financier de l'entreprise du Potaschbierg à Grevenmacher, offre une consolation : « Acheter Thiel est à tout moment un bon investissement. Il y a des mouvements, mais la tendance est à la hausse depuis le début. » Les analystes de Julius Baer confirment. Ils classent l'action « strong buy », leur dernier objectif de cours est de 150 euros. Si l'action a passé les turbulences boursières des derniers mois sans hésitations, c'est aussi grâce à la bonne santé du groupe. Il s'agit certes d'un titre de croissance, mais à l'opposé de bon nombre de sociétés semblables, Thiel est une entreprise profitable qui peut financer elle-même sa croissance. Les capitaux frais récoltés lors de l'introduction en Bourse servent aux acquisitions. À son cours actuel - la société vaut quelque 74 milliards de francs pour un bénéfice 1999 de 405 millions - le moindre faux pas risque toutefois d'être sanctionné de suite. 

Si la logistique bénéficie pour l'instant d'une certaine euphorie, les perspectives du secteur n'en sont pas moins excellentes. Le marché européen, très fragmenté, est estimé à presque 13 000 milliards de francs. Le chiffre d'affaires de Thiel en 1999 était tout juste de 8,3 milliards. Côté potentiel, il n'y a donc pas à s'en faire. À Grevenmacher on prévoit ainsi - et la société est davantage critiquée pour être trop conservatrice dans ses prévisions que pour son optimisme - une croissance annuelle moyenne entre 1998 et 2002 du chiffre d'affaires de 55 pour cent et, surtout, des bénéfices de 75 pour cent. Reste à savoir ce qu'on peut bien vouloir dire par « logistique » ?

Traduire logistique par transport est on ne peut plus réducteur. Les transporteurs font certes partie de la chaîne mais n'en représentent qu'une partie. La notion englobe l'ensem-ble des activités liées au mouvement de biens. Il y a le transport entre le producteur et le client, mais aussi la gestion des stocks et des fournitures ou encore l'organisation des flux de biens dans une chaîne de production. Dans l'industrie automobile, les concepts de just in time, c'est-à-dire l'absence de stocks et la livraison des pièces détachées au fur et à mesure que les voitures sont assemblées, illustrent parfaitement l'utilité de ce savoir faire. 

Si au centre de la logistique se trouvent des biens, le secteur est de plus en plus dominé par l'informatique et les technologies de l'information (IT). Il ne suffit plus de faire en sorte qu'une marchandise arrive au bon moment au bon endroit. Il faut aussi être à même de gérer l'ensemble de la chaîne, souvent très longue, entre la matière première et la vente du produit fini. Il n'est donc guère surprenant qu'une étape importante dans le développement de Thiel Logistik était, à partir de 1993, la collaboration - suivie l'année dernière par la fusion - avec les inforamticiens de Ilos s.a., un voisin de Grevenmacher.

Günter Thiel, fondateur et administrateur délégué de Thiel Logistik, a enjambé la Moselle il y a vingt ans. Après cinq années à la tête de la filiale luxembourgeoise d'une entreprise de transport allemande, il se met à son propre compte en créant, à Mertert, la sàrl Agnes Transport. Le Luxembourg lui semblait à l'époque la base idéale pour tirer pleinement avantage du futur marché unique européen dont la réalisation venait d'être décidée. 

Rapidement, le transporteur Thiel met l'accent sur son savoir faire logistique. En 1988, Thiel [&] Partners devient une Spedition à part entière. Deux ans plus tard, la société élabore son premier concept de logistique. Vers 1995, Günter Thiel décide de se séparer de ses activités de transporteur, processus venu à terme en 1999. Sa société se concentre dorénavant sur des services de logistique plus haut de gamme : analyse de processus, élaboration de concepts logistiques et leur mise en oeuvre ; aussi bien pour les flux de biens que ceux de données informatiques.

Thiel Logistik AG représente au-jourd'hui 2 800 salariés répartis sur 80 sites surtout en Europe. Il s'agit d'ailleurs moins d'une entreprise unique que de la société faîtière d'un groupe avec un nombre impressionnant de filiales. Celles acquises au fur et à mesure ont d'ailleurs pour la plupart du temps gardé leurs noms d'origine, même après avoir rejoint Thiel Logistik. Fortement implanté au Luxembourg, le groupe l'est aussi en Allemagne, en Suisse et en Autriche ainsi que dans le sud et le nord de l'Europe. 

La prise de décision dans le groupe est décentralisée et repose sur des entités petites mais efficaces, bénéficiant d'une large autonomie. Le savoir faire clef est par contre centralisé à Luxembourg où il est à la disposition de l'ensemble des filia-les. On trouve de même à Grevenmacher, outre la direction, l'administration centrale avec ses services connexes. 

Les activités du groupe se déclinent autour de plusieurs grands axes. Il y a d'abord la logistique contractuelle, c'est-à-dire la gestion complète de processus. L'autre domaine sont les services à valeur ajoutée tels l'emballage ou l'étiquetage de biens, le contrôle de qualité, les services de facturation ou encore la gestion et la formation de ressources humaines. Le développement de concepts logistiques dans le cadre du commerce électronique compte aussi parmi les poins forts de Thiel.

Chez DuPont de Nemours à Con-tern, par exemple, Thiel s'occupe depuis 1993 de la logistique de la ligne de production Typar. Limité au début encore à certains services précis, Thiel a su convaincre les Américains et opère aujourd'hui un concept logistique intégré avec aussi bien ses équipes sur place à Contern que grâce à ses propres dépôts à Grevenmacher. La société est ainsi en charge de la fourniture des matières premières, de la gestion des stocks de même que de la prise en charge de déchets de production.

Le secteur qui tient le plus au coeur à Günter Thiel - et qui promet les taux de croissance les plus importants - sont les healthcare logistics. Dans les soins de santé, la logistique représente aujourd'hui vingt pour cent des coûts totaux. L'industrie automobile, le secteur le plus avancé dans la matière, a réussi à réduire ces frais à moins de huit pour cent grâce au supply chain management. « Nous sommes aujourd'hui les seuls à pouvoir offrir un service complet à un hôpital », explique Günter Thiel. Son groupe gère, par exemple, l'ensemble des fournitures d'une clinique. L'achat en soi n'est pas une activité que Thiel cherche à re-prendre. Le groupe est actif aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'hôpital. Celui-ci ne dispose ainsi plus de ses propres dépôts mais est servi à partir de ceux de Thiel. Outre la gestion des fournitures, la logistique offre aussi des services dans leur utilisation. Suite au constat que la majorité des composants d'un set d'opération retourne inutilisée à la stérilisation, Thiel a ainsi constitué des sets spécialisés ne reprenant que les instruments effectivement utilisés lors d'une opération, par exem-ple, de l'appendice. Le concept vient de Thiel, l'emballage des sets est sous-traité.

Les arguments pour le recours à un expert en logistique sont multiples mais s'expliquent surtout pour une question de coûts. La société spécialisée peut se contenter de fournir son savoir faire pour l'optimisation d'un processus. La logistique peut aussi faire l'objet d'outsourcing et être confiée en entier à des experts externes. Dans les soins de santé, la réputation de Thiel est aujourd'hui telle, que ce sont les hôpitaux qui approchent la société et plus nécessairement l'inverse.

Thiel Logistik est un groupe européen - quelque 350 de ses salariés travaillent au Grand-Duché - qui a son siège et, surtout, son centre de décision au Luxembourg. Günter Thiel, qui passe beaucoup de temps à expliquer qu'il n'a pas choisi le Grand-Duché pour des raisons fiscales douteuses, insiste d'ailleurs : « Maintenir le siège au Luxembourg n'a jamais été mis en question. »

Thiel Logistik n'est pas moins une entreprise luxembourgeoise a-typi-que, dans le bon sens du terme. Ce dont tout le monde parle aujourd'hui, on l'a réalisé au Potaschbierg il y a dix ans déjà : rechercher du capital risque pour se lancer dans un projet ambitieux et international. « Au début des années 90, ce n'était certainement pas une chose facile, explique Günter Thiel, mais nous avions la chance de trouver deux investisseurs prêt à nous aider, mais sans se mêler du côté opérationnel de l'entreprise. » Les demandes de transparence et de performance du côté financier étaient cependant déjà à l'époque semblables à celles de la Bourse aujourd'hui.

Günter Thiel a ainsi accepté à payer un prix que beaucoup d'autres entrepreneurs refusent. D'un point de vue capitalistique, il n'est plus maître dans sa propre maison. En nom personnel, il détient après l'introduction en Bourse, encore 1,2 pour cent du capital de « sa » société. Il n'a pas de regrets pour autant : « Sans ces investisseurs, nous ne serions pas là où nous nous trouvons aujourd'hui. Et l'enthousiasme et l'engagement pour mon travail sont restés les mêmes. »

Parmi les principaux défis de Thiel, compte aujourd'hui la gestion de sa croissance très rapide. Depuis le succès de son introduction en Bourse, le groupe a gagné beaucoup en attractivité pour des collaborateurs de haut niveau. « Nous n'avons aucun problème à attirer des gens de Francfort ou ailleurs vers Luxembourg », se réjouit Günter Thiel.

Les perspectives pour le secteur de la logistique restent excellentes aussi à long terme. Quand la notion de reverse logistics tombe à Grevenmacher, les yeux commencent à briller. La logistique nécessaire à la production, par exemple, d'un appareil électrique représente déjà un beau marché. 

Or, de nouvelles directives européennes prévoient la reprise par le producteur de son produit à la fin de son cycle de vie. Et qui dit reprendre l'appareil, centraliser son traitement, le décomposer dans ses composantes, les revendre à des entreprises de recyclage, etc. dit en même temps besoin d'un système très performant de... logistique.

Jean-Lou Siweck
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